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Andrei Biely, La colombe d'argent, Noir sur blanc, traduction Anne-Marie Tatsis-Botton Dans ce roman russe de 1909, on découvre un auteur totalement désarçonnant. Il y a l'histoire qu'il raconte d'abord, celle des habitants d'un petit village dans la société russe ébranlée par les premiers remous de la révolution. Les pauvres, les nobles, les marchands, les popes, les partisans de l'Occident, ceux de la tradition russe. Tous aussi pittoresques et médiocres les uns que les autres. Au sein de ce bouillon de culture, une secte prépare en secret la venue de l'Esprit saint en se livrant à des cérémonies orgiaques fortement imbibées de vodka. La concubine du menuisier doit concevoir un enfant rédempteur par les oeuvres d'un élu. C'est Pierre Daralski, le héros du roman, un jeune homme cultivé, fiancé à la pure et jolie Katia, qui va bientôt se trouver attiré à cette fin chez ces illuminés. Cependant, le roman de Biely ne ferait pas au lecteur l'impression qu'il ne manquera pas de lui faire sans son style absolument sans égal. Les moindres faits et gestes des personnages sont enveloppés dans un lyrisme extraordinaire qui puise sa force dans la nature. Les arbres, les rivières, le ciel ne sont pas des éléments chez Biely, ce sont des acteurs du drame autant que les êtres humains. Un extrait dans la belle traduction d'Anne-Marie Tatsis-Botton. Tout à coup, il y eut du vent dans l'espace, et tout déferla : de très loin, des milliers d'arbres se mettaient en branle, s'inclinaient ; le gros chêne à trois têtes s'ébranla, il envoya, menaçant, une bordée de feuilles sur le village ; ses haillons verts se sont mis à s'agiter ; ses cimes de brocart vert bruissaient ; quand la cloche se tut, la rouge famille des trembles mena grand bruit autour du village ; puis elle se calma, attendant de nouvelles bourrasques, seules les feuilles dorées tournoyaient dans l'air en babillant, et le coq en tôle cliquetait sur la belle isba ; et sur la pauvre isba au toit délabré une poignée de paille s'envola, puis retomba. L'air était plein de duvet de poule. (p.341-341) + Lire la suite |
Rencontre en ligne avec Georges Nivat, à l'occasion de la parution, aux Éditions des Syrtes, de Kotik Letaïev, d'Andreï Biely.
Enregistrée le 10 juin 2021
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Paru en 1917, Kotik Letaïev est une autobiographie poétique, épopée intérieure de l'enfance sur les trois premières années de la vie de son auteur, Andreï Biely. le héros, Kotik (diminutif de Konstantin qui signifie également chaton) Letaïev est un enfant précoce qui, depuis son plus jeune âge est familiarisé avec les trésors de la culture. Un jour, poussé par une nostalgie toujours plus grande, il part vers l'inconnu. le récit, à la première personne, a d'une part le charme naïf d'un discours enfantin au travers duquel se recompose la ville Moscou de la fin du XIXe siècle, et d'autre part l'inquiétant surréalisme d'un parcours initiatique conduisant sa victime par le dédale des mythes.
Adepte de la théosophie de Steiner, l'écrivain, alors âgé de 35 ans, se sent revivre sa première naissance. Il couche cette expérience sur papier, avec comme résultat ce récit hors du commun, qui commence dès avant la naissance, dans le ventre de sa mère.
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Georges Nivat est historien des idées et slavisant, traducteur spécialiste du monde russe. Professeur honoraire à l'université de Genève, il a été l'un des traducteurs d'Alexandre Soljenitsyne.
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KOTIK LETAÏEV, d'Andreï Biely
Roman traduit du russe par Georges Nivat
416 pages - 20 €