Gisèle Bienne a un lien invisible avec mon existence, un passé lointain familiale, un village, qui nous soude inconsciemment. Ce village, son école, les champs, les chemins blancs, les étangs, « les grandes herbes », ses habitants, les fermes et cette nature éclaboussent les souvenirs de ma mère, de sa soeur, ma tante amie de
Gisèle Bienne.
J'ai lu
Marie Salope son premier roman, scandalisant le puritanisme malsain de certaines personnes de ce village, sa suite des années plus tard La brulure, m'ouvrant des portes vers une enfance de ce petite bourg perdu, non ce village berçant ma toute petite jeunesse.
Ma tante me parle de son tout dernier livre,
La malchimie, je fonce dans ma librairie indépendante pur me l'offrir et le lire cette auteure si proche et si lointaine, n'ayant que ses romans comme monologue.
Je sors groggy de cette lecture, je suis apathique, mon corps figé par l'émotion, un feu latent embrase lentement ma chair, deux sentiments s'animent en moi, la colère et la tristesse, une dualité explosive, une ambiguïté sourde,
Gisèle Bienne a su prendre mes émotions en otage, son écriture cristallise pleinement les humeurs nous habitant, pour les affuter à leur sensibilité extrêmes.
La malchimie traite d'un sujet sensible actuel, passé et futur, les enjeux sont vitaux, d'un côté l'argent, l'économie, la société de consommation et de l'autre moins important l'humanisme, la vie de notre planète, c'est triste d'avoir ce constat. Les pesticides sont une maladie infectieuse de notre planète, rendement, nocivité, mensonge, grands groupes industriels intouchables, par cette manne financière contrôlant une justice fragile, des nations vénales et devant des machines à génocide. Nous pouvons avoir deux lectures de ce roman autobiographique, le lien familiale immuable et comme le tire,
la malchimie.
Je ne vais pas analyser ce côté indigeste de cette mascarade humaine si absurde, Monsanto, Bayer et ces autres industries, résumé dans cette tirade d'un des personnages du roman, une jeune femme visitant son mari, travaillant dans l'agriculture, rencontrant notre principale personnage.
« Ces firmes sont des ogres qui nous bouffent autant qu'ils nous mentent. Monsanto c'est le mensonge américain dans toute son arrogance. »
Et un plaidoyer fort, toujours de cette jeune femme en colère et en résume pas cette formule glaçante.
« Monsanto Méphisto, Bayer l'enfer »
Gisèle Bienne parle de son frère avec une affection indéfectible, au-delà de son existence, un sentiment éternel, comme
Spinoza le définit, c'est un moment figeant le temps, le faisant durer, comme un arrêt sur image pour le faire perdurer encore et encore.
Gisèle Bienne aspire ce temps, pour l'étirer sans fin pour faire revivre son frère et ne l'oublie pas.
Il y a un jeu de miroir, un écho littéraire avec la maladie de ce frère et ce roman débuté peu, un lien unit soudain ce mourant Sylvain et cette héroïne
Susan Sontag, raconté par son fils
David Rieff dans cet ouvrage au tire glaçant Mort d'un inconsolée, prémonitoire à son frère. Dès les premiers pages de ce roman
Gisèle Bienne est conquise par ce roman, et le destin comme par une magie noire frappe par ce coup de téléphone reçut, pour annoncer la maladie de Sylvain, hospitalisé à Reims, dans le même que leur mère quelques années dans le passé, pour y mourir à cet Hôpital-Debré, encore un signe sombre au destin de ce malade.
Depuis le début de ma critique, j'associe beaucoup l'héroïne et
Gisèle Bienne, comme le récit d'un l'une raconté par l'autre sous les traits de l'autre, celle-ci prend les traits de cette soeur venant chaque jours visiter son frère à l'hôpital, en faisant des petites rencontres, des intermèdes de vies.
Gisèle Bienne raconte son frère, à travers cette héroïne, elle traverse le temps pour faire revivre ce passé commun, cette enfance les unifiant à vie l'un à l'autre avec petit village, gardien d'une enfance partagée. La vie laisse ce passé de côté, comme ce frère aussi sur un banc lointain qu'elle n'oublie pas mais délaisse par une existence à s'épanouir des autres, de son club de lecture, et de son futur voyage en Chine, entre autre, une existence en mouvement, la vie est éphémère, explosive, rapide, se détournant d'un passé puissant, d'une amnésie partielle et cruelle. de rencontre en rencontre,
Gisèle Bienne tel un fantôme, va vivre neuf mois avec son frère malade, venant le visiter à l'hôpital, lui apportant douceur et friandise, surtout sa présence, et ses images du passé, brillant le regard de son frère.
« Des images qui s'entrelacent, s'effacent, chassés, remplacées par d'autres. Son cerveau est une usine à images. »
De ces visites, son frère demandant pourquoi ces visites, de cette réponse si pragmatique et naturelle.
« Je viens parce que je viens. »
Beaucoup de passages ont éclairés mon plaisir de lecture de diverses manières, le plaidoyer contre ces industriels de pesticides de la jeune femme de Laon, son mari a un Lymphome, le roman l'Astragale, l'ayant lu aussi, la métaphore sublime sur les champs et les personnes, le cri puissant de Sylvain, sur son lit d'hôpital avec sa soeur, contre Monsanto, le beau passage où sous les mots de la soeur du malade explique son écriture et le sentiment qui l'accompagne , surprenant, voir déroutant, cette lettre au médecin, fictive car mise en boule puis mis à la poubelle, une demande de grâce, de sursit, l'annonce de son médecin, de la fin de son traitement, sans vie , sans humanité, d'une brutalité sauvage et froide, tel un bourreau venant le tuer avant de mourir, et autre aphorismes diamantant ce roman d'émotions diverses.
Le lien fort que
Gisèle Bienne tisse avec son frère est éternel, je le redis encore une fois, mais c'est la force de ce roman, les images remplissant le cerveau de Sylvain, les mots pour sa soeur, l'un paysan empoisonné par des marchands de mort, l'une écrivaine, puisant son écriture dans la vérité de soi, une sincérité émotionnelle dérangeante mais tellement réelle au-delà du roman, une écriture humaine.
Merci
Gisèle Bienne d'avoir écrit ce roman, d'avoir réussi à proser le fond de vote âme pour nous l'offrir le temps d'une lecture, d'avoir aimé ce frère, devenu à jamais réel dans le coeur de vos lecteur, d'une littérature que vous oeuvrez depuis toute jeune,
Marie Salope, votre premier roman, d'avoir dénoncé ce monde cruel qui tue sans relâche des agriculteurs des habitants à proximités de ces champs gorgés de produits phytos,
« Les céréaliers de la plaine sont addicts aux produits phytos. Les produits phytos, c'est la drogue des champs. »
Son frère tué par ces produits, ayant toutes sa vie de ses mains tenues des outils, aidé les gens, travaillé sans relâche, asservi par une société consommatrice meurtrière et vénale, cet homme humble, père de famille, la main toujours prête pour serrer, tourner, arracher, planter, caresser…Un regard fort et doux, aimé du service du personnel de l'hôpital.
Ces mots sont des larmes d'affection d'une soeur pour son petit frère.
Merci.