Étonnant ce récit de la vie d'un alcoolique à qui son médecin vient d'apprendre que ses jours sont comptés.
Émouvant, ce livre écrit au « Je », celui d'un homme dans la soixantaine qui revoit sa vie, avec les bons et les moins bons moments du passé, mais surtout la détresse de la dépendance alcoolique et l'incapacité de s'en sortir. Et, bien sûr, les conséquences sur sa famille, sur ses relations avec sa fille. Un discours qui sonne douloureusement vrai.
Déroutant parfois ce roman, car l'homme imagine des scénarios pour son avenir. Comme dans ces livres « dont vous êