La jolie Lucie est une étudiante bien solitaire à la cité universitaire. Pour se distraire, elle se rend au parc dont elle admire les statues. Or, un soir, à la fin de sa promenade, elle se trouve perdue dans un dédale de rues qu'elle ne connaît pas. C'est ainsi qu'elle débouche sur la Place de la Montagne aux Ombres, où la magnifique devanture d'une herboristerie l'attire. Elle y fait la connaissance d'un sympathique vieil homme qui, après quelques visites, lui propose de venir occuper l'appartement qu'il avait fait rénover au dernier étage de la somptueuse demeure. Lucie accepte. Mais peut-être n'aurait-elle pas dû...
J'ai déjà lu beaucoup de livres de Francis Danemark. J'ai déjà lu beaucoup de livres de
Véronique Biefnot. Cette «
Place des Ombres après la brume » est la première de leurs oeuvres communes que je vais découvrir. Lorsque j'ai l'ouvrage entre les mains, je suis un peu effrayée. C'est un vrai pavé de plus de cinq cents pages.
Deux auteurs, deux livres. C'est
Véronique Biefnot qui signe « Place des Ombres » et
Francis Dannemark, dans « Après la brume », qui se déroule vingt ans plus tard, reprend certains protagonistes du premier épisode et donne des réponses aux nombreuses questions soulevées par les aventures de Lucie.
Bonne surprise : de temps en temps, on découvre de jolies illustrations qui sont de la main de
Véronique Biefnot elle-même. Voilà une artiste qui a plus d'une corde à son arc ! La première représente un magnifique hôtel de maître de style Art nouveau, et, rien que pour lui, j'ai bien envie d'entrer, même si des péripéties inquiétantes m'y attendent. Car, si le temps est bien défini (1980-2000), l'espace, en revanche, est fantasmagorique. Certains lieux évoquent pour moi des endroits connus que l'imagination des deux auteurs ont transformés. Ainsi, Lucie, venue faire des études dans une grande université qui ressemble vaguement à l'ULB, se promène dans une ville mystérieuse et découvre par hasard un quartier qui me fait penser à certaines rues de
Saint-Gilles, qui, elles aussi, abritent des joyaux de l'Art nouveau. Ainsi, lorsqu'elle pénètre dans l'énigmatique herboristerie d'Évariste Jussieux, je l'imagine dans un de ces contes de fées où les personnages débouchent, sans l'avoir cherché, dans un lieu magique qu'ils n'arrivent plus à retrouver une fois qu'il l'ont quitté. La place et la maison ressemblent à un monde parallèle secret et silencieux, figé dans une autre époque, alors que, quelque pas plus loin à peine, brillent les lumières de la ville, avec son animation, ses passants pressés. Lucie fait la connaissance d'Évariste, de Garance Latourelle, d'Élie, un grand chien noir qui l'effraye au premier abord, mais qui se révélera très protecteur. En pénétrant dans la demeure, Lucie est à la fois rassurée, car Évariste pourra, en quelque sorte, jouer le rôle d'un grand-père, et angoissée par l'atmosphère étrange. Elle ressent « un vague vertige », remarque que la façade est défigurée par une impressionnante lézarde, aperçoit, à l'étage, « derrière une vitre poussiéreuse, dissimulée par un voilage clair, une silhouette immobile ». L'appartement qu'on lui offre est la seule partie moderne de cette habitation sombre, dont l'électricité capricieuse s'éteint à tout moment.
Dans le parc voisin, le jeune fille croise des statues qui ont l'air vivantes, une corneille inquiétante, un chien noir. A la cité, elle n'aime pas « cet univers de fêtes bruyantes [ni] les curieux rituels qui réjouissaient visiblement les autres étudiants » et préfère l'univers littéraire du beau volume des « Fleurs du mal » que lui a cédé un bouquiniste. Elle écrit de longues épîtres à son amie Maud, qui ne lui répond jamais. Elle fait d'affreux cauchemars relatés en lettres gothiques, qui la plongent dans un passé maléfique. Chaque chapitre est introduit par quelques phrases en italiques dont le sens ne se révélera qu'à la fin de la lecture. de temps à autre, un extrait des « Fleurs du mal » est cité et des chansons pourraient composer une bande son. Dans son recueil de poèmes, Lucie trouve une tendre dédicace dont l'auteur s'est manifestement inspiré de
Verlaine : « Je vous ouvre mon coeur et mon âme, voyez y mes folles espérances et ne les déchirez pas de vos doigts si gracieux. » (« Et puis, voici mon coeur, qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches. »)
La jeune fille est prise dans la toile de ce bâtiment dont elle reconstitue patiemment l'histoire grâce à des récits et un journal intime. La malédiction qui semble planer l'entraîne dans un tourbillon infernal.
Vingt ans plus tard,
Francis Dannemark braque ses projecteurs sur Maud, qui a connu bien des malheurs, et qui rencontre, dans un parking, un homme étrange et affable, qu'on nomme « La Brume », et qui est escorté par un grand chien noir.
Les épisodes restés sans réponse dans la première partie s'éclairent dans celle-ci, et les auteurs ont fait preuve d'une belle imagination ! A la maison de la Place de la Montagne aux ombres répond le château rénové par Edmond et qui semble, lui aussi, vivre d'une vie propre.
L'ensemble du récit baigne dans une atmosphère fantastique envoûtante qui évoque pour moi l'univers de
Jean Ray. Nombre d'épisodes nous font marcher sur la frontière mouvante qui sépare le rêve de la réalité.
Les rebondissements, les surprises se succèdent à toute vitesse, le récit est palpitant. Il m'a vraiment plu.