Bernanos pour Pâques. Certaines matines vont clocher.
Un jeune prêtre est nommé curé d'Ambricourt, patelin du nord de la France que
Stéphane Bern ne devrait pas sélectionner pour le prochain « Plus beau village français » si on se fie à la lecture de ce roman. Les chasseurs de têtes et d'auréoles de l'époque avaient du mal à recruter depuis que la robe avait perdu de sa noblesse. le métier n'était plus très bien payé, le célibat grattait sérieusement sous la soutane et le télétravail n'existait même pas, même si déjà les réunions avec le patron étaient dématérialisées depuis presque deux mille ans. Priez pour moi.
Le curé s'installe dans sa nouvelle paroisse avec la naïveté et la maladresse des êtres trop purs. Côté comité d'accueil, il n'a pas droit à une parade en papamobile. Au mieux, c'est de l'indifférence. Au pire, un cocktail de sournoiseries dans le calice et l'hostie hostile. Cul sec et langues bien pendues. Son énergie et son enthousiasme se heurtent aux lâchetés de ses ouailles. La désillusion succède à l'exaltation, la foi en rempart, assiégée par la repentance. Il absorbe les fautes d'autrui et ne se pardonne jamais les siennes. Pour cela, il est toujours très pratique d'avoir un ami pratiquant.
Pour supporter son chemin de croix, il va rédiger son journal dans un cahier d'écolier, éclairé par un cierge, faute de budget pour les bougies parfumées. le titre du roman ne pouvait être plus éloquent. Un mécréant comme moi aurait choisi à tort « La grande désillusion » car, si rien n'est épargné au jeune curé, aucune épreuve n'ébranlera sa foi. le salut est un sacré sacerdoce. Faute de miracle et du ratio syndical de persécutions, difficile de faire du curé d'Ambricourt un saint, mais
Georges Bernanos, très virulent contre l'évolution de son église qu'il accusait entre autres choses d'abandonner les pauvres, est parvenu à offrir la postérité à son vertueux personnage.
Chez le polémiste, la robe a perdu de sa noblesse et les souffrances du curé d'Ambricourt sont les siennes. Dans ses écrits,
Bernanos s'indigne, provoque la polémique, proche en cela d'un
Léon Bloy. Dans son roman, son prêtre, issu d'un milieu très pauvre n'a pas les armes pour lutter contre les injustices et son impuissance va dévorer sa santé.
Pas très rigolo tout cela. Mais tellement bien écrit et habité d'un souffle à décalotter un évêque, signature de
Bernanos. Même si vous n'avez pas envie de vous plonger dans cette histoire, trichez un peu et lisez au moins la trentaine de pages (je sais que cela ne se fait pas mais je pense que cela ne mérite pas non plus confesse auprès du libraire chez qui vous squattez tous les samedis – une fessée tout au plus et trois chapitres d'un guide de développement personnel pour expier) qui décrit un extraordinaire moment de vérité entre le curé et la comtesse (page 175 à 206 de l'édition de poche). Chaque phrase est un chef d'oeuvre. Cet extrait m'a permis de fuguer de mon prosaïsme maladif pour un peu de spiritualité. Cela ne m'a pas fait de mal.
Je n'ai pas vu le film de Bresson mais les mots de
Georges Bernanos se passent très bien d'images.
Ma foi, je n'ai pas arrangé mon cas. Salut le salut !