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EAN : 9782380822885
176 pages
Anne Carrière (26/01/2024)
3.71/5   36 notes
Résumé :
À soixante-deux ans, Yvan reçoit un diagnostic sans appel. Alcoolique, en colocation avec une femme qu’il dédaigne et coupé de sa fille depuis près de vingt ans, il a raté sa vie. Ne lui reste que ce chat sans nom qu’il a recueilli et dont il redoute le sort après sa mort.
Et s’il changeait ? Suffirait-il d’une décision pour remettre son existence sur les rails, ne serait-ce que pour les derniers milles ? À partir des choix d’Yvan se déploie- ront deux destin... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Je ne suis pas un héros.
J'ai été un père de marde.
Je suis un père de marde.
Voilà donc toute l'histoire de ce bouquin, celle d'une vie, celle d'un père alcoolique.

Toute ressemblance avec un semblant d'héros serait donc fortuite. Alors qu'il se sait mourant, le foie qui lâche, l'histoire de quelques mois, ce père, ce héros, alcoolique depuis des années, essaie de renouer le contact avec sa fille Gabrielle qu'il a laissé depuis deux décennies. C'est donc une histoire de rédemption et de pardon. Yvan qui vit en coloc avec Miche, amante plus par solitude, et un chat recueilli par défaut. Gabrielle - tu brûles mon esprit, ton amour étrangle ma vie et l'enfer -, qui semble malgré tout accorder tant d'amour à ce père si longtemps absent.

En fait, une question se pose : qu'est-ce qu'un héros à tes yeux ? Attention, je ne te parle pas d'un type en cape et collants. Non, là, je te cause d'un vrai héros. le genre ordinaire, un pauvre type qui peut s'émouvoir d'un vol de lagopèdes à queue blanche, sentir le frémissement de ses majeurs sous le souffle du blizzard, regarder en silence la migration des bernaches à l'approche de l'hiver canadien, en s'enfilant quelques frettes dans le frette québécois... Ou est-ce juste un père alcoolique sous le regard de sa fille...

D'ailleurs, le roman s'ouvre en quatrième page par cette phrase-là :
Comment puis-je commencer quelque chose
de nouveau avec tout cet hier en moi ?
LEONARD COHEN, Les perdants magnifiques.

Alors forcement, j'ai devant moi l'immense fresque de Léo sur cet immeuble de Montréal... Déjà je suis dans la place, et les jurons, si amusants vus de ma contrée, de Sophie Bienvenu sont attendus avec un grand sourire, ça fait partie de mon folklore littéraire 100% pur sirop d'érable. Surtout qu'après Léo, elle enchaîne avec David Bowie et Lou Reed. C'est dire, la force, la puissance, l'émotion d'un tel roman. Car Yvan a une grande et belle discothèque, qui pourrait être mienne, je vous l'ai dit d'entrée de jeu, j'ai beaucoup de point commun avec Yvan.

Et la force de ce bouquin, outre la larme qui coula sur ma joue, outre l'envie de le relire, fut la façon dont l'auteure parla de la Piste 3 de l'album Deep Purple In Rock, les connaisseurs savent de quoi je parle et se reconnaîtront...

Boire une frette, écouter Lou Reed ou David Bowie, écrire sur Deep Purple, penser à Leonard Cohen... Tout ça dans le dernier roman, grandement autobiographique, de Sophie Bienvenu, émouvant en tabarnak...
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Père alcoolo, père mourant, père absent

Le personnage principal du nouveau roman de Sophie Bienvenu n'a rien d'un super-héros. Mais Yvan, un gars ben ordinaire, ne veut pas mourir avec des regrets. Sa quête est très touchante.

