ALBIN MICHEL JEUNESSE
2020
9782226451538
Nous comptons déja dans le registre jeunesse quelques versions adaptées du roman américain d'aventure de
Edgar Wallace et
Mérian C. Cooper.
Ce scénario originale pour l'époque, novélisé d'abord, aboutira enfin vers sa première oeuvre cinématographique, célèbre et en noir et blanc en 1933.
Le roi Kong est une légende qui marquera les petits et les grands, depuis que les romanciers- eux-mêmes fascinés par la singularité du phénomène littéraire- et que les grands ou petits écrans décideront de s'en emparer, pour passer l'histoire du monstre d'une génération de lecteurs à une autre.
Les auteurs ne se contenteront pas de reproduire pour mettre entre les mains des nouveaux lecteurs, ils ajouteront à l'oeuvre leur vision de la légende, en respectant les repères tracés par ces auteurs. Il y aura une patte graphique toute nouvelle et aussi une interprétation du texte.
Nous avons en tête le "
King Kong" d'
Antoine Guilloppé chez
Gautier Languereau, celui d'
Anthony Browne chez l'Ecole des Loisirs et celui de
Christophe Blain édité précédemment chez Albin Michel Jeunesse , puis publié en 2019 chez Robinson.
Albin Michel remettra le couvert, cette fois avec le talentueux duo
Fred Bernard et
François Roca.
En plus du réalisme très léché et séduisant de
François Roca à l'illustration, ses images jouant souvent et paradoxalement d'une lumière artificielle et savamment théâtrale, les lecteurs pré-ados pourront profiter d'une nouvelle perspective de la légende.
L'auteur
Fred Bernard apportera du sentiment, cèdera la parole au monstre, ce qui sera assez nouveau.
Nous serons dans ses pensées, celui-ci préférant la solitude à la compagnie des humains, préférant aussi une compagne de son espèce à la solitude elle-même.
Il craint aussi les lances des hommes, il n'est pas sans peur ni invincible.
La première scène ne s'ouvrira pas sur les hommes blancs occidentaux qui viendront envahir son royaume pour le tournage d'un film, comme d'accoutumée.
Majestueux, Kong se présentera de toute sa hauteur le premier, scrutant la mer comme perché sur un balcon, un géant finalement assez romantique et mélancolique.
Il n'est peut-être pas la bête sauvage et enragée qui fera la fascination des esprits.
Nous savons que la richesse de l'oeuvre reposera aussi sur cette ambivalence, ce renversement qui fera de l'homme blanc le prédateur dans sa jungle urbaine, avec la bête une fois capturée et ramenée en Amérique, pour y être exhibée comme un monstre de foire chic sur les planches de Broadway.
La version de
Fred Bernard sera en effet dans l'émotion, la tendre aussi et non toujours dans la peur.
L'auteur trouvera des raisons à peu près à chacun pour faire ce qu'il aura à faire, en peu de mots: aux indigènes, cannibales par nécessité, à Jack, qui travaillera dur en tant que second du capitaine du bateau qui arrive sur l'île de Kong; à Ann, jeune actrice qui se laissera tenter par une offre de film très loin de l'Amérique, pour gagner un peu d'argent.
Carl Denham, le réalisateur, ne nous apparaitra pas forcément déja comme un personnage égoïste et malfaisant.
Fred Bernard soulignera juste la passion du cinéma et l'envie d'aller au bout de son projet.
Mais les actes parleront pour lui par la suite.
Nous percevrons le caractère périlleux de l'affaire, tourner un film sur une terre peut-être hostile.
Il y aura pourtant plus à redouter que les tribus que Carl Denham tentera de rouler pour obtenir ses avantages.
Mais qui roulera qui?
Car les tribus savent qui vit aussi ici.
Les auteurs ne perdront pas de temps à nous lancer des les temps forts de l'histoire et en quelques raccourcis nous serons dans la véritable "Action!".
Pourquoi se précipiter?
Pour l'accessibilité de la version, bien sûr, d'une part.
Et aussi d'autre part, parce que l'occasion fera le larron, que l'enlèvement et le sacrifice de la pauvre Ann à la bête seront récupérés par l'odieux cinéaste qui commencera à tourner son film.
Le temps, c'est de l'argent.
Nous ressentirons du côté de la blonde jeune fille, prise entre les mains du primate comme dans un étau.
Courageuse, elle cherchera à l'apprivoiser.
Il y aura donc une psychologie des personnages qui sera intéressante à découvrir pour les lecteurs.
Nous distinguerons des nuances entre civilisation, sauvagerie et monstruosité.
Il y aura étrangement une véritable romance entre la Belle et la Bête dans l'amitié qui les unira.
Ce choix d'adaptation s'inscrira parfaitement bien dans l'ensemble des albums du duo d'auteurs
La version de
King Kong sera intéressante et bien entendue à découvrir pour les fans de Bernard et Roca, mais pas que.