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Max Milner (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070321865
350 pages
Gallimard (21/02/1980)
3.97/5   247 notes
Résumé :
En 1842, un an après la mort de son discret auteur, la première édition de Gaspard de la Nuit ne rencontre guère que le silence: vingt exemplaires à peine en sont vendus. Et il est vrai que les premiers lecteurs étaient sans doute mal préparés à la découverte de ce recueil de courtes "fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot" qui offraient à la fois l'apparence de la prose et la réalité d'une pure écriture poétique.
Il faudra attendre Baudelaire pour... >Voir plus
Que lire après Gaspard de la nuitVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Gaspard de la Nuit est une oeuvre posthume de Louis Jacques Napoléon Bertrand. Pauvre, mort à l'âge de 34 ans, la tentative d'Aloysius de se démarquer de ses maîtres romantiques, Hugo et Walter Scott, n'aboutira que des années plus tard, reconnue par Baudelaire, Mallarmé, et plus tard par les surréalistes.

Gaspard de la Nuit, réputé être l'un des premiers recueils de poésie en prose, intrigue en effet dans sa forme. S'inspirant de la peinture de Rembrandt et de Callot, Aloysius y convoque tout un univers gothique de clochers, châteaux, monastères, où évoluent brigands, gnomes, sorcières et alchimistes. Ses personnages, au premier rang desquels Ondine et Gaspard, sont à l'image de sa poésie en prose : ils semblent errer en eau trouble et mouvante, lunatiques et noirs.

Ce n'est pas l'originalité des thèmes qui se dégage, mais une ambiance particulière, qui me fait un peu aux Contes Fantastiques de Gautier. Les tableaux sont lyriques, parfois non dénués de maniérisme.

Ce faisant, Aloysisus semble bien annoncer Baudelaire, Rimbaud, puis les libérations formelles d'Apollinaire et des surréalistes ; mais l'alchimie du verbe, la convocation de Lucifer semble comme retenue, lascive. Malgré sa recherche d'une forme libre, sa poésie reste bien dans la veine romantique de son temps. La langue y est recherchée, maîtrisée, rigoureuse.

Bref, un recueil qu interpelle agréablement, et vaut d'être lu pour son côté expérimental, traçant un trait d'union entre la poésie plus authentiquement gothique de Villon ou Rutebeuf et les hardiesses des créateurs qui le suivront . Entre Rembrandt à qui il se réfère, et Magritte, qui lui rendra hommage, il est peintre en poésie. Entre les lamentations funéraires et les interprétations modernes de ses personnages par Maurice Ravel, il fait lien aussi en musique. Architecte enfin, il me semble être un peu le Violet-Leduc des châteaux et clochers des siècles passés.
Sa poésie recherchée et peaufinée nous porte dans un monde moyenâgeux de fantaisie, certes pas avec la puissance de Hugo, ni la fougue de Rimbaud, mais dans une dolente ivresse, travaillée et troublante.
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Aloysius Bertrand, poète dijonnais, est mort très jeune, dans la misère et oublié de tous. Il est sans doute un des plus grands poètes maudits de notre XIXème siècle.

Baudelaire lui rend hommage comme à l'un de ses prédécesseurs dans l'"invention" du poème en prose.

Amoureux de sa belle ville, fou de moyen-âge, féru de peinture, de gravure et ami du sculpteur David d'Angers qui fit son masque mortuaire, Aloysius a produit avec Gaspard de la Nuit une oeuvre étonnante dont les poèmes souvent inspirés de dessins ont à leur tour inspiré les musiciens -surtout Ravel ...

Ses poèmes renvoient aux gravures fantastiques de Callot, à celles toutes mystiques de Rembrandt, et à la peinture de genre hollandaise: de Hooch, van Laer, Teniers entre autres..

On feuillette, en le lisant, un livre étrange semé d'enluminures médiévales, de dessins grimaçants et diaboliques, de rassurantes scènes de cabaret, de graves méditations philosophiques,d'ardentes recherches alchimiques.