Quand Yvan reprend connaissance, il est dans un lit d'hôpital. Quelques heures auparavant, il s'apprêtait à regarder la télévision avec Miche, sa colocataire, quand il s'est senti mal. Puis est tombé dans le coma.
Une expérience douloureuse qui le secoue et l'entraîne à dresser son bilan personnel, qui n'est guère reluisant. Lorsqu'il rembobine le film de sa vie, il trouve d'abord quelques aventures, avant de rencontrer Eliane, avec laquelle il a construit sa vie de couple. À 25 ans, il avait «une femme que tous les hommes enviaient, une enfant merveilleuse et en bonne santé, une belle voiture». Pourtant, il restait insatisfait. «J'avais l'impression de vivre une vie qui n'était pas la mienne et de m'être engagé sur des rails qui m'entraînaient à des kilomètres de là où je désirais aller. Mais où désirais-je aller et qui étais-je?» Il divorce, perd le contact avec sa fille Gabrielle.
Maintenant que les décennies étaient venues s'ajouter aux décennies, cette interrogation ressurgissait. Il considère sa fille comme sa grande réussite et, maintenant qu'il se sait condamné à court ou moyen terme, entend renouer les liens avec elle.
Oubliée Miche, qui avait pris du poids et s'était mise à boire, certes moins que lui, mais suffisamment pour détériorer son image. Il décide de partir, de jouer sa propre version de Thelma et Louise. Et s'il est Thelma, alors son chat est Louise. Car après un premier départ avorté, il revient chercher son animal domestique: «J'ai pas pu faire autrement que de m'attacher au chat, il était entré dans ma vie gros comme mon poing, maigre comme une corde à linge, le poil hirsute, les yeux collés, donc ou je m'en occupais, ou il mourait.»
Le taxi le conduit jusqu'au domicile d'Éliane, sans doute l'une des seules adresses à figurer dans son répertoire. Accueilli par Trevor, son nouveau compagnon, ex-hockeyeur, il est le bienvenu, à sa grande surprise. Mais il n'oublie pas son objectif et part retrouver sa fille.
Je me garderai bien de vous dévoiler l'issue de la rencontre, mais j'ai envie de souligner combien Sophie Bienvenu réussit une subtile réflexion sur le rapport père-fille. En construisant son roman sur les émotions ressenties, en mêlant souvenirs d'enfance et expériences actuelles, sans souci de la chronologie, elle met le coeur à nu. Et en jouant sur l'urgence, elle fait tomber les masques. Désormais, il n'est plus possible de se dissimuler: «Moi, je suis né avec plein d'aspérités et de failles où la merde s'est toujours incrustée. Et, à un moment donné, avec tout ça, j'étais plus capable d'avancer. Ça a commencé avant que tu viennes au monde, en fait il me semble que j'ai toujours été comme ça.»
Comme dans Chercher Sam, son précédent roman dans lequel un homme parcourait les rues de Montréal à la poursuite d'un chien, la romancière nous fait entrer dans la tête de son personnage, dans sa volonté d'y mettre de l'ordre. Mission difficile, voire impossible, mais ô combien touchante.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Étonnant ce récit de la vie d'un alcoolique à qui son médecin vient d'apprendre que ses jours sont comptés.

Émouvant, ce livre écrit au « Je », celui d'un homme dans la soixantaine qui revoit sa vie, avec les bons et les moins bons moments du passé, mais surtout la détresse de la dépendance alcoolique et l'incapacité de s'en sortir. Et, bien sûr, les conséquences sur sa famille, sur ses relations avec sa fille. Un discours qui sonne douloureusement vrai.

Déroutant parfois ce roman, car l'homme imagine des scénarios pour son avenir. Comme dans ces livres « dont vous êtes le héros », l'histoire prend des tournants différents selon les chapitres.

Captivant ce livre, avec une belle écriture et l'histoire crédible d'un homme qui n'a pas pu vivre à la hauteur de ce héros qu'il était aux yeux de sa petite fille.
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Un homme alcoolique et mourant qui a perdu contact avec sa fille depuis près de 20 ans se demande s'il devrait la recontacter. Son histoire se promène entre ses souvenirs et deux scénarios qu'il se fait dans sa tête: l'un avec sa fille qui revient dans sa vie et l'autre sans sa fille.

J'ai une opinion mitigée sur ce roman. D'un côté, je trouve que les ravages de l'alcoolisme sont très bien illustrés à travers le cheminement des personnages. de l'autre, bien que j'apprécie l'idée originale d'entrecroiser plusieurs versions selon les décisions que pourraient prendre Yvan, le fil est parfois difficile à suivre.

Par ailleurs, j'ai été ravie par les références, ici et là, aux actualités et faits divers des dix dernières années, comme par exemple, la victoire de Yan à l'émission La Voix, l'émission québécoise de cuisine, la pénurie d'enseignants, etc.

