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Juliette Bertrand (Traducteur)
EAN : 9782070362370
510 pages
Gallimard (26/10/1972)
4.22/5   282 notes
Résumé :
Kaputt est un livre cruel et gai. Sa gaîté cruelle est la plus extraordinaire expérience que j'aie tirée du spectacle de l'Europe au cours de ces années de guerre. Parmi les protagonistes de ce livre, la guerre n'en joue pas moins le rôle d''un personnage secondaire. Si les prétextes inévitables, n'appartenaient pas à l'ordre de la fatalité, on pourrait dire qu'elle n'a de valeur que de prétexte. Dans Kaputt la guerre vaut don comme fatalité. Elle n'y entre pas autr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
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Malaparte offre l'occasion d'évoquer les relations assez particulières de la Roumanie et de l'Italie, qui est la première destination des émigrants roumains mais pas d'un point de vue littéraire, puisqu'on ne compte quasiment aucun écrivain roumain en Italie. Certains écrivains italiens se sont intéressés à la Roumanie néanmoins, comme Claudio Magris, Dario Fo, Grigore Arbore, et Curzio Malaparte. Pas à ses meilleurs côtés pour ce dernier, puisque le propos de "Kaputt", c'est la guerre. La Roumanie y tient une part non négligeable et le livre de Malaparte est une des seules descriptions que je connaisse du pogrom de Jassy. L'atroce épisode étant relativement connu, je m'attarde un peu plus sur le petit chapitre intitulé "Les filles de Soroca". Nous sommes donc à Soroca, aujourd'hui en république de Moldavie, où l'on parle au moins roumain et russe. Des filles juives survivent misérablement dans les champs. Les Allemands les capturent et les enrôlent dans un bordel militaire, où elles se relayent, du moins c'est ce qu'elles pensent. Toutes se rattachent à cet espoir d'un ailleurs, d'autre chose, harassées. Mais, bien entendu, elles sont fusillées après avoir "servi". Malaparte raconte l'histoire d'une de ces filles, à laquelle un soir il tient la main, à Louise de Hohenzollern. C'est une autre force de ce livre : ses aspects mondains, la fréquentation du comte Galeazzo, du prince de Suède, des réceptions de Hans Frank, gouverneur général de Pologne, où le contraste est le plus marquant entre un homme qui donne tous les aspects de la civilisation, voire d'une culture raffinée, et l'indigence du ghetto de Varsovie. Il finit par trouver une conclusion à la hauteur lorsque Frank "joue" à tirer sur un enfant, censé avoir été pris pour un rat, qui tentait de sortir par le mur du ghetto. Et puis vous devez absolument lire Kaputt pour savoir ce que des chevaux peuvent bien faire dans un lac et pourquoi ils ne bougent pas. Sur les atrocités de la guerre mondiale, car Malaparte est allé un peu partout, au moins en Europe, un livre essentiel sur l'essentiel. Pour ses parties qui divisent l'espèce humaine en animaux (les rats, les mouches…), je le rapproche de Vittorini, essentiel aussi, pour qui il y avait "Les hommes et les autres". Mais pour sa narration d'épisodes marquants, sa cruauté baroque et son humble mais furieux et sanguin besoin de liberté en conclusion, il est définitivement unique.
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Curieux Curzio. Drôle de gus.
Italien, il appartient à une génération européenne qui n'a pas eu de bol puisqu'elle a dû vivre les deux guerres mondiales. Lui en a tiré des livres. Son parcours est plutôt trouble : vaguement artiste, journaliste, diplomate et finalement romancier. Fasciste de la première heure, plus tard emprisonné par le régime pour ses écrits, puis libéré et envoyé comme correspondant de guerre auprès des armées alliées de l'Italie. Enfin refaisant surface en suivant les armées libératrice à partir du débarquement américain en Sicile.

Kaputt est son grand oeuvre sur la seconde guerre mondiale, écrit à la première personne. En tant que correspondant de guerre, il se déplace entre pays conquis par les Allemands et pays neutres. Allié des Allemands, il est transporté par la barbarie nazie dans ses bagages mais se voit telle la vipère dénonciatrice en son sein. Faisant preuve d'un courage plutôt impressionnant.
Quelle est la part inventée, où est la réalité ? Et de cette réalité, la part réellement vécue, la part rapportée ? Ce n'est finalement pas très important, cela fait bien longtemps qu'on sait qu'en littérature, le réalisme est plus fort que le réel. Et s'il ne peut s'empêcher d'en rajouter, de faire le mariole pour établir sa gloriole, c'est juste un trait qui n'est pas le moins intéressant du personnage.

