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Critique de NMTB


NMTB
29 septembre 2017
Dans les journaux une telle histoire ne serait rapportée que dans la page des faits divers, parmi d'autres, Georges Bernanos en fait un drame surnaturel d'une intensité incroyable. Ça s'appelle le talent. Un roman terrible avec du mystère, des choses qu'il faut comprendre à demi-mots, d'autres qui restent obscures, des intrigues qu'on découvre peu à peu, une fin en coup de tonnerre et de superbes dialogues. Il ne faut pas lire « La Joie » sans avoir lu avant « L'Imposture » (malheureusement un peu plus fastidieux), ce serait dommage car beaucoup d'aspects de l'intrigue principale y trouvent leur source.
Avec un tel nom, la famille de Clergerie, la grand-mère, le père, la mère morte et la fille pourraient être un symbole du clergé et peut-être même de l'ensemble de l'Eglise catholique. Je ne sais pas jusqu'à quel point il faut interpréter ces symboles, et s'il faut aller jusqu'à faire de « L'Imposture » et de « La Joie » des romans à clef, car on trouve dans la réalité des personnes qui ont probablement inspirées Bernanos (j'ai vaguement lu, il y a quelques années, le livre « De L'Angoisse à L'Extase » de Pierre Janet, et je ne serais pas surpris que ce professeur ait été un modèle du docteur La Pérouse). Je pense que l'essentiel n'est pas là, c'est avant tout une oeuvre d'imagination sur la vie d'une jeune fille toute simple et d'une humilité à toute épreuve.
L'aventure de Chantal est une aventure spirituelle, il y a une graduation dans ses souffrances et son élévation, on la voit passer de l'innocence de l'enfance à la pure sainteté, et cela sans éclat, dans les conditions d'une vie commune. Toute l'action du roman a lieu dans la propriété de son père, et bien qu'elle soit une maison correcte et bourgeoise, une ambiance sournoisement maléfique y règne ; ce sont les domestiques qui le ressentent le plus, mais tout le monde est dans l'attente d'un évènement catastrophique. Tout est en tension sous-jacente et en non-dit, rien de spectaculaire, mais les personnages qui entourent Chantal sont autant d'épreuves pour elle et elles sont toutes de plus en plus périlleuses ; il s'agit qu'elle ne perde ni sa charité ni sa joie.
D'abord face à Fiodor, le chauffeur de M. de Clergerie, joueur invétéré au grand bagout (il y aurait beaucoup à dire sur ce personnage dostoïevskien), ensuite face à sa grand-mère, en apparence une vieille folle avare, puis son (pas très) propre père tout aussi empêtré dans ses remords indéfinis. Enfin la grande épreuve temporelle face à M. La Pérouse, psychanalyste de son état. Déjà Bernanos mettait la psychanalyse et la religion en concurrence dans « L'Imposture », d'une manière presque informulée, mais dans « La Joie » il les oppose carrément et critique la psychanalyse en la personne du docteur La Pérouse, un alcoolique amoraliste. Je pense que Bernanos ne voyait aucun intérêt aux mécanismes de la psyché sans la reconnaissance de la primauté morale. La confession plutôt que l'analyse.
Mais la confrontation spirituelle n'arrive qu'avec l'abbé Cénabre de « L'Imposture ». A vrai dire, la pauvre Chantal attire la corruption comme le miel les mouches. C'est comme si tous les corrompus cherchaient la rédemption auprès d'elle, comme si elle pouvait la donner, comme si elle éclairait le fond de leur âme involontairement, la grande révélatrice. Alors forcément on se demande comment le grand imposteur qui avait déjà résisté au vieil abbé Chevance va se comporter face à cette jeune fille. Va-t-elle réussir là où son maître a échoué ?
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