Par contre, un passage m'a estomaquée et j'ose espérer que les gens d'aujourd'hui ne pensent plus comme cette grand-mère lorsqu'ils se retrouvent face à des situations de violence conjuguale. Je vous laisse juger par vous-même de cet extrait.

'' T'as bien dû faire quelque chose, je peux pas croire. Faut que tu retournes chez vous, qu'est-ce que les gens vont dire?'' Ma mère pleurait depuis notre arrivée. Entre deux sanglots, j'ai compris: '' je suis plus capable.'' J'ai entendu qu'on fouillait dans le kit-à-bobos que ma grand-mère gardait dans l'armoire à pharmacie et qu'elle sortait comme on exhibe un trésor si je m'éraflais le genous. Ma mère a émis un faible sifflement quand l'alcool a toucjé sa plaie. '' Tsé, faut avouer que t'es pas la plus facile à vivre...'' (p. 121)

Bref, il y a de belles forces dans ce roman, comme la manière dont le thème de l'alcoolisme est exploité et les références aux actualités et faits divers récents mais le sens de l'histoire est un peu difficile à suivre.







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Lecture très mitigée pour cet opus.
Malgré le thème très touchant et interpellant de l'alcoolisme et ses ravages.
Je n'ai pas réussi à entrer dans l'histoire.

Les divers points de vue sont énumérés mais j'ai été perdue car un moment il est chez sa fille et en parallèle il était avec sa colloc : la séparation n'est pas claire et je n'ai pas du tout compris le mélange des deux situations.

j'ai rien compris la moitié du temps.

Je me demande encore ce que l'auteur a voulu nous transmettre comme message sinon que l'alcool c'est mal.

Bref, pas top.

Mais j'ai aimé les personnages, la fille, la colloc, le chat :)

Tout n'est pas mauvais, faites vous votre idée.

