Il parait qu'à l'origine «
L'Imposture » ne devait former qu'un seul et même roman avec «
La Joie », mais comme
Georges Bernanos n'arrivait pas à élaguer son sujet il a finalement publié son livre en deux volets. A mon avis, il aurait mieux fait de revoir la deuxième partie de «
L'Imposture », trop longue, moins personnelle, et qui semble à part. L'influence de Bloy se fait trop sentir, c'est comme si
Bernanos avait voulu se payer le petit milieu politico-journalistique catholique, avec en sujet de fond la crise de la modernité. le ton est très acide, tous les personnages qui sont mis en scène ne sont définis que par leurs vices : orgueil, hypocrisie, avarice, lâcheté, luxure, gourmandise, il n'y en a pas un pour sauver l'autre. C'est trop terre-à-terre et loin des magnifiques analyses d'âmes et de comportements dont est capable
Bernanos.
Les trois autres parties sont par contre du pur
Bernanos, l'illustration du combat entre le bien et mal, la sainteté et le satanique. La première partie, qui s'attarde sur l'abbé Cénabre, est une plongée en apnée dans l'esprit du Mal. Elle raconte la nuit où l'abbé Cénabre a pris conscience que sa vie était une duperie, qu'il avait non seulement menti aux autres mais qu'il s'était menti à lui-même ; pour tout dire, il se rend compte qu'il n'a jamais cru en Dieu. Après toute une nuit passée à tergiverser, à désespérer, il prend finalement la décision de ne rien changer à son comportement et à sa vie. Un imposteur donc, qui frôle la démence lors de cette nuit, quelque chose se brise, l'isole définitivement du monde, des autres et de lui-même, ou alors, pour le dire autrement, peut-être se laisse-t-il posséder par Satan, lui-vend-il son âme ?
Bernanos cherche à démontrer l'utilité de la confession sincère qui aurait permis à l'abbé Cénabre d'éviter cette prise de conscience tardive et dévastatrice, ainsi que l'installation du mensonge.
En face de lui se dresse la figure pitoyable de l'abbé Chevance, pauvre curé trop humble. Il détonne beaucoup par rapport à la majorité des personnages qui sont tous orgueilleux d'une manière ou d'une autre.
Bernanos fait intervenir le surnaturel dans ce roman avec plus de discrétion que dans «
Sous le Soleil de Satan », on ne peut pas qualifier l'abbé Chevance de saint, pourtant il est assez proche de l'abbé Donissan, il possède lui aussi l'art de lire dans les âmes et de détecter le Mal, en tout cas il est très perspicace de ce côté-là. Il a d'ailleurs été écarté de sa paroisse suite à une affaire d'exorcisme. Et comme dans « le
Journal d'un Curé de Campagne », il doit lutter contre le mal dans son propre corps.
Vers la fin du roman apparait Chantal de Clergerie, une jeune fille de bonne famille à la personnalité également surnaturelle, caractérisée par une simplicité hors norme et une acceptation joyeuse de la vie dans son ensemble, parfaitement soumise à Dieu. Elle est en quelque sorte l'élève de l'abbé Chevance et le dernier paragraphe laisse penser que c'est elle qui sera le personnage central de «
La Joie » et qui se trouvera confrontée à l'imposteur. On en frémit d'avance pour elle.