Il faut redécouvrir ces poèmes qui sont de petites pochades drôles, inquiétantes...toutes incroyablement travaillées, avec un art consommé de l'ellipse, de l'humour (noir) et une magistrale musicalité malgré l'absence de rimes...

Ma préférence va à la silhouette diabolique de Scarbo, figure récurrente dans le recueil, et qui esquisse une macabre sarabande entre les pages et fait penser à une créature échappée des peintures de Hiéronymus Bosch...
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Une oeuvre baroque au sens de bizarre, originale et étrange. Je n'ai pas assez de connaissances pour savoir qui Bertrand annonce ou précède, mais je vois bien la force évocatrices de ses images. Mais plus qu'à des peintures, c'est à des gravures - voire à des enluminures - que j'ai pensé : pas de grands paysages ou de vastes scènes de batailles épiques, mais des descriptions précises, fines et ciselées, où quelques détails permettent de faire surgir tout un monde. Car, oui, sur la thématique, l'oeuvre s'inscrit bien dans le début du romantisme - ou du pré-romantisme. D'ailleurs, presque tous les grands poètes du début du XIXème siècle sont convoqués, par des citations ou des dédicaces, ou par des hommages - Victor Hugo, Lamartine, Chateaubriand, des brigands farouches comme chez Schiller, des chevaliers comme chez Scott... On retrouve ainsi toute la passion de ces auteurs pour le Moyen-Âge et ses donjons, ses bouffons et ses lépreux. Il y a un début d'Orient, l'Espagne mauresque et l'Italie vénitienne, avec masques, églises, moines et bohémiennes.
L'originalité vient donc plus de la première partie, "L'Ecole flamande", car Bruges et Amsterdam sont moins présentes dans notre littérature, lorsque le gris des vapeurs de brouillard montant des canaux transpercé par un rare soleil évoque Rembrandt, évoqué en premier dans la préface par l'auteur lui-même. Mais il y a peut-être plus de Callot - le Callot de la guerre de Trente Ans, qui montre les horreurs de la guerre : que de pendus !
J'ai donc cru qu'il y a aurait peut-être trop de clichés, mais j'ai finalement été séduite par la beauté de la langue, sa force évocatrice et immersive, où il suffit de peu de mots pour faire surgir un monde.
Je regrette néanmoins que les femmes soient si peu absentes, ou seulement de façon éthérée, le poète y pense de façon spirituelle, pas charnelle. Je regrette aussi un peu la briéveté de la majorité des poèmes, qui évoquent un décor et s'arrêtent là si je peux dire, alors que j'aurais eu envie que "l'histoire" continue.
Dans le dernier poème, assez déchirant, "A M. de Sainte-Beuve", le poète se compare lui-même à un "fou qui écrit un livre", qu'il faut lire tel quel "avant que les commentateurs ne l'obscurcissent de leur éclaircissement", et je m'en veux d'avoir cherché à le comprendre au lieu de le ressentir.
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Malgré mon statut d'enseignant, je suis peu attiré par la poésie, c'est un tort je le sais.
L'autre nuit, je me suis souvenu d'un poème "Ondine" étudié en première avec un professeur qui n'est plus malheureusement. Et bim, j'ai sauté sur Aloysius Bertrand.

Au premier abord, la prose c'est cool, on se dit qu'on va lire un roman avec des rimes et puis... non!! ( ce commentaire est pour nos jeunes lecteurs)
Ne nous décourageons pas dès la première page l'introduction donne le ton avec un " l'enfance est un papillon qui se hâte de bruler ses blanches ailes aux flammes de la jeunesse". Et là mon pote, Aloysius t'a pécho !!!

Malgré une multitude de notes, de remarques, d'observations, chaque poème nécessite un peu de travail mais beaucoup valent le coup. Enrichissement de vocabulaire garantie.