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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
- Hmmm.
Je crinque le volume et j'abaisse doucement l'aiguille sur la platine. Je m'assois et l'orgue m'emporte aussitôt. La voix d'Ian Gillan résonne dans les haut-parleurs et inonde la pièce. A côté de moi, un petit pied bat le rythme. J'observe discrètement comment Mody aborde cette chanson complexe. Il fronce les sourcils et bouge la tête comme un vieux jazzman quand débute le solo. Son pied accélère. Je ne sais pas s'il sourit ou s'il souffre. Lorsque l'orgue s'accorde avec la guitare, c'en est presque trop. Son pied s'immobilise, sa poitrine se soulève par saccades. Et puis tout s'arrête, et l'orgue reprend sa partition. Mody ouvre les yeux. La voix répète le refrain, «Sweet child in time/ You'll see the line/ The line that's drawn/ Between good and bad», et une larme coule sur sa joue. Les hurlements embarquent. J'aurais peut-être dû commencer par All Along the Watchtower. Je n'ose pas m'éloigner du sofa avant la fin, même si je sais que Mody goûtera le silence juste après, comme on fume une cigarette après l'amour. Ouin. Si cette comparaison me vient, mon choix de toune pour initier un kid de dix ans au rock laisse peut-être à désirer.
Une fois le morceau terminé, je relève l'aiguille. Gabrielle est accotée dans l'embrasure de la porte.
- C'est possible de la mettre plus fort, ta musique de cinglé ? elle me demande avec un sourire.
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Mes jambes me font souffrir, mais je me lève pareil pour examiner les disques. J'en sors un, puis un autre, puis encore un autre... c'est ma collection. Comment ils se sont retrouvés là ? J'étais certain de les avoir pawnés un soir de brosse, pourtant ils y sont tous. Aladdin Sane, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, Country Life, London Calling, Purple Rain.. Dans ma jeunesse, ma collection de disques était ma vie entière. Et puis Gabrielle est arrivée, et quand on ne regardait pas la télé, on écoutait de la musique ensemble. Bébé, elle avait baragouiné « veuwoz », et j'avais compris : « Mets Hunky Dory, s'il te plaît, papa.» Cet album de Bowie dont j'avais déniché une édition limitée dans un magasin d'importation était son préféré. À cause de la couleur rose du vinyle lui-même, évidemment, mais aussi de Life on Mars ? qu'elle me réclamait en boucle.
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- Papa ? Yvan et moi, on a écouté de la musique de cinglé.
- Euh... OK... pis t'as-tu aimé ça ?
- Non.
Il raccroche au nez de son père, revient avec un bol de pistaches écalées et s'assoit à nouveau sur le sofa.
- Mets-en une autre, mais une qui fait pas mal.
Je cherche, dans les R, Transformer de Lou Reed, et je dépose l'aiguille sur la piste "Perfect Day".
" I thought I was someone else / Someone good."
Je n'ose pas dire à Mody que de la douleur découle la beauté. Je ne voudrais pas qu'il ait la même vie que moi.
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(Les premières pages du livre)
L'annonce
— Mais y doit bien y avoir quelque chose à faire !
Miche est assise à côté de moi, son blouson sur les genoux. Sa voix s’étrangle, et j’essaie de la mettre sur mute. Tout est devenu sourd, à part les battements de mon cœur qui me martèlent le corps. Les rideaux autour du lit sont censés nous donner une impression d’intimité, mais, pendant qu’on attend et que je fais semblant de dormir, j’entends gémir la vieille d’à côté. Je pourrais la toucher en tendant la main si j’avais pas l’aiguille de la perfusion plantée dans le bras. Bouger est trop douloureux de toute façon.
J’ai pas demandé à être là, je veux qu’on me laisse tranquille. Rentrer chez moi, m’asseoir sur la galerie en caressant le chat, m’installer dans le sofa et m’ouvrir une petite bière ou deux quand la nuit sera tombée et qu’il fera trop frais pour rester dehors. J’aurais pas cru qu’on pouvait se sentir plus mal que je me sentais déjà, mais, maintenant que je me retrouve aux urgences, je sais. On peut. J’avais toujours évité les hôpitaux, je m’en tirais tout seul, comme les cafards qui survivent aux attaques nucléaires. Je suis passé entre les gouttes. J’avais jamais réalisé à quel point j’ai été chanceux.
— Monsieur Langlois, est-ce que vous comprenez ce que je vous dis ?
Je tousse un ouais enroué avant de retomber dans le flou et dans la ouate. Pas une ouate agréable. Une ouate qui annonce que ça va pas bien aller. Miche pose des questions au médecin. Je voudrais qu’elle s’en aille. Je pose ma main sur la sienne. Le geste millénaire du gars qui cherche à faire taire sa bonne femme. Il paraît que ça marche même quand c’est pas la tienne. Elle se tait, et commence à pleurer. Je serre ses doigts. « Ça va aller, t’inquiète pas. » Un petit signe au médecin pour le rassurer lui aussi. « Ça va, allez donc vous occuper de quelqu’un qui en a plus besoin que moi. »
J’observe les rideaux censés servir de cloison. Est-ce qu’il fait nuit ? Sans fenêtre, impossible de le deviner. Depuis combien de temps je suis là ? La dernière chose dont je me souviens, c’est d’une douleur au ventre alors qu’on regardait Top Chef, Miche et moi. Le premier épisode de la saison, tu manques pas ça, mais j’ai dû aller aux toilettes. Je m’étais mis à avoir mal quand la présentatrice a annoncé : « La compétition commence… maintenant ! » et, à la pause, j’ai senti que quelque chose tournait vraiment pas rond. Miche a gueulé pour me prévenir de me dépêcher, mais j’avais plus trop envie. En sortant de la salle de bains, j’ai été obligé de me tenir au mur. « Son lait bout, va falloir qu’y reprenne du début, il aura pas le temps. » Miche, pendue aux lèvres de la présentatrice, fixait l’écran en secouant la tête. Puis tout est devenu noir et je l’ai entendue crier.
Et on a atterri ici.
Entre deux reniflements, Miche s’efforce de me rassurer, ou de se rassurer – à ce point-ci, quelle importance.
— Les médecins, ils savent pas ce qu’ils disent les trois quarts du temps, Yvan… Je vais demander à mon acupuncteur ce qu’il en pense.
J’ai mal à la poitrine, et je respire difficilement, tout d’un coup. J’imagine que c’est ça qu’on ressent, quand on se pend. La douleur d’abord, l’asphyxie ensuite. Et, tandis que tu manques d’air, que tu comprends que ça sert plus à rien de t’agiter parce que tu l’as voulue, cette mort-là, elle arrive, finalement. T’essaies d’étouffer l’animal qui veut vivre à l’intérieur de toi. T’essaies de le calmer.
Jusqu’au moment où tu te rends compte que tu souhaitais pas mourir tant que ça.
— Hey, Miche… tu irais m’acheter un Subway ?
Elle lève son visage trempé de larmes et son nez morveux vers moi. Elle s’interroge. Comment ça se fait que j’aie faim, alors que je mange quasiment plus rien depuis des mois ? Pourquoi je pleure pas ? À genoux, de préférence, en hurlant au ciel « Pourquoi moi ? ». Elle ouvre la bouche, se préparant à dire quelque chose, mais n’y parvient pas. À la place, elle met son blouson et cherche sa sacoche.
— Tu peux prendre du cash dans mon portefeuille… l’as-tu apporté ?
— Oui… mais c’est bon, j’en ai, des sous.
— OK.
— OK.
Elle va jusqu’au rideau, l’écarte un peu, juste assez pour que j’aperçoive la fille couchée en face de moi. L’âge de Gabrielle, moins cute. Pas laide… Disons quelconque. Gabrielle, quand elle entre quelque part, la pièce s’éclaire. Je suis sûr qu’on l’aurait brûlée pour sorcellerie, si elle était née deux ou trois siècles plus tôt. Les hommes ont jamais réussi à discerner ce qui est bon pour eux. Que Gabrielle existe, ça rend le monde plus léger. Ce que je raconte là va au-delà de ma fierté de père : ma fille est spéciale. Tout ce que j’aurais pu avoir, dans la vie, c’est elle qui l’a eu. C’est ce que je me répète quand j’ai envie de me sentir moins loser. Je l’aurai au moins réussie, elle.
— Ça va aller, Yvan ?
Je réussis à sourire à Miche, mais quelque chose s’est brisé en moi. Comme quand tu t’étires pour attraper ta bière, que tu te penches, que ça t’explose dans les reins et que tu restes coincé comme ça. J’ai réussi à sourire à Miche, mais j’ai trop tiré. Je pleure en silence jusqu’à ce que je sois sûr qu’elle est trop loin pour m’entendre.

