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Critique de Nastasia-B


Que penser de ce livre ? En tant que livre, j'entends, pas en tant que symbole. Est-il bien écrit ? cohérent ? agréable à lire ? crédible ? compréhensible ? logique ? clair ? facile à suivre ? intéressant ? captivant ? actuel ? factuel ? etc., etc. Vous voyez bien qu'on ne s'en sortira jamais comme ça, certains diront « oui, oui, tout à fait » et d'autres « non, non, absolument pas ». Donc, pour juger de la forme, c'est mort.

Alors, forte de cette constatation, si l'on excepte volontairement la forme et qu'on se replie uniquement sur le fond, que dit-il, exactement, ce livre ? quel est son message d'ensemble ? Là encore, on est foutu, on ne s'en sortira pas, il n'arrête pas d'affirmer une chose et son contraire, le meilleur y côtoie sans arrêt le pire, le juste, l'injuste, le sensé, l'insensé. Est-il tolérant ? positif ? ou exactement l'inverse ? Vous trouverez, sans avoir à chercher bien loin, de tenants de l'une ou de l'autre thèse, s'appuyant respectivement sur tel ou tel passages, lesquels passages se contre-disant entre eux allègrement.

Mais pourtant, si je ne m'abuse, un livre, quel qu'il soit, on doit bien pouvoir en établir une critique, s'en faire un avis, une opinion, l'exprimer librement et concevoir qu'il puisse y avoir des milliards d'autres opinions alternatives à son sujet, n'est-ce pas ? Donc, en bonne logique cartésienne, on doit pouvoir faire une critique littéraire de la Bible comme on le ferait de n'importe quel autre livre, non ?

Descartes ne dit pas autre chose, fractionner le problème en morceaux aussi petits que nécessaires pour pouvoir appréhender le problème dans son entier. Ici, le problème dans son entier, à l'échelle d'une population, est " Que doit-on penser de la Bible ? ", le petit morceau, c'est moi, un moi qui n'a rien d'universel ni de transposable, mais un individu suffisamment petit pour se faire une opinion individuelle, justement, à propos de la chose jugée et qui devient " Que dois-je, moi personnellement, penser de la Bible ? "

(Ce qui s'applique au lecteur lambda devrait, en toute logique cartésienne, aussi s'appliquer au livre lui-même, car, en tant qu'ensemble, on ne peut quasiment pas l'embrasser dans son entier, on ne peut normalement émettre une opinion que sur chacune des parties constitutives tellement elles sont différentes les unes des autres. L'ennui, c'est que la Bible est bien un ensemble, une sorte d'organisme à lui tout seul, et dire d'elle comme on dirait de quelqu'un : « J'aime bien ses yeux, mais je n'aime pas du tout ses reins ; la trachée, c'est pas mal, par contre, le foie, ça ne va pas du tout ! » est assez singulier, n'est-ce pas ? Donc, on n'a pas le choix, il faut dire ce qu'on pense de l'organisme en tant que tel et dans son entièreté, en sa qualité d'organisme, exactement comme on soupèserait les pour et les contre pour juger du fait que l'on doit ou non fréquenter assidument telle ou telle personne, malgré la complexité dont elle est faite. Il y a un moment où il faut trancher avec les personnes ; je fais de même avec les livres.)

Ce faisant, si je reprends mes catégories précédentes, qu'est-ce que j'en pense, individuellement, de la forme de ce machin, de ce bidule innommable, inqualifiable, imbuvable, ce salmigondis, cette mélasse textuelle ? (Je me souviens que j'avais écrit un peu la même chose après la lecture de l'Ulysse de Joyce, un livre qui, par sa lisibilité et sa cohérence est peut-être comparable, à la différence que, contrairement au livre qui m'occupe aujourd'hui, lui ne professe la soumission ou la haine de personne. D'où cette appréciation d'ensemble encore moins flatteuse ici que là-bas.)

