On n'est pas préparé à la perte, à la disparition d'un proche. Il n'y a pas d'apprentissage de cela.
Dans une île, on en revient toujours à la mer, à ce qu'elle propose.
L'été, sur les plages, certains corps sont d'une beauté tout à fait inique.
Dans les lieux de l'enfance désormais saccagée, je marche sans du tout appréhender la dimension des pièces. Parfois, je me cogne aux murs ou je fais tomber des objets. C'est le choc ou le bruit qui me ramène dans le réel.
Son absence. Comment exprimer cela : son absence ? Comment faire comprendre la maison vide, disproportionnée, effrayante de silence ? Comment accepter sa défection de lui, son éclipse ? Comment supporter l’insupportable et le manque affreux de lui ? Comment continuer avec la privation de lui, le défaut de lui ?
La mort est ce qu'il y a de plus probable, de plus inévitable et c'est cependant la chose la moins facile à recevoir, à admettre.
l'infirmière annonce qu'il faudra s'y reprendre a trois reprises, pendant trois jours consécutifs, pour retirer le drain. Je l'interroge pour savoir si cette manipulation sera douloureuse. Elle répond que Thomas ne pourra s'empecher de hurler, que tous les patients hurlent, car ils s'agit d'oter de son corps sans aucune anesthésie, une sorte de lame de couteau de quinze centimètres autour de laquelle les chairs se sont refermées. Elle prétend que c'est une des souffrances les plus difficilement supportables.
je songe : rien ne lui sera épargné, vraiment.
La douleur, elle frappe là où on ne s’y attend pas, quand on ne s’y attend pas. Elle est pure comme peuvent l’être certains diamants, elle est sans tache, éclatante.
On n'est pas préparé à la perte, à la disparition d'un proche. Il n'y a pas d'apprentissage de cela. On ne sait pas acquérir l'habitude de la mort. La mort de l'autre nous prend forcément par surprise, elle est un événement qui nous désarme, qui nous laisse désemparé, y compris lorsqu'elle est prévisible, le plus prévisible des événements. Elle est une occurence absolument certaine et cependant pratiquement inconcevable, et qui nous précipite dans une étrange hébétude.
Il dit qu'on ne peut pas être un incurable, s'accepter en incurable. Qu'il faut refuser ces faux-semblants, cet entre-deux, ce territoire d'incertitude où la raison se perd. Refuser de s'en remettre aux autres, aux médecins et de n'avoir pour perspective que des nuits d'hôpital, des traitements interminables, la protection dérisoire d'une bulle de science. Refuser les frayeurs récurrentes, les espérances fugaces aussitôt anéanties, une existence misérable, légumière. Refuser les souffrances potentielles, les mutilations à venir, les défaites successives de l'organisme, la désincarnation.