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EAN : 9791091281874
Presses de l'Enssib (24/01/2017)
4.5/5   3 notes
Résumé :
Lucien Febvre avait en tête d’écrire une histoire de la fiche érudite. Ce dispositif, connu dans le monde des bibliothèques, a eu des effets très directs et concrets sur les savoirs savants, leur accumulation, leur validation, et leur diffusion entre 1850 et 1980.

L’ouvrage croise une approche historique, linguistique, anthropologique, voire pathologique, d’outils dont le but est d’inscrire des données, mais aussi de compiler, de commenter, de croiser... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
(Attention : la version blog comporte une magnifique photographie de Paul Otlet devant un fichier. Aucune fiche n'a été réalisée pour rédiger cette chronique.)

La fiche érudite ? Que voilà un petit trou de serrure pour s'intéresser à l'histoire de l'apprentissage et des productions du savoir ! Et pourtant, ça marche : à travers l'histoire de l'usage des fiches chez les savants, étudiants et professionnels, Jean-François Bert trace les grandes lignes de l'évolution du savoir au XIXe et XXe siècle. On peut se demander ce qu'une étudiante hyper-connectée dans mon genre, toujours rivée à son smartphone et qui fait tout pour ses révisions sauf des fiches pourrait trouver à cette étude. En fait c'est que, d'une part, je voulais mieux connaître mon ennemi ; d'autre part, surtout, j'ai voulu savoir ce qui se jouait derrière cette nouvelle manière d'indexer et d'organiser le savoir.

Parce que s'il y a quelque chose qui m'a passionnée dans mes révisions pour les concours des bibliothèques, ça a été de voir toute les réflexions qui sous-tendaient l'organisation de l'information. A première vue, une bibliothèque, c'est pas quelque chose de bien compliqué. Assez pour qu'on me demande fréquemment pourquoi j'ai fait tant d'étude pour passer ces concours, surtout que j'allais ensuite être payée à lire derrière mon comptoir (non). Mais il suffit d'y réfléchir quelques minutes pour que des problèmes de taille apparaissent : dans quel ordre disposer les livres ? Selon quels critères les classer ? Que proposer au libre-accès, que remiser en magasin ? Quelles informations faire figurer au catalogue ? Borgès déclarait dans un entretien accordé au Monde, en 1983 : Ordonner une bibliothèque est une manière silencieuse d'exercer l'art de la critique. Et je me souviens avoir arboré cette phrase en signature sur de vieux forums bien avant de me destiner à tout ça, et bien avant d'avoir réellement lu Borgès, alors c'est bien qu'il y a quelque chose qui me secoue là-dedans.

Si vous pourriez penser que je m'éloigne de mon sujet, songez qu'un fichier organisé n'est peut-être qu'une bibliothèque miniature. Les meubles imposants ont bientôt offert, par certains procédés techniques, de nouvelles possibilités d'organisation et de classement qui vont profondément bouleverser les pratiques d'écriture des érudits. La fiche pré-existe cependant au fichier. le premier chapitre, de la pile à la fiche, revient sur l'usage des bandelettes (schedulae) qui remontent au XVIe siècle. L'enjeu est de taille : il s'agit de produire des notes facilement transportables et qu'il est possible de reclasser au gré des besoins. L'auteur cite l'exemple du savant Lesage qui, fin XVIIIe, détourne de leur usage d'anciennes cartes à jouer pour noter ses hypothèses et l'évolution de sa pensée. le format de la fiche telle que nous l'imaginons encore est prêt à naître.


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Paul Otlet, chez lui. Devant des fiches.
En effet, question du format devient rapidement aussi fondamentale que conflictuelle. Querelle de savants, pensez-vous ? Pas uniquement : l'idée de travailler sur des fiches au format standardisé ouvre de nouvelles possibilités, notamment pour les institutions : plusieurs personnes peuvent travailler de concert pour indexer un contenu. Au tout début du XXe, c'est sous l'impulsion de Paul Otlet qu'un format standart est adopté pour les fiches de catalogage. Paul Otlet n'est pas tout à fait un inconnu dans la profession puisque c'est aussi lui qui met en place la Classification Décimale Universelle (CDU) qui a été utilisée dans beaucoup de bibliothèques universitaires françaises jusque dans les années 1980 et qui a toujours cours en Belgique. Mais revenons à nos fiches standard. Il n'est plus possible, sur des fiches au format réduit, d'être exhaustif. La méthodologie du fichage est enseignée en Sorbonne jusque dans les années 30. L'exigence du format force ainsi les nouvelles générations de chercheurs à cadrer leurs brouillons, et leurs travaux s'en ressentent.

