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Critique de ninachevalier


Philippe Besson - Un tango en bord de mer -
théâtre Julliard (76 pages – 9€)

Si Philippe Besson est connu comme entomologiste des coeurs , la forme du récit change, puisqu'il met ses deux protagonistes, devant un public. Il distille avec précision toutes les indications scéniques. Il désigne Stéphane,l' écrivain confirmé, la quarantaine, par « Lui » et Vincent, le jeune et beau hidalgo, par « L'Autre », rendant à la pièce une portée plus universelle.

Pour débuter, l'auteur campe les deux ex-amants dans un décor à la Hopper. C'est dans un bar que se font leurs retrouvailles, deux ans plus tard.

Très vite, par flashback, on apprend comment ils se sont rencontrés, puis les motifs de leur éloignement. Ils confessent même avoir eu des pulsions meurtrières, Stéphane convoquant, au passage, le fantôme de Pasolini. Stéphane se remémore leurs orages, une certaine violence, une « nuit aux urgences », « des bleus sur le corps ». Chacun d'eux essaie de sonder l'autre, de deviner si leurs sentiments sont restés intacts et de savoir où ils en sont. On sent des tensions, des reproches fusent.

L'alcool invite aux confidences, mais aussi l 'atmosphère « feutrée, tamisée ». Quand Vincent dévoile son intention d'épouser Sophie, L'Autre, sidéré, l'exhorte à réfléchir. Les garçons ne risquent-ils pas de lui manquer ? Quant à Lui, éprouverait-il de la jalousie? Caresserait-il le désir de reprendre leur liaison, après s'être expliqués ?

Le suspense naît des atermoiements de Vincent, qui joue à cache-cache avec ses incertitudes : va-t-il épouser Sophie ou retomber dans les rets de celui qu'il a fui ? L'un concède avoir eu une attirance physique fulgurante devant « une splendeur insoutenable », l'autre un sentiment authentique, qui ne s'est jamais émoussé, «  les fameuses traces d'amour ». Tous deux reconnaissent s'être « mal aimés ».

Les silences traduisent leur embarras. Ils se testent, se provoquent, se réapprivoisent. Face à face,d'un côté, « le prédateur », friand de « chair fraîche », de l'autre l'éphèbe « lumineux, innocent, pervers ». Pourquoi Vincent, qui ne s'est jamais trop intéressé aux romans de Stéphane, manifeste de la curiosité pour son dernier livre? On sourit quand Vincent parvient à lâcher son merci « pour le beau moment ». Comme Stendhal, il a engrangé ces moments heureux, lumineux, « si rares ».
Les monologues des deux acteurs, prenant le public à témoin, sont pétris de lucidité.

A travers Vincent, Philippe Besson montre combien les écrivains peuvent piller votre vie, sans permission, tels « des monstres irresponsables et anthropophages ». Puisque «c'est cousu de fil blanc », L'Autre reconnaîtra inévitablement leur histoire. Stéphane cherche-t-il à se venger ? A-t-il réglé son compte à L'Autre ou au contraire l'a-t-il « magnifié » ? Pourquoi écrire si l'auteur ne tatoue pas l'esprit du lecteur ?
D'ailleurs Stéphane, à l'adresse du public ou du lecteur, justifie le dénouement de cette rencontre fortuite. Il n'offre pas une fin ouverte, avec tout un « champ des possibles, avec les hypothèses, les espoirs ou les craintes », car il a choisi de raconter « la vie », donc de vivre avant d'écrire. Leur bonheur serait-il en embuscade au bout de la plage. Quoi de plus romantique qu'un « un tango en bord de mer » ?
Ne lit-on pas un livre « pour danser avec son auteur », selon Charles Dantzig ?


Philippe Besson autopsie une rupture, ses causes et les stigmates qui en découlent : « La douleur est éblouissante ». Il montre que l'écriture a été la thérapie salvatrice pour Stéphane, après le temps nécessaire « de … digestion ». Il explore le manque, le désir et la dépendance. Par ailleurs il s'intéresse au mystère de cette aimantation, de cette alchimie entre deux êtres diamétralement opposés , question âge, notoriété, talent, statut, milieu. Il s'interroge sur la longévité de l'amour et si un amour peut renaître de ses cendres. « Ces choses-là se décident sans nous, j'en ai bien peur. », conclut Stéphane.

Les brûlés de l'amour se retrouveront dans cette trinité de désir, de plaisir et de souffrance. Un tango en bord de mer met en exergue les intermittences du coeur, la difficulté d'aimer et dévoile le talent de Philippe Besson en tant que dramaturge.




Un tango en bord de mer a été repris en septembre 2015 au Petit Montparnasse.
Pièce, mise en scène par Patrice Kerbrat, remarquablement interprétée par Jean-Pierre Bouvier et Frédéric Nyssen.


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