Est-ce que ça a un sens de regrouper dans un même ensemble des éléments si dissemblables ? de mon point de vue, non, pas du tout. Et si je me focalise sur la partie exclusivement chrétienne du paquet, personnellement, même en me motivant à fond, même quand j'ai passé une bonne nuit auparavant, avalé tout ce qu'il fallait de café au préalable pour tenir le choc et tout et tout, j'ai beau pousser la lumière au maximum, façon projecteur de stade, bloum ! je m'y ennuie au bout de quatre pages comme ce n'est pas imaginable, je bâille et, à la dixième page, soit je suis déjà endormie depuis trois pages, soit je me dis : « Qu'est-ce que je m'emmerde, nom de Dieu, qu'est-ce que je m'emmerde ! » Moralité : rien que sur la seule forme, c'est, de mon unique point de vue, d'une chienlit rédhibitoire.

Bon, ça n'est déjà pas glorieux, mais examinons quand même un peu le fond, histoire de ne pas mourir totalement idiote (bien qu'en ce qui me concerne, ça sera difficile). Alors je veux bien admettre que certains passages sont agréables, acceptables, recevables, mais imaginez mes pauvres amis, essayez ne serait-ce que d'imaginez la tête que je peux faire, la propension au bond de carpe qui m'anime quand je tombe, par exemple, sur des passages comme ceux-ci :

« La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. » Épîtres De Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, II, 1, 7, verset 4.

« L'origine de la femme, c'est l'homme ; [...] Si donc une femme ne se couvre, alors, qu'elle se coupe les cheveux ! […] L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image de la gloire de Dieu ; quant à la femme, elle est la gloire de l'homme. Ce n'est pas l'homme en effet qui a été tiré de la femme, mais la femme de l'homme ; et ce n'est pas l'homme bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. Voilà pourquoi la femme doit se coiffer convenablement. » Encore la Première épître de Paul aux Corinthiens, II, 3, 11, versets 3 à 10.

« Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu'elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit. Si elles veulent s'instruire sur quelque point, qu'elles interrogent leur mari à la maison ; car il est inconvenant pour une femme de parler dans une assemblée. » Toujours la fameuse Première épître de Paul, décidément très en forme pour s'adresser aux Corinthiens II, 3, 14, versets 34 et 35.

« Ces gens-là [les Juifs] […] sont ennemis de tous les hommes » Épîtres De Saint Paul, Première épître aux Thessaloniciens, 2, verset 15.

Alors, vous vous dites peut-être que c'est parce que j'ai Paul dans le nez, que je ne puise qu'à sa source. Soit, c'est un argument recevable, alors allons voir chez Pierre :

« Vous les domestiques, soyez soumis à vos maîtres, avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles. Car c'est une grâce que de supporter, par égard pour Dieu, des peines que l'on souffre injustement. Quelle gloire, en effet, à supporter les coups si vous avez commis une faute ? […] Pareillement, vous les femmes, soyez soumises à vos maris » Première épître De Saint Pierre, 2, versets 18 à 20 et 3, verset 1.

Chez Jacques :

« Qui veut donc être ami du monde, se rend ennemi de Dieu. » Épître de Saint Jacques, 4, verset 4.

Chez Jean :

« Celui qui ne croit pas en Dieu fait de lui un menteur » Première épître de Saint Jean, 5, verset 10.

Chez Jude :

« À la fin des temps, il y aura des moqueurs, marchant selon leurs convoitises impies. Ce sont eux qui créent des divisions, ces animaux, ces êtres " psychiques " qui n'ont pas d'esprit. » Épître de Saint Jude, versets 18 et 19.

Enfin, je ne résiste pas au plaisir de vous glisser celle qui est peut-être ma préférée d'entre toutes, et elle est l'oeuvre, à nouveau, de l'inimitable Paul, un très saint homme, assurément :

« Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d'ici-bas […] Quel que soit le travail, faites-le avec âme » Épître aux Colossiens, III, 3, versets 22 et 23.

Ça, c'est hors des évangiles, me rétorquerez-vous, et vous aurez raison. Que dire des évangiles ?… Ma foi, c'est là encore absolument délirant. Peut-être peut-on supposer que ce qui y est professé pouvait être plus croyable à l'époque, c'est-à-dire durant l'Antiquité, quand les savoirs et les réflexions avaient été moins poussés, or, si je m'en réfère à ce qui reste d'un écrit du philosophe grec Porphyre de Tyr datant d'environ 270 après ledit Jésus l'oint, et qui avait lu attentivement les évangiles (c'est-à-dire assez peu de temps après la rédaction des évangiles proprement dits, et à peu près au moment de la constitution du canon néo-testamentaire).