La structure du livre en plusieurs partie est fantastique. Chaque partie a un thème, placé sous le signe d'un animal réel ou allégorique, et se déroule sous forme de conversations mondaines qui appellent des souvenirs de ses pérégrinations de correspondant de guerre, généralement atroces.
Parce qu'il est celui qui ramène à ses interlocuteurs protégés de l'arrière la dure expérience de la mort vécue depuis les abords des fronts. Avec toujours la volonté de les choquer (surtout les femmes) ou de leur mettre leurs méfaits sous les yeux (surtout aux dignitaires nazis).

Ainsi, chaque partie a son contexte : un dialogue avec le frère du roi de Suède, la petite cour nazie du gouverneur général de Pologne, les cercles diplomatiques en Finlande, des amies allemandes retrouvées à Postdam, l'État-major allemand en Finlande, la valetaille fasciste au club house du golf de Rome.
Les conversations ont lieu dans un monde encore préservé, vestige de la grandeur culturelle Viennoise qu'il fréquenta (ou pas ?), vestige de la bande de révolutionnaires fascistes de la première heure dont il fut, vestige de la vie parisienne des années folles où il alla puiser la modernité artistique… Encore préservé mais déjà détérioré, perverti d'avoir embrassé les dictatures, et en voie de disparition de plus en plus consciente.
Les horreurs décrites le plus en détail sont finalement davantage celles proférées par les dignitaires nazis que celles perpétrées par les brutes qui leurs servent de sbires. le mal vient du haut. Certes, il y a des descriptions de pogroms, de massacres, d'exterminations. Malaparte a vu la solution finale « artisanale » d'Europe Centrale et de l'Est, et elle n'était pas belle à voir. Mais les échanges dans le petit monde nazi sont proprement effarants, d'autant qu'ils sont retranscrits (ou exagérés ?) avec complaisance.

Pour accentuer le réalisme, le style et l'ambiance varient entre les diverses conversations (aimables promenades dans la société cosmopolite des gens bien nés, climat bien plus tendu chez le petit caïd de Pologne), ainsi qu'entre les conversations et les souvenirs, ces derniers étant écrits dans un style plus journalistique.
S'ajoutent à cela de nombreuses répétitions. Comme le symptôme de quoi ? D'une tentative de poésie en prose parmi un chapelet d'horreurs ? D'un récit de conteur oral, avec ses trucs pour mieux immerger ses auditeurs ? En tous cas, de faire oeuvre de littérature, au-delà de ses articles qui sont parus à l'époque (et encore disponibles après avoir été compilés) alors que le roman est resté clandestin jusqu'à la libération.
Il y a enfin une attention aux détails, aux couleurs, aux ambiances de la nature environnante. Notamment cet Italien a visiblement été fasciné par la lumière des pays nordiques. Oscillant entre admiration (y compris une fixation bizarre sur les couleurs rose et vert pâles) et malaise : à quoi sert un soleil de minuit s'il n'y a aucun moment de la journée où il est vraiment radieux comme dans la Péninsule ?

Le tout en fait un grand livre, peut-être le plus admirable de tous ceux que j'ai lus sur ce conflit.
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Après 5 ans de prison pour avoir critiqué Hitler, Malaparte, bien que surveillé par la Gestapo, parcourt l'Europe du nord en tant que correspondant de guerre pour le Corriere della Sera.

L'écriture est raffinée, délicate, à l'instar des champs de tournesols, des festins qu'il partage avec les généraux allemands, la cour de suède, les princesses moldaves et les représentants des Légations, délicatesse qui met d'autant en exergue l'horrible réalité du terrain, les prisonniers russes devenus antropophages, le ghetto de Varsovie, le pogrom de Jassy, les jeunes juives discrètement fusillées après vingt jours atroces au bordel militaire...

Mais le déclin allemand de 1942 est là avec les chiens russes dressés à se faire exploser sous les tanks ou les jeunes soldats allemands se suicidant lors des immenses nuits lapones.
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L’expérience de la guerre et de la barbarie poussée à son point ultime, dans un récit d’une sublime et délétère beauté.

