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Critique de PhilippeCastellain


Peut-on aujourd'hui dissocier la pièce de théâtre de Bernanos de l'opéra qu'en fit Francis Poulenc ? Je ne pense pas. Les deux inauguraient, chacun dans leur domaine, un langage nouveau et fort qui ouvrait de multiples voies… Laissées à l'abandon, car ce qu'elles proposaient était bien trop complexe pour les écrivains et compositeurs qui suivirent.

Car ce qui se montre là est impressionnant. Une discussion sur un fer à repasser prend une dimension théâtrale. La lecture d'un décret ou d'un jugement devient musicale. L'agonie d'un des personnages n'est ni la douce mort de Werther ni le rapide coup de couteau de Caligula. C'est une femme malade qui se débat, qui souffre, qui paniquée face à la mort essaye désespérément d'échapper à l'inéluctable. La langue française, si difficile à manier, s'y exprime avec une puissance et une diversité de rythme inimitable.

Il est vrai que l'histoire semblait choisie pour faire fuir d'éventuels élèves. Peu avant la Révolution une jeune aristocrate, Blanche de la Force, entre au Carmel. Outre son naturel très religieux, elle espère y trouver un refuge à son tempérament craintif et son agoraphobie. Expulsées par un décret révolutionnaire, les religieuses doivent retourner à la vie civile. Mais la Terreur fait rage, et la moindre dénonciation ou le plus petit soupçon mènent à la guillotine…

Il y a là de quoi refroidir tout le monde. Les républiques françaises n'ont jamais aimé qu'on s'appesantisse trop sur les envois intensifs à l'abbaye de Monte-à-Regret de la première du nom. Les thèmes abordés – la foi et la vie religieuse, la mort et la peur, le sacrifice et l'orgueil, le courage et la lâcheté – rebuteront les non-croyants ; et ils sont explorés si durement et avec une telle profondeur qu'il y a de quoi perdre la plupart des croyants.

Une tendance à braquer tout le monde typiquement bernanosienne. Quant à Poulenc, son homosexualité combinée à un catholicisme flamboyant en font une provocation vivante pour les cléricaux comme pour les anticléricaux, ou un test pour reconnaître les gens réellement ouverts d'esprit d'un côté et de l'autre.

Aussi pièce et opéra restèrent-ils confinés aux connaisseurs et n'eurent pas le rôle que, je pense, ils auraient du avoir dans le renouvellement de la culture française. le théâtre alla lorgner du côté du Boulevard ou de l'abstrait ; et je n'ai jamais retrouvé une telle puissance et une telle force même dans le metal le plus extrême.

Le ‘Dialogue des Carmélites' résume pour moi tout un avortement de la culture française dans l'après-guerre, dont le principal symptôme fut un maniement de plus en plus laborieux de notre langue, de ses tournures tordues et de sa rythmique complexe. Voila en tout cas ce que je ressens à chaque fois que je l'écoute…
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