De quoi envouter, vous aussi, votre Ondine...
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J'ai adoré ! Un chef d'oeuvre de poésie où l'on voyage dans le monde (surtout à Dijon, en fait ;) ), où le vent nous amène des milliers d'effluves parfumées de fleurs, ou l'on vogue sur les mots comme dans un voyage dans le temps, où l'on s'émerveille des paysages fantastiques ou réels...

De tous les livres poétiques lus depuis le début de l'année, je préfère nettement celui-ci. L'univers et l'écriture m'ont conquise et la sensibilité poétique de l'auteur, très fleurie, très musicale, très galante et romantique, me sied plus que Baudelaire ou Apollinaire. Oserais-je dire que Aloysius Bertrand a détrôné la première place de mon poète préféré à notre cher Baudelaire ?
Sur le moment du coup de coeur, je dirais oui. Mais c'est encore incertain, toujours est-il que j'aime beaucoup ce style poétique et ces deux auteurs de poésie particulièrement.

Quel superbe recueil, riche, varié dans ses thèmes, ses paysages et ses réflexions, et si finement écrit !
Pour moi, de la bonne poésie, c'est :

-->un art d'écrire avec de très jolis mots sur un flot rythmique et des vers mélodieux qui viennent souffler les mots comme une douce mélodie
--> une ode à la nature et à nos sens : quand le parfum des fleurs nous enivre, quand le clair de lune à la tombée de la nuit réveille notre âme dans ses tourments, quand le bruissement des feuilles dans une forêt nous rappellent l'ombre d'ondines ou d'elfes d'un autre temps ou d'un monde invisible...
--> des réflexions philosophiques sur le monde, sur nous-même et sur les autres avec un regard profondément observateur et sensible.

Heureuse d'avoir découvert ce recueil poétique et cet auteur, grâce notamment à de belles critiques lues sur Babelio.
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Citations et extraits (82) Voir plus Ajouter une citation
Ondine

- " Écoute ! - Écoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui
frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta
fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ;
et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui
contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau
lac endormi.

" Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant,
chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais,
et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le
triangle du feu, de la terre et de l'air.

" Écoute ! - Écoute ! - Mon père bat l'eau coassante
d'une branche d'aulne verte, et mes sœurs caressent de
leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénu-
phars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et
barbu qui pêche à la ligne ! "


Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son
anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et
de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle,
boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa
un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisse-
lèrent blanches le long de mes vitraux bleus.
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Il était nuit. Ce furent d'abord, – ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, – une abbaye aux murailles lézardées par la lune, une forêt percée de sentiers tortueux, – et le morimont grouillant de capes et de chapeaux.

Ce furent ensuite, – ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, – le glas funèbre d'une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, – des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d'une ramée, – et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice. Ce furent enfin, – ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, – un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, – une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d'un chêne, – et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue. Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.

Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, – et je poursuivais d'autres songes vers le réveil.
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LA RONDE SOUS LA CLOCHE


C’était un bâtiment lourd, presque carré, entouré de ruines, et dont la tour principale, qui possédait encore son horloge, dominait tout le quartier.
Fenimore Cooper.


Douze magiciens dansaient une ronde sous la grosse cloche de Saint-Jean. Ils évoquèrent l’orage l’un après l’autre, et du fond de mon lit je comptai avec épouvante douze voix qui traversèrent processionnellement les ténèbres.

Aussitôt la lune courut se cacher derrière les nuées, et une pluie mêlée d’éclairs et de tourbillons fouetta ma fenêtre, tandis que les girouettes criaient comme des grues en sentinelle sur qui crève l’averse dans les bois.

La chanterelle de mon luth, appendu à la cloison, éclata ; mon chardonneret battit de l’aile dans sa cage ; quelque esprit curieux tourna un feuillet du Roman de la Rose qui dormait sur mon pupitre.