Dans une courte préface, Curzio Malaparte (1898 – 1957) raconte l’histoire du manuscrit de «Kaputt», écrit sur le front de l’Est entre 1941 et 1943, dissimulé et transporté en plusieurs parties pendant la guerre pour être finalement publié à Naples en 1943, après le débarquement des alliés à Salerne. Témoin ambigu du cauchemar de la guerre, celui qui fut l’un des écrivains les plus controversés du XXème siècle livre avec «Kaputt» un récit hanté de visions, issu de son expérience de correspondant de guerre sur les fronts de l’Est.

Est-ce un roman ? Un témoignage ou une affabulation ? «Kaputt» est un abîme bouleversant et putréfié d’où sortent des rêves hallucinés, des visions spectrales et parfois sublimes, le récit du naufrage de l’humanité, de l’horreur de cette guerre qui semble être un hiver éternel dans les terres de Russie, de Pologne, d’Ukraine, de Roumanie et de Finlande.

«Kaputt» fait coexister l’horreur immonde et la terreur des ghettos et des massacres avec la beauté charnelle ou froide des paysages du nord, les dîners luxueux envahis par la putréfaction des dirigeants allemands et de leurs alliés, les diners de l’aristocratie étiolée et humiliée – spectacles décrits avec la sensibilité et le réalisme de toiles de Chardin, ou avec la dimension funèbre de toiles de Cranach.

Roman bouleversant d’un correspondant de guerre qui voulut tout voir, d’une beauté scandaleuse, d’une emphase démesurée, irritant tant le narrateur s’attribue constamment le beau rôle, «Kaputt» est un livre indispensable sur la guerre, l’illustration la plus sublime d’un monde en perdition.

«Dans cette pièce tiède aux parquets couverts de tapis épais, éclairée par cette lueur de miel froid que donnaient la lune et la flamme rose des bougies, les paroles, les gestes, les sourires des jeunes femmes évoquaient avec envie et regret un monde heureux, un monde immoral, jouisseur et servile, satisfait de sa sensualité et de sa vanité. Et l’odeur morte des roses, l’éclat éteint de l’argenterie ancienne et des vieilles porcelaines, le rappelaient à la mémoire avec une impression funèbre de chair putréfiée.»

«Les autres officiers, les camarades de Fréderic, sont jeunes aussi : vingt, vingt-cinq, trente ans. Mais tous portent sur leur figure jaune et ridée des signes de vieillesse, de décomposition, de mort. Tous ont l’œil humble et désespéré du renne. Ce sont des bêtes, pensé-je ; ce sont des bêtes sauvages, pensé-je avec horreur. Tous ont, sur leur visage et dans leurs yeux, la belle, la merveilleuse et la triste mansuétude des bêtes sauvages, tous ont cette folie concentrée et mélancolique des bêtes, leur mystérieuse innocence, leur terrible pitié.»

«À un certain moment, l’officier s’arrête devant l’enfant, le fixe longtemps en silence, puis lui dit d’une voix lente, lasse, remplie de contrariété :
– Ecoute, je ne veux pas te faire de mal. Tu n’es qu’un mioche ; je ne fais pas la guerre aux mioches. Tu as tiré sur mes soldats. Mais je ne fais pas la guerre aux enfants. Lieber Gott ! ce n’est pas moi qui l’ai inventée la guerre ! L’officier s’arrête, puis dit au garçon avec une douceur étrange : Ecoute, j’ai un œil de verre. Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel des deux est l’œil de verre, je te laisse partir, je te laisse en liberté.
– L’œil gauche, répond aussitôt le garçon.
– Comment as-tu fait pour t’en apercevoir ?
– Parce que des deux, c’est le seul qui ait une expression humaine.»

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/09/06/note-de-lecture-kaputt-curzio-malaparte/

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Kaputt
Traduction : Juliette Bertrand

