L'aurore court à travers la nuit.
La chapelle reste obscure. Nous voyons souvent dans la pénombre ou la ténèbre. Le drame et la mort sont à l'avant-scène du théâtre de ce monde.
Le temps s'est arrêté. Tout à l'heure il faudra bien ramener sur le corps les pans du linceul et quand disparaîtra le visage ce sera comme s'il mourait une seconde fois. Terrible instant où les yeux ne servent plus qu'à pleurer.
Derrière le mur, dans la pénombre de la chapelle, ils sont debout, prolongeant encore les minutes de vertige qui précèdent l'instant où l'on rabat le linceul sur un visage qui disparaît à jamais.
On s'arrête, on fait silence avant d'accomplir les derniers gestes de l'ensevelissement. Mais ici tous sont restés immobiles depuis bientôt cinq siècles. Comme s'ils attendaient quelqu'un... avant de plier le linceul.
Ils nous attendent.
De plus en plus j'ai vu, j'ai compris que les personnages derrière le Christ ne font pas cercle : ils invitent tout homme, ils m'invitent à prendre place avec eux et à participer au dernier acte d'un drame qui est celui de toute humanité.
Par les portails toujours ouverts au Levant et au Couchant, beaucoup traversent le transept de la cathédrale, comme s'il offrait un raccourci sacré au sommet de la cité. Un instant de fraîcheur ou de tiédeur selon la saison, un instant vers Dieu, et l'on retrouve le frais soleil ou le vent glacé.
J'ai aussi attendu de longs moments pour voir les rais du soleil glisser sur les pavés sombres, gravir la petite marche, parvenir sur l'autel après avoir lorgné du côté des médaillons d'or, caresser le visage de Jésus, puis arriver à Joseph, Jean, la femme anonyme, les sculpter de lumière et d'ombre, et enfin venir iriser d'une délicatesse extrême la frange du voile de Marie, laissant son front tout à son mystère.
Qu'as-tu emporté,
Jésus,
dans ton dernier regard?
S'est-elle éteinte à jamais
la lumière de ton visage?
Sur des "million"s de visages
elle va courir au long des temps...
La rue est passante. Combien de femmes et d'hommes, au long des jours et des semaines, empruntent le trottoir près du mur de la cathédrale? Quand le vent du Nord s'engouffre dans la pente, ils se courbent et se recroquevillent en pressant le pas et en se rapprochant des lourdes pierres. Savent-ils qu'à trois mètres, de l'autre côté de la muraille, sept personnes s'apprêtent à mettre un homme au tombeau?