CHANT DE LA SECONDE INTERCALAIRE
30 juin 2015
il est
23:59:60
les horloges atomiques
du monde entier s'arrêtent
le temps d'une seconde
je passe vite si vite
je suis la toute flottante
celle qui glisse
et re-glisse en phase
avec la rotation de la Terre
délibérément
minuscule
j'apparais —
moi seule sais renouer
le collier des temps
je file et danse
entre les secondes
là où il n'est
jamais vraiment
minuit
chaque fois que la
Terre
s'obstine à
ralentir
je bats la démesure
je relance sans fin
la toupie planétaire
sinon dans dix mille ans
il ferait nuit
en plein midi
car la Terre
tourne et s'en retourne
moins
vite
irréversiblement
depuis qu'un transperçant
séisme
l'a déviée de son axe —
huit centimètres
pas plus
mais de
gigantissimes
centimètres
de géant
gigantal
à quoi songe
la minute
lorsqu'il lui faut
soixante et une
secondes
pour s'accomplir
au plus juste
et remettre
toutes les pendules
à l'heure
à propos d'heures
justement
on murmure
que les miennes sont
comptées
d'un seul saut
de trotteuse
que faire d'une seconde
en plus
sinon y plonger
pour entrer tout droit
dans l'envers
de l'univers
et le contempler
sans limites
CAHIERS
DE LA LIBELLULE ROUGE
Par dépouillements successifs ‒
jusqu'à glisser
dans le fleurissement de ta fatigue
Un espace
en expansion continue ‒
danseur des grands sommeils
Du grain de riz à la galaxie ‒
un surcroît d'abîme
pour les élèves du vide
Sensation
d'être enfin vivant ‒
le plus subtil des séismes
p.15
NE VOUS LAISSEZ JAMAIS
METTRE AU CERCUEIL
COBA
Tout
est déjà
passé mais à
chaque instant précieux
cela revit tout est déjà passé mais
il y a des rivières gardiennes et les silex
rouges blancs noirs et jaunes des fils des abeilles
en plein cœur de la terre on avance en lumière rasante
on a le goût du vertige pour mieux caresser
le mystère du monde des tortues et serpents
s'enlacent chez les ciseleurs de
hiéroglyphes jusqu'aux grands
précipités passionnels
immergés dans le
Tout
ALICE
Alice
n’a plus peur des temps obscurs
elle franchit à nouveau
les eaux du miroir
elle avance
pour vivre plus vif
vivre plus vrai
vers son réservoir à comètes
sa fabrique d’univers
elle dit
il fait décidément
un temps de ténèbres
et si nous sortions vraiment de nous-mêmes
pour y voir plus clair
dans le grand puzzle de l’existence
mourir à soi est une chance
une grande chance
vivre à cette vitesse
si proche de la lumière
est un bonheur
un frémissement
aux confins de la gorge
elle dit
le chaos est mon ami
le chaos est mon frère
j’en appelle à sa toute folie
j’accompagne son devenir
je traduis sa mouvance
sans relâche
sans recours
je m’ouvre au firmament
je donnerais tout
tout
pour ce frisson d’espace-temps
partout des voix chuchotent
deep space deep space deep space
il faut puiser là
en voltiges imprévisibles
directement là
où c’est toujours la première fois
au fond de notre substance étoilée
Alice
retraverse les eaux
des billes d’azur plein les poches
myriades d’ailleurs absolu
bouquets de roses insoupçonnées
loin
si loin de la non-vie
si loin du non-amour
à cœur ouvert à cœur dénoué
incandescente et apaisée
elle chemine
dans les hautes forêts liquides
elle avance
vertigineuse
en fulgurances natives
explorant ses pierres de rêve
c’est un corps céleste en révolution
avec sa vigueur mélancolique
son sonar de cristal
pour capter la moindre immensité
échapper
à ceux qui restent collés au sol
rejoindre la confrérie des Grands Isolés
elle avance
elle remonte très haut très loin
par des dispositifs enchantés
vers les anciens sommeils
elle se faufile
irrésistiblement
en état d’écoute extrême
vers l’étoile polaire de l’esprit
Alice
retraverse les eaux
dans un surcroît d’ardeur
vers le jour absolu
ose Eros
ose la vie Eros
essaie-la vite vas-y
ose Eros c'est le sel de la vie
arrose c'est la vraie vie
ose le sel à vivre
virtuose de Rrose Sélavy
qu'il soit ventôse ou nivôse
seule Madame Sélavy
sait le sel de toute vie
qui ensorcelle à l'envi
étincelle en eau-de-vie
ruisselle la vie inasservie
universelle la vie inassouvie
ENFIN VIVANT
HOMME-CIEL
Il vient toujours
du sud ‒
des amonts infinis
Nuit après nuit ‒
le frémissement
des roseaux internes
Quelques syllabes
chaudes et secrètes ‒
il invoque le nom des planètes
p.74
CAHIERS
DE LA LIBELLULE ROUGE
En écoute vive
de ce corps de silence
qui te grandit
Renverse ton regard
arrête le monde ‒
descends
Lumière en point d'orgue ‒
c'est l'appel
du fonds des mots
Là ‒
immersion
dans la source profonde
p.12
4
Vous mettrez sur ma tombe une bouée de sauvetage
Parce qu’on ne sait jamais
ROBERT DESNOS
Tu priseras la poudre de mes textes
pour aiguiser ta lucidité
parce qu’on ne sait jamais
Tu embrasseras mon chaos
pour dialoguer avec ton cœur
parce qu’on ne sait jamais
Tu plongeras comme une sirène
en écriture profonde
parce qu’on ne sait jamais
Tu referas mes tours de magie
au bord des trous noirs
parce qu’on ne sait jamais
Tu rejetteras les vieilles lunes
pour te frotter aux soleils adolescents
parce qu’on ne sait jamais
Tu imagineras chaque étoile
comme un tourbillon de mots
parce qu’on ne sait jamais
Tu célébreras le mystère
jusqu’à saisir ce qui te brûle
parce qu’on ne sait jamais
Tu laisseras tes yeux
glisser vers l’infini
parce qu’on ne sait jamais
Tu prendras toujours
la passerelle de fortune
parce qu’on ne sait jamais
Tu n’oublieras pas
le diamant de la révolte
parce qu’on ne sait jamais
Tu entreras dans la nuit
vêtue d’immensité
parce qu’on ne sait jamais
Tu tendras un miroir
au bleu du ciel
parce qu’on ne sait jamais
Tu reviendras doucement
à l’aube du langage
parce qu’on ne sait jamais
Tu sauras
que tout peut arriver
parce qu’on ne sait jamais
ENFIN VIVANT
HOMME-CIEL
Face à la nuit unanime ‒
un étourdi
couleur de feu
La tirer
toujours plus fort ‒
la corde de sable
Sur la canine du tigre ‒
danse la libellule
rouge
p.73
CAHIERS
DE LA LIBELLULE ROUGE
Qui pour capter
ces nœuds de force et de tendresse ‒
sinon le mangeur d'avalanches
En accord avec l'amplitude ‒
céleste
et mélancolique
Que fais-tu
traceurs d'écritures ‒
j'aiguise ma lucidité
Ce qui te déborde
de tous côtés ‒
absorbe-le
p.13