Trop, peut-être. C'est en tout cas ce que leur reproche la génération suivante de penseurs, notamment Henri Bergson, Lucien Febvre ou Marc Bloch. Charles Péguy dénonce une idolâtrie du document, qui revient à étouffer le réel dans des boîtes bien étiquetées. le ficheur apparaît alors comme un moine copiste moderne, au travail ingrat ; un forçat de la prise de notes, un ouvrier, à dix mille lieues de l'enthousiasme plein de vie d'un étudiant qui se destine à la recherche. Jean-François Bert, après avoir énoncé les multiples avantages du système et les nouveaux recoupements de l'information permis, s'attarde sur les usages plus pathologiques de la fiche. Réapparaissent tous les vieux démons du chercheur, de la perte de la mémoire, déjà induite par la prise de notes simples (à quoi bon s'en souvenir puisque je l'ai noté quelque part ?) au fantasme de l'impossible copie du réel. le dernier chapitre s'interroge sur les survivances de la mise en fiche aujourd'hui.

A l'heure de l'informatisation, que reste-t-il de la mise en fiche ? Si l'auteur décrit des usages informatiques qui s'inspirent tant des fichiers d'autrefois qu'ils ne les remplacent, la future bibliothécaire que j'aimerais être doit lui confesser quelque chose : je ne fiche rien. J'ai pourtant lu Guyot-Daubès, dans un de ses multiples manuels du début du siècle : L'Art de classer les notes et de garder le fruit de ses lectures et de ses travaux, Bibliothèque d'éducation attrayante, 1891, et avec attention. Rien n'y a fait. Je prends en note, pourtant, mais linéairement, dans des cahiers thématiques : j'en suis au deuxième cahier de thèse (et 7ème depuis le Master consacré à mon sujet de recherche) ; à trois cahiers sur les différents sujets des bibliothèques, et à un carnet généraliste destiné à mes lectures, idées de billets ou de textes à écrire. L'information est insuffisamment indexée et je n'ai plus qu'à me souvenir du moment où j'ai appris et pris en note quelque chose, plutôt que son indexation thématique. C'est un système qui, je l'avoue, ne supportera peut-être pas le long terme, mais il me permet d'étiqueter mes cahiers et de les classer par ordre, dans une illusion d'ordre. Peut-être qu'avec la linéarité des blogs, des carnets de recherche, on s'éloigne de la synthèse propre à la mise en fiche pour donner de la place aux processus réflexifs et à leur évolution. Peut-être aussi que les différents modes d'indexation rendus possibles par l'informatique (catégories, tags et mots-clé, menus) remplissent ce rôle à notre place.

Dans tous les cas, Une histoire de la fiche érudite nous rappelle que nos méthodes de travail, qui nous paraissent si acquises, dépendent des procédés techniques que nous avons en main. Il permet de contextualiser autrement la rédaction des travaux d'érudition des siècles précédents et, ce faisant, interroge nos possibilités de travail et de synthèse. Par l'histoire d'un outil aussi désuet en apparence que la fiche, il nous laisse ainsi entrevoir les grandes métamorphoses des sciences humaines, et les différentes étapes de leur recherche de scientificité. Je me souviens de ces gros fichiers encombrants, au boulot, qui renferment encore des foules d'information qui ne figurent pas toutes au catalogue, et qui constitueraient peut-être l'intéressant point de départ à des bases de données en ligne. Jean-François Bert nous le rappelle : nous avons encore beaucoup à tirer des fiches et des fichiers, et on ne peut qu'espérer à sa suite que le sujet fera l'objet de nouvelles recherches.

