Petit préambule entre deux prix Goncourt: celui d'Adrien en 1914 et celui de Giraud en 2022 lu juste avant: il y un abîme.
L'un est parlé sans aucun attrait littéraire. le texte ne présente aucune structure d'ensemble, de syntaxe de figures de style etc.
L'autre posé écrit en français, compréhensible avec une fonction narrative, descriptive très bonne un peu datée mais sans fioriture (pas de zézayant affriolant)
D'un coté un mari mort de sa propre bêtise de l'autre des millions morts, des jeunes de vingt ans à peine envoyés à la boucherie.
Un mort complètement invisibilisé par Giraud car virtuel qu'on ne le voit pas en macchabée mais seulement en devenir sans aucune une image. de l'autre des images crues de macchabées à peine occis: une réalité incontournable non pas imaginée mais vécue.
Une lamentation interrogative suscitant compassion du lecteur, lamentation post-mortem tirée du néant de pseudos souvenirs, et chez Adrien et un récit sans affects :une réalité vécue deux ans auparavant.
Bref d'un coté un récit donné à lire au bon jugement du lecteur de l'autre une corruption pleurnicharde de celui-ci par une narration prétendue vraie.
Adrien est un écrivain combattant comme Barbusse, Fournier, J-R Bloch,
G Duhamel, R
Dorgelès... écrivain légitime plus que ceux de l'arrière, les autres, bourreurs de crâne. On le sent dans les propos de ses personnages qui philosophent sur des valeurs aujourd'hui désuètes et disparues ou presque: héroïsme, courage, patrie, devoir, sacrifice. Ils se comportent comme il pensent mais cela fait froid dans le dos.
Ces valeurs, qui mettent la patrie, l'honneur, l'héroïsme notions totalement intellectuelles au-dessus de la vie elle-même, sont assez difficilement compréhensives. Cette vision surannée de la nation, terre à protéger coûte que coûte pourtant perdure: on le voit encore en Ukraine. Valeurs implantées par les ayant droits, riches politiques, bourreurs de crâne chez les masses ces grognards analphabètes, mal dégrossis et rudes de la grande guerre.
On constate et cela n'est pas souvent montrés dans les ouvrages sur 14/18 que ces soldats malgré leur diversité, provençaux, parisiens, basques, cévenols, cohabitent,
sans toujours comprendre les patois et langues diverses, mais, adhèrent au même idéal. L'armée est une grande légion étrangère!
Ces soldats de base, durs à la tâche, au niveau intellectuel bas sont des personnes faciles a motiver et endoctriner mais les sous officiers qui ont quelques réflexions philosophiques se comportent de la même façon aux incitations patriotiques. En fait la guerre transforme les hommes en primates féroces malgré les beaux propos philosophiques des écrivains .
Ce livre n'est pas que la glorification des soldats et de la camaraderie. Il y a aussi un discours militariste et d'endoctrinement des masses laborieuses sous-tendu : les questionnements des sous-off sur la guerre montrent que les hommes de troupe n'ont pas des idées bien nettes sur le sujet les réponses sont viscérales en quête d'approbation des autres mais ils font confiance à leurs officiers. de plus il y a une idée de fatalisme judéo-chrétienne très fortement imprégnée de résignation privant l'homme de libre arbitre, une mentalité d'époque révolue du moins l'espère-t-on : l'hominisation n'étant pas terminée loin de là! Sur la forme c'est bien une oeuvre d'intellectuel combattant ou non. Les belles interrogations et certitudes philosophiques en godasses cloutées, voire religieuses des sous-off foisonnent, c'est parfois pénible de supporter ces élucubrations philosophiques bon teint, alors que les propos plus terre à terre des hommes de troupe brillent par leur absence. La gaudriole du bidasse n'existe pas ce qui rend le livre plus pesant, plus sentencieux et moins authentique. Toutefois si la boucherie est bien stigmatisée elle est presque excusée par des valeurs faussement sociales et humaines
et par des propos des personnages parfois très didactiques et confus du moins pour les lecteurs d'aujourd'hui.
Un récit de guerre plutôt concis et sans concessions mais encombrés de papotages intellectuels assez irréels vu le contexte.
Livre qui a une valeur documentaire et de témoignage d'une époque d'extrême barbarie après la belle époque, la chute a été rude.
Ce prix Adrien le reçoit en 1916 en même temps que « le Feu » ouvrage de guerre aussi Prix Goncourt de
Henri Barbusse. On se demande bien ce que Giraud aurait obtenu comme prix en 1916 avec son micro évènement insignifiant du boulevard des Belges à Lyon.