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Critique de Enroute


Les idées, pour Berkeley, se divisent entre les imaginations et les perceptions. Rien n'interdit en effet de penser, puisque nous ne percevons la réalité que par les sens, que nos perceptions ne soient que fabriquées par une puissance extérieure que l'on nommerait, par exemple, Dieu, ou lois de la Nature, si cela fait plaisir. le réel n'est donc que le contenu d'une perception. De même, si l'on insiste, on appellera "chose" l'idée (la perception) de ce qui nous semble unitaire hors de nous, les vêtements par exemple.

C'est là que se pose un petit problème : si Berkeley ne connaît le monde que par ses perceptions, qu'est-ce qui l'autorise à demander l'avis des uns et des autres, à dire "nous" et à supposer d'autres intelligences que la sienne ? La question est finalement inopportune ; le texte ne pose aucunement la manière dont l'être humain accède à la connaissance, mais plutôt celle dont Dieu crée le monde, où l'être humain n'est qu'une des créatures dépendante de son démiurge et absolument pas libre de quoi que ce soit. Par ailleurs, puisque Berkeley dit "nous", accepte les appellations "chose", "lois de la Nature" et ne voit pas d'inconvénient à ce que l'être humain continue de les rechercher, sa conception du monde redevient très classique : Dieu a créé le monde et nous y sommes, à devoir l'appréhender par l'intermédiaire de nos perceptions. La solution ne se justifie plus que pour contourner la difficulté du lien entre la réalité et l'intériorité : on ne compare les idées qu'avec des idées, écrit-il.

Il ne reste que la disparition de la notion de substance pour les choses extérieures et l'affirmation de l'existence du "je", intelligence capable de volonté, de penser et de percevoir et non réductible à une "idée" (imagination ou perception). On est ici beaucoup plus loin que Locke, à l'opposé de Hobbes et de Hume (qu'il rejoint cependant sur le refus des idées abstraites) ; et finalement, par l'insistance sur la volonté, le sujet pensant et l'idée de ce Dieu manipulateur, assez proche de Descartes. Ce qui les différencie cependant, c'est que Descartes a levé le doute et placé l'individu au centre du monde, là où Berkeley conserve la main de Dieu, comme celle d'un marionnettiste derrière ou au-dessus de lui, comme chez Leibniz, pour le diriger comme bon lui semble. La connaissance humaine passe donc toujours par la connaissance et la volonté de Dieu.

Le texte est par ailleurs très rébarbatif malgré sa briéveté : incessants allers et retours, réflexion continûment rallongée et non synthétique ; Berkeley fait systématiquement les questions et les réponses (on me dira que, je réponds que, vous insisterez et direz que, je répondrai que...) ; il est de plus très agressif dans son expression (les philosophes ne comprennent rien, il est évident que, il ne faut pas beaucoup penser pour...). Enfin, il est très agaçant de lire sans arrêt des "si l'on tient que...", "que l'on me dise que et je retire mes cartes...", etc. surtout quand après cent trente pages, on trouve un "si l'on considère que l'ensemble de la création est l'oeuvre d'un agent sage et bon..." qui est la thèse centrale, jamais remise en cause, et que l'on aurait aimé trouver en début de texte et discutée avec un peu plus de profondeur, plutôt que glissée par une politesse feinte et comme s'il s'agissait de tout remettre en cause à quarante pages de la fin. Finalement, on a envie de lui demander s'il tient un salon ou s'il écrit un livre, et s'il est sincère dans sa croyance que tout n'est que perception puisqu'il s'adresse incessamment à son lecteur (qui, en plus, est absent...).
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