— Monsieur ? Monsieur, ça va ?
Normalement, j’aurais arrêté de pleurer aussi sec, je me serais donné une contenance et je serais rentré en vitesse chez nous pour me servir une bière dans l’anonymat, la solitude et l’indulgence de mon foyer. C’est pas que je veux pas, j’en suis même pas capable. J’ai plus de forces, plus de volonté, rien. M’en fous bien de pleurer devant quelqu’un, j’ai les membres, la tête et le cœur disloqués.
La fille du lit d’en face a traîné son pied à perfusion et, malgré le risque de se retrouver le cul à l’air dans sa blouse d’hôpital, elle est venue jusqu’à moi. Elle m’a pris la main.
— J’ai… j’ai pas eu le choix d’entendre le médecin quand il vous a parlé. Vous devriez pas être tout seul, monsieur.
Je continue de pleurer ; les larmes coulent autant que mon sang si je me vidais par l’aorte. Quelque chose de spectaculaire.
Je suis sorti de mon corps.
« Vous devriez pas être tout seul, monsieur », elle a dit, la petite, mais on m’a abandonné, et c’est vrai. Je prétends pas que je l’ai pas mérité, sauf que merde. Je suis tout seul, tout seul, tout seul. Ma vie aura été ça : un amas d’affaires ratées et d’occasions perdues. J’aurais pu répondre aux courriels de Gabrielle, lui donner mon nouveau numéro de téléphone, mais pour parler de quoi ? Pour étaler à quel point ma vie était minable ? Pour deviner son air déçu quand elle aurait su que ma énième résolution d’arrêter de boire avait pas plus duré que la précédente ? Pour que ce soit elle, et pas l’inconnue en blouse, qui me tienne la main ? Est-ce qu’elle me supporterait jusque-là, ou je l’épuiserais avant ? C’est sûr qu’elle finirait par partir. Me planter ici. Et mettons qu’elle aurait pas le cœur de démissionner, parce que je suis son père, elle resterait probablement par obligation, et pas parce qu’elle m’aimerait encore. Même pas par respect. Juste pour un devoir infâme et abject qui finirait de scléroser notre relation, comme l’alcool mon foie, selon ce que vient de m’annoncer le médecin. Et mettons qu’elle s’en irait pas, il faudrait que je la regarde me voir avec ces yeux-là. Les yeux de la fille en blouse moins belle qu’elle. Des yeux noyés de pitié avec, dans le fond, un lit de colère, parce que je me suis fait mourir moi-même.
Dans le temps, j’étais un héros.
« Roule plus vite, papa ! Encore ! Plus vite ! »
Un héros pilote de course sur une route de campagne.
« On peut le ramener à la maison et le soigner, papa ? »
Un héros maman oiseau, vétérinaire de fortune.
« Papa ! Je veux pas que maman désinfecte mon bobo, ça va chauffer ! »
Un héros sauveur de genou.
Ma fille m’a rendu meilleur, pendant un temps du moins. Ses grands airs émerveillés, son rire franc, sa confiance inébranlable et terrifiante, tout ça a fait de moi un surhomme. Avec une date de péremption, mais un surhomme quand même.
Sauf que le gars qui sanglote dans son lit d’hôpital, la main tenue par une inconnue, attendant que sa coloc lui apporte un sandwich qu’il mangera pas, lui, ce gars-là, je l’ai fabriqué moi-même.

