Flaubert préoccupé d'atteindre dans ses romans une réalité objective disait que le romancier doit être absent de son œuvre et certains, notamment les Goncourt (Journal du 3 janvier 1861) voyaient un faiblesse : « Ce qui manque à Flaubert, ce défaut que nous cherchons depuis longtemps, c'est ce manque de cœur. » Cependant, malgré l'effacement volontaire, le style de Flaubert trahit l'influence de l'émotion sur l'imagination. Flaubert cherche une forme qui épouse l'idée, un mot qui ne soit plus un simple signe, dans lequel puissent transparaître à la fois l'idée et toute sa résonance affective dans la conscience de l'écrivain. « Un style rythmé comme le vers et précis comme le langage des sciences. » Le mot alors dépasse son propre sens intellectuel, il exprime toute la personne de l'auteur, consubstantiel à la pensée et au corps lui-même. Flaubert déclamait ses phrases. Elles étaient liées à son propre rythme respiratoire.
1219 - [Que-sais-je ? n° 649, p. 58-59]
C'est avec raison que Pierre Grimal a récemment fait remarquer l'inutilité des travaux d'Héraclès. Eurythée se cache au fond de son palais lorsque Héraclès ramène Cerbère aux Enfers. Les pommes d'or des Hespérides, si difficiles à conquérir, sont remises à Athéna qui le rattache à l'arbre où elles avaient été cueillies. Inutilité des efforts, mais courage du héros que la difficulté intéresse pour lui-même, qui se mesure avec joie à l'obstacle. Sans souci du résultat pratique afin d'éprouver sa propre puissance.
1215 - [Que sais-je ? n° 649, p. 46]
L'homme (...), en présence d'un échec, s'étonne et veut comprendre. L'insolite, l'inconnu lui causent inquiétude et malaise, ce sont des problèmes qui se posent et sa technique pour les résoudre est très imparfaite. Étonnement et conscience de sa faiblesse sont pour le primitif des tourments importants. L'angoisse se déroule dans son âme, parfois augmentée par des spectacles naturels grandioses mais sur lesquels l'habilité humaine n'a aucun pouvoir. Le primitif ne se résigne pas à une condition aussi précaire et ne pouvant expliquer il imagine, c'est-à-dire que ne pouvant atteindre la cause du phénomène qui l'effraie, il la crée. Le mythe, forme à la fois intellectuelle et émotive d'une pensée à ses débuts, apparaît. L'orage semble la puissance d'une puissance supérieure, un site désolé qu'on ne traverse qu'en tremblant paraît la demeure d'un être redoutable. Le primitif prête aux forces naturelles les caractères du psychisme humain : les émotions de colère, de vengeance, l'affirmation de la puissance. L'animisme collectif est à la base de tous les mythes.
1201 - [Que sais-je ? n° 649, p. 43-44]