Il en dit ceci : « Il est clair que cette fiction incohérente, ou bien représente plusieurs crucifiés, ou bien un seul, qui meurt si mal, qu'il ne donne à ceux qui sont là aucune idée nette de ce qu'il souffre. Mais si ces gens-là n'étaient pas capables de dire véridiquement de quelle façon il était mort et n'ont fait que de la littérature, c'est que sur tout le reste il n'ont rien raconté non plus qui mérite confiance. »

Bon, bref, dès l'Antiquité, voilà ce qu'on pouvait en penser, et, en ce qui me concerne, dans le fond, plus encore que la forme, c'est à vomir, archi-vomir. Mais j'adore pourtant ce livre : vous n'imaginez pas les services qu'il m'a déjà rendu en tant que cale-porte pour éviter que les courants d'air ne fassent trembler les murs, donc, je vous le conseille bien volontiers pour cet usage. Vous le trouverez pour sûrement beaucoup moins cher chez un bouquiniste que l'équivalent fonctionnel chez Leroy-Merlin ou Castorama, mais ça n'est, bien évidement, que mon avis, qui n'est pas parole d'évangile, c'est-à-dire, pas grand chose.

P. S. Vous noterez que ce dont j'ai parlé, ici, principalement, c'est du Nouveau Testament, qui est une dissidence par rapport à l'Ancien, c'est-à-dire la Torah. Encore une contradiction supplémentaire dans cet ensemble particulièrement hétéroclite qu'on nomme de façon fourre-tout " Bible ". J'aurais beaucoup de choses à dire également sur l'Ancien Testament, mais ça nous conduirait bien trop loin en terme de longueur d'avis. D'ailleurs, si j'écris un jour à propos de cet " Ancien Testament ", je ne le désignerai pas comme " Bible " mais comme Torah.

Et justement, il est bien là, tout le problème : cette " Bible " est un ensemble tellement décousu, tellement contradictoire, tellement intriqué qu'on peut lui faire dire " Vive l'amour " ou " À bas l'amour ! " ; " Aimez tout le monde " ou " N'aimez surtout pas ceux-là " ; " Battez-vous, ne vous laissez pas faire ! " ou " Laissez-vous faire, ne répondez surtout pas ". Si je prends l'exemple, ô combien crucial, pour le christianisme naissant de la mission auprès des non juifs, le livre Des Actes des Apôtres, partie II, chapitres 10 et 11, nous affirme que c'est Pierre qui est chargé de cette mission. Or, Paul, dans l'Épître aux Galates, partie I, chapitre 2, nous affirme au contraire que c'est lui qui a pour mission de prêcher l'Évangile de Jésus le christ parmi les païens et Pierre celle de prêcher parmi les circoncis (c'est-à-dire les Juifs). Alors, qui croire ? À quel saint se vouer, si les livres constitutifs de la Bible ne sont déjà pas capables de s'entendre sur un élément apparemment aussi factuel et pragmatique, normalement non sujet à controverse, qu'en sera-t-il du reste ?

C'est un peu comme si, dans un même ouvrage je collais Sade, Claudel, Céline, Proust, Gide, Hugo, Camus et Voltaire et que je vous disais : " Ça a été écrit à des époques différentes, mais c'est un tout, il faut le prendre comme tel. " Est-ce que ça aurait du sens ? Non, bien sûr, vous me diriez : " C'est débile de réunir des trucs aussi antinomiques ! " Or, pourtant, la Bible, c'est ça. Ça me rappelle les fameux plans de commentaires composés au lycée, les plans thèse, antithèse, synthèse, ceux que j'appelais à l'époque les plans " oui, non, zut ", les plans " Oui j'aime les fraises, non je n'aime pas les fraises, bon et puis, débrouillez vous. " En picorant ici ou là, on peut trouver tout et son contraire, on peut lui faire dire absolument ce qu'on veut, justifier tout et n'importe quoi : en gros c'est du Nostradamus. Voilà précisément ce que je déteste : le contraire de la franchise, le contraire d'une pensée profonde et cohérente, le contraire de ce qui éclaire et rend plus libre.
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