Partir (ou pas)
— Tu sais ce qui me rend triste, moi, Yvan ? C’est un enfant qui arrive de sa chambre avec un jeu de société en espérant que quelqu’un jouera avec lui, mais y a personne qui veut, jamais. « Qu’est-ce qui va pas chez moi ? Ben oui ! Ça doit être moi, c’est sûr ! » Et il se met à se haïr, ce petit-là, alors que c’est pas de sa faute, que rien est de sa faute, et ça… ça, Yvan, ça me… Tu dis rien ?
Va savoir pourquoi Miche trouve pertinent de me parler de son enfance de merde, vingt-quatre heures après ma sortie de l’hôpital. Je réponds pas, parce que je réfléchis. J’ai toujours trop réfléchi, c’est ce qui a commencé à me ronger à l’intérieur et à me tuer très jeune. Si on ajoute à ça ma lâcheté, peut-être un peu de paresse et une estime de moi relativement avariée, voici ce que ça donne : un tableau pas très reluisant.
— Tu sais… son petit cœur qui tombe, paf, à terre, et qui se fait trop mal parce qu’il était monté trop haut. « Pourquoi t’as espéré, encore ? Pourquoi t’apprends jamais ? Est-ce que ça va finir par rentrer dans ta tête que t’es tout seul et que tu le seras toujours ? » Mais il pense pas à ça, lui. Là c’est moi qui te le dis, avec l’expérience. Mais lui, sur le coup, il se demande juste pourquoi. Et moi, Yvan, c’est ça qui me rend triste. Y en a pas, de réponse, pour ce p’tit-là. C’est comme ça.
— Ta gueule, Miche.
Je lui tourne le dos, et je sors sur le balcon. Ça peut pas continuer comme ça. Je souffle la fumée de ma cigarette, envoie valser le mégot d’une pichenette. Je suis écœuré de l’entendre, je suis écœuré de la voir. Au fil des années, mes sentiments envers elle se sont transformés, de curiosité en ressentiment, sans que je sache trop comment ni pourquoi. Comme le monde entier, elle
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Je me rappelle plus depuis quand j'avais pas profité du silence. Du vrai silence. Je sais même pas si je l'ai déjà connu. J'en pleurerais presque. Pas de tristesse, là... pleurer de beau. Pleurer de "je suis bien". Et tant pis si je le mérite pas.
On dirait que quelqu'un m'attend. Je chantonne Use Somebody, de Kings of Leon. Ma poitrine fleurit et se déverse sur e monde, mes bras s'ouvrent, le ciel et la terre se rejoignent, et je me laisse choir dans un vide rassurant.

https://www.youtube.com/watch?v=gnhXHvRoUd0
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Vidéo de Sophie Bienvenu
L'écrivaine Marie-Sissi Labrèche reçoit Sophie Bienvenu, Michel Tremblay et Janette Bertrand.
Les libraires en coulisses, une initiative de l?Association des libraires du Québec (ALQ) et de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ), ont présenté des rencontres passionnantes lors du Salon du livre de Montréal 2014 avec des écrivains, notamment Janette Bertrand, Michel Tremblay, Katherine Pancol, Gabriel Nadeau-Dubois et Emmanuel Carrère.
Réalisation et montage : Jessica Gélinas
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