Mais soudain gronda la foudre au haut de Saint-Jean. Les enchanteurs s’évanouirent frappés à mort, et je vis de loin leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher.

Cette effrayante lueur peignait des rouges flammes du purgatoire et de l’enfer les murailles de la gothique église, et prolongeait sur les maisons voisines l’ombre de la statue gigantesque de Saint-Jean.

Les girouettes se rouillèrent ; la lune fondit les nuées gris de perle ; la pluie ne tomba plus que goutte à goutte des bords du toit, et la brise, ouvrant ma fenêtre mal close, jeta sur mon oreiller les fleurs de mon jasmin secoué par l’orage.
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L’Écolier de Leyde

Il s’assied dans son fauteuil de velours d’Utrecht, messire Blasius, le menton dans sa fraise de fine dentelle, comme une volaille qu’un cuisinier s’est rôtie sur une faïence.
Il s’assied devant sa banque pour compter la monnaie d’un demi-florin ; moi, pauvre écolier de Leyde, qui ai un bonnet et une culotte percée, debout sur un pied comme une grue sur un pal.
Voilà le trébuchet qui sort de la boîte de laque aux bizarres figures chinoises, comme une araignée qui, repliant ses longs bras, se réfugie dans une tulipe nuancée de mille couleurs.
Ne dirait-on pas, à voir la mine allongée du maître, trembler ses doigts décharnés découplant les pièces d’or, d’un voleur pris sur le fait et contraint, le pistolet sur la gorge, de rendre à Dieu ce qu’il a gagné avec le diable ?
Mon florin que tu examines avec défiance à travers la loupe est moins équivoque et louche que ton petit œil gris, qui fume comme un lampion mal éteint.
Le trébuchet est rentré dans sa boîte de laque aux brillantes figures chinoises, messire Blasius s’est levé à demi de son fauteuil de velours d’Utrecht, et moi, saluant jusqu’à terre, je sors à reculons, pauvre écolier de Leyde qui ai bas et chausses percés.
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J'escaladai ma mansarde, et là, comme j'épelais curieusement le livre énigmatique, devant la fenêtre baignée d'un clair de lune, soudain il me sembla que le doigt de Dieu effleurait le clavier de l'orgue universel. Ainsi les phalènes bourdonnantes se dégagent du sein des fleurs qui pâment leurs lèvres aux baisers de la nuit. J'enjambai la fenêtre et je regardai en bas. O surprise! Rêvais-je? Une terrasse que je n'avais pas soupçonnée aux suaves émanations de ses orangers, une jeune fille, vêtue de blanc, qui jouait de la harpe, un vieillard, vêtu de noir, qui priait à genoux! (...)

La musicienne était son unique enfant, blonde et frêle beauté de dix-sept ans qu'effeuillait un mal de langueur (...)

Ah! monsieur, ne remuons pas une cendre encore inassoupie! Elisabeth n'est plus qu'une Béatrix à la robe azurée. Elle est morte, monsieur, morte! et voici l'eucologe où elle épanchait sa timide prière, la rose où elle a exhalé son âme innocente. - Fleur desséchée en bouton comme elle! - Livre fermé comme le livre de sa destinée! - Reliques bénies qu'elle ne méconnaîtra pas dans l'éternité, aux larmes dont elles seront trempées, quand la trompette de l'archange ayant rompu la pierre de mon tombeau, je m'élancerai par-delà tous les mondes jusqu'à la vierge adorée pour m'asseoir enfin près d'elle sous les regards de Dieu!
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Videos de Aloysius Bertrand (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Aloysius Bertrand
Aloysius BERTRAND – Gaspard de la nuit : relecture d'un chef-d'œuvre (France Culture, 1981) L'émission "Relecture", par Hubert Juin, diffusée le 26 juin 1981 sur France Culture. Présences : Jean Gaulmier, Jean-Luc Steinmetz et Max Milner. Lecture : François Maistre, Pierre Mickaël, Bérangère Dautun.
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