Pendant deux heures et demie – la durée du vol – j’allais jouer le rôle d’une fille riche, habituée au luxe et à la vie facile. Jouer un rôle, que dis-je ? Le terme est impropre ! J’allais vivre un rêve, un rêve inattendu et d’autant plus merveilleux que mon voisin, choisi par le plus prévenant des hasards, un jeune homme brun,racé, au teint basané, aux grands yeux très noirs, m’adressait déjà un sourire de bienvenue. Je lui rendis son salut avec une certaine gravité que je croyais convenir au personnage que j’avais décidé d’incarner.
Je compris que mon compagnon de vol risquait fort de partager ma semaine de vacances, de devenir un ami, un ami que je devrais me garder de trop apprécier, j’allais déjà dire : « de trop aimer ». Ami, aimer, ces mots n’ont-ils pas une commune origine ? Mais, que pourrais-je avoir de commun avec José-Luis de Laritonga sinon une destination, choisie parce que nous appréciions l’un et l’autre l’insolite et que nous voulions admirer l’extraordinaire panorama de l’île aux cent volcans ?
Un jeune avocat est commis d’office lorsque les justiciables sont trop pauvres pour payer un défenseur. J’ai choisi cette profession pour aider mon prochain, surtout les déshérités, les victimes, toutes les victimes de la société ou de l’aveuglement du pouvoir, toutes « mes brebis galeuses et mon gibier de potence » comme les appelle doña Dolorès lorsqu’elle est en colère contre moi.
C’est ma vie entière que j’aurais aimé lui consacrer et non pas une courte semaine pour une brève rencontre. Mais j’incarnais Cendrillon, hélas, sans avoir à tenir de rôle. Et, les contes de fées, je me le répétais depuis la veille, appartiennent au domaine du rêve.
Lorsque j’avais quinze ans, je me passionnais pour l’aéronautique, je souhaitais piloter plus tard un de ces grands avions de ligne. Mais, dès que j’ouvris la bouche pour confier cette vocation à ma famille, on me déclara tout net qu’elle était incongrue.