Merci aux Presses de l'Enssib et à Babelio pour m'avoir envoyé ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique.
Lien : https://gnossiennes.wordpres..
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Je remercie Babelio et les éditions Presses de l'ENSSIB ( Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques ) de m'avoir adressé Une histoire de la fiche érudite de Jean-François Bert, maître d'enseignement et de recherche - université de Lausanne. La préface "L'empire des fiches" a été rédigée par Christian Jacob, directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'EHESS. Une version de cet ouvrage a été mise en ligne à titre expérimental.
Le sujet d'étude de ce livre concerne bon nombre de personnes : qui n'a pas au cours de ses études ou dans sa vie professionnelle rédigé des fiches ? Il est intéressant de découvrir l'évolution de cette pratique au fil des siècles. En outre, cet ouvrage facilite la visualisation du matériel employé ( types de fiches et mobilier permettant de les classer ) grâce à ses nombreuses illustration. Enfin les notes au bas des pages permettent de savoir quelles ont été les sources de l'auteur au cours de la rédaction.
Le seul bémol : le chapitre consacré aux "nouvelles technologies du numérique" ( La révolution "digitale" et les fiches page 120 ) paraîtra trop sommaire à certains lecteurs, mais ce n'était pas le sujet d'étude sur lequel l'auteur souhaitait se focaliser.
Une lecture à la portée de tous, un élargissement indubitable des connaissances que l'on a généralement sur l'évolution de la conception des fiches et de leur réalisation. On y retrouve certains conseils pédagogiques qui font écho à ceux que l'on peut encore entendre de nos jours. Une lecture enrichissante !
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Ce livre a pour but de retracer la diffusion et les transformations de la mise en fiche dans l'ensemble de la communauté savante et par cela, il interroge trois impensés de l'histoire des sciences humaines : l'identité du savant pour lequel la fiche est devenu un élément de distinction, les styles savants et les savoir-faire scripturaires partagés par une communauté.
J'ai apprécié la lecture de ce livre. Il est fluide même si l'accumulation d'exemples dans les deux derniers chapitres n'est pas toujours utiles à mes yeux. Il se lit vite notamment car son construction est bien pensée.
Cet ouvrage m'a apporté de nouvelles perspectives, j'avais clairement sous-estimé l'importance des outils dans les sciences et de leurs implications. Voilà une erreur de réparée.
Lien : http://wp.me/p78LJM-eQ
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
D'une redoutable efficacité, la fiche facilite les renvois, rend possible une lecture fragmentaire, sert à multiplier les informations ponctuelles, à les compiler, à les commenter, à les expliciter, à les vérifier et à les corriger, ou encore à les authentifier. Elle engage aussi la question de la visualisation, et de la remémoration. Dans bien des cas, enfin, elle favorise l'inventivité et encourage l'imagination, incitant même le savant à entrer dans l'écriture et dans l' envie de transmettre au plus grand nombre le résultat de ses recherches.
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En rendant les savoirs concrets, visibles, accessibles d'un coup de main, le système de la fiche facilite l'oubli, encourage l'amnésie. Il n'est plus nécessaire d'exercer sa mémoire puisque désormais, et grâce à une série de signes particuliers comme l'emploi d'une couleur ou l'organisation spatiale de la fiche, tout est fait pour soulager le savant de ce travail de mémorisation, au point de le rendre totalement inutile. Il devient plus important de se rappeler le lieu de stockage de l'information que l'information elle-même.
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Antoine Albalat y associe également la question de la mémorisation :
si on enseignait aux élèves à faire des fiches, ils retiendraient infiniment plus de choses, et beaucoup plus facilement, parce que l'obligation seule de les écrire les leur graverait dans l'esprit, parce que relire c'est continuer à apprendre, et parce qu'enfin il y a toujours quelque chance de mieux retenir ce qu'on a pris la peine de ne pas perdre de vue. ( Antoine Albalat, Comment on devient écrivain, Paris, Plon, 1925, page 145 )
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L'armoire érudite a permis d'améliorer sensiblement la qualité et la fiabilité des informations recueillies sur fiches, mettant en avant l'idée d'une possible standardisation du travail d'érudition. Cependant, il faut attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour que la question du mobilier devienne une préoccupation constante tant pour les savants que pour les diverses institutions qui ont fait le choix de recourir à la pratique du fichier.
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Mémoire défaillante, synthèse impossible, enfouissement sous des détails insignifiants, incapacité à les relier... Les opposants au système blâment plus particulièrement sa mécanique - son infrastructure - en montrant comment celle-ci inhibe la faculté d'imagination de l'usager. Un défaut que la fiche partage de manière générale avec l'écrit qui a tendance à fixer, figer l'imagination et donc l'innovation.
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