Mort à 59 ans, en 1957, Malaparte n'a connu ni Fellini, ni Francis Ford Coppola. Pourtant, quand on lit cet incroyable voyage au coeur de la Seconde guerre mondiale effectué par un Italien d'origine allemande, c'est bien à ces deux cinéastes que l'on songe - et à tout ce qu'ils auraient pu en tirer.
Il y a là-dedans le baroque flamboyant d'un Fellini, son onirisme aussi et la cruauté aveugle et incroyablement sereine dont Coppola a tissé son "Apocalypse Now." "Apocalyptique" est d'ailleurs un adjectif qui convient à merveille à "Kaputt", surtout si on lui adjoint celui de "souterrain."
Roman ou chronique ? On suspecte bien Malaparte d'avoir peaufiné certains échanges, d'avoir ciselé nombre de détails. Mais le fond n'en sonne pas moins authentique, de cette authenticité qui est le propre du témoin oculaire.
Scindé en six parties, chacune placée sous le patronage d'une espèce animale : "Les chevaux - Les rats - Les chiens - Les oiseaux - Les rennes - Les mouches", "Kaputt" regorge d'images-choc peintes d'un pinceau magistral et auprès desquelles les photos les plus réalistes d'une certaine presse actuelle n'ont plus qu'à retourner dans le néant d'où elles n'auraient jamais dû sortir.
Des chevaux russes que le gel brutal d'un lac a emprisonnés dans la Mort alors qu'ils le traversaient ; l'extraordinaire portrait de Hans Franck, gouverneur général de Pologne, et de son épouse, recevant Malaparte à souper ; le cruel destin des chiens russes porteurs de mines et lancés à l'assaut des panzers allemands ; cette petite merveille de construction qu'est le chapitre nommé "Le Panier d'Huîtres" et qui révèle, sous l'humanité apparente de leur chef, l'impitoyable violence des oustachis croates ; le choc produit par la "chute" de la pêche au saumon du général von Heunert et le sens allégorique recelé par toute l'histoire ; la Cour des Miracles napolitaine qui se met en marche sous les bombardements dans l'avant-dernier chapitre ...
... et, à côté de cela, le récit du "Fusil fou", tout en tendresse et en ironie, qui parvient à faire sourire le lecteur, ou encore - mais là, on ne sourit pas, on ne peut que laisser monter le désespoir - le destin des jeunes Juives de Soroca et, bien sûr, pour les amateurs, le portrait au vitriol de la "cour" du comte Ciano, à Rome, le tout éclairé ou plutôt aveuglé par la glaciale lumière des latitudes polaires avant de sombrer dans celle, grouillante et sauvage, de Naples détruit, rasé, abruti sous les bombes ...
... font de "Kaputt" un livre unique, exceptionnel, d'une puissance d'évocation rarement égalée, qui empoigne le lecteur et ne le lâche pas d'une seule page, privilège littéraire réservé aux grands écrivains. Après l'avoir lu, on ne se demande pas ce que Malaparte a pu arranger à sa sauce, on reste le souffle coupé, dans la certitude absolue d'avoir plongé dans le Temps à ses côtés et d'avoir réellement vécu en sa compagnie l'immense, cruelle et cependant allègre tragédie de "Kaputt." ;o)
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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
10 avril 2019
Du Front de l’Est en 1941 à Capri en 1943-44, l’écrivain enregistre la matière dont il tirera son formidable Kaputt.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Aucun vin n'est aussi terrestre que le rouge vin de Bourgogne ; dans le reflet blanc de la neige , il avait la couleur de la terre , cette couleur pourpre et or des collines de la Côte-d'Or au coucher du soleil . Son souffle était profond , parfumé d'herbes et de feuilles comme un soir d'été bourguignon . Et aucun vin n'accompagne aussi intimement l'approche du soir que le vin de Nuits-Saint-Georges , n'est autant l'ami de la nuit que le vin de Nuits-Saint-Georges , nocturne jusque dans son nom , profond et semé d'éclair , comme une nuit d'été en Bourgogne . Il brille d'un éclat sanglant au seuil de la nuit comme , au bord cristallin de l'horizon , le feu du couchant . Il allume des lueurs rouges et bleues dans la terre couleur de pourpre , dans l'herbe et les feuilles d'arbres , encore chaudes des des saveurs et des arômes du soleil mourant . Les bêtes sauvages , à la tombée de la nuit , s'accagnardent profondément dans la terre , le sanglier rentre dans sa bauge avec des claquements précipités de branchages , le faisan au vol court et silencieux nage dans l'ombre qui déjà flotte au-dessus des bois et des prés , le lièvre agile se laisse glisser sur le premier rayon de la lune comme sur une corde raide d'argent . C'est là l'heure du vin de Bourgogne . A ce moment-là , par cette nuit d'hiver , dans cette pièce éclairée du lugubre reflet de la neige , l'odeur profonde du Nuits-Saint-Georges nous rappelait le souvenir des soirées d'été en Bourgogne , des nuits endormies sur une terre encore chaude de soleil .
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–Vous avez tort, répliquai-je, les Roumains sont un peuple noble et généreux. J'aime beaucoup les Roumains. Dans cette guerre, de tous les peuples latins, les Roumains sont les seuls qui aient fait preuve d'un noble sentiment du devoir et d'une grande générosité en versant leur sang pour leur Christ et pour leur roi. C'est un peuple simple, un peuple de paysans frustes et fin. Ce n'est pas leur faute si les classes, les familles et les hommes qui devaient leur servir d'exemple ont l'âme pourrie, l'esprit pourri, les os pourris. Le peuple roumain n'est pas responsable des massacres de Juifs. Les pogroms, en Roumanie comme ailleurs, sont organisés et déclenchés par ordre, ou avec la connivence des autorités de l'État. Ce n'est pas la faute du peuple si des cadavres de Juifs éventrés et suspendus à des crochets comme des veaux sont restés des jours et des jours exposés dans de nombreuses boucheries de Bucarest, au milieu des rires des Gardes de Fer.
(p. 205 de l'édition folio)
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Le comte de Foxà posa sur Westmann un regard profondément déçu. «Vous aussi? dit-il. Les hommes du Nord n'aiment que ce que l'Espagne a d'humain. Pourtant, tout ce qui, dans. l'Espagne, est jeune et immortel, appartient à Dieu. Il faut être catholique pour comprendre et aimer l'Espagne, la véritable Espagne, celle de Dieu. Car Dieu est catholique et espagnol.
- Je suis protestant, dit Westmann, et je serais très étonné que Dieu fût catholique. Mais je ne ferais aucune objection à ce que Dieu fût espagnol et serais prêt à l'admettre.
- Si Dieu existe, il est espagnol. Ce n'est pas un blasphème, c'est une profession de foi.
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A ce moment, en un point où la forêt était plus profonde et plus dense, et où une petite piste traversait notre route, je vis brusquement surgir du brouillard, là-bas devant nous, au carrefour des deux pistes, un soldat enfoncé dans la neige jusqu'au ventre. Il était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour indiquer le chemin (...).
Ils vont mourir de froid, ces pauvres diables, dis-je. Schultz se retourna pour me regarder :
- Il n'y a pas de danger qu'ils meurent de froid ! dit-il (...).
Vous voulez le voir de près ? Vous pourrez lui demander s'il a froid.
Nous descendîmes de voiture et nous nous approchâmes du soldat qui était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour nous montrer la route. Il était mort. Il avait les yeux hagards, la bouche entrouverte. C'était un soldat russe mort (...).
- Quand vous les amenez là sur place, ils sont vivants ou morts ?
- Vivants, naturellement ! répondit Schultz.
- Ensuite, ils meurent de froid, naturellement ? dis-je alors.
- Nein, nein, ils ne meurent pas de froid : regardez là. Et Schultz me montra un caillot de sang, grumeau de glace rougie, sur la tempe du mort.
(chapitre I).
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Au fond de ce paysage de sons, de couleurs, d'odeurs, dans une déchirure de la forêt, on voyait l'éclair d'on ne savait quoi de terne, d'on ne savait quoi de luisant comme le tremblotement d'une mer irréelle : le Ladoga, l'immense étendue gelée du Ladoga.
Enfin, nous sortîmes du bois sur la rive du lac, et nous apercûmes les chevaux.
(...)
Le troisième jour, un immense incendie flamba dans la forêt de Raikkola. Enfermés dans un cercle de feu, les hommes, les chevaux, les arbres poussaient des cris terribles (...). Fous de terreur, les chevaux de l'artillerie soviétique -ils étaient presque mille- se lancèrent dans la fournaise, brisèrent l'assaut du feu et des mitrailleuses. Beaucoup périrent dans les flammes; mais une grande partie atteignit la rive du lac et se jeta à l'eau (...).
Pendant la nuit, ce fut le vent du nord (...). Le froid devint terrible. Tout à coup, avec un son vibrant de verre qu'on frappe, l'eau gela (...).
Le jour suivant, quand les premières patrouilles de sissit, aux cheveux roussis, au visage noir de fumée, s'avançant précautionneusement sur la cendre encore chaude à travers le bois carbonisé, arrivèrent au bord du lac, un effroyable et merveilleux spectacle s'offrit à leurs yeux. Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés, on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace.
(chapitre III).
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Vidéo de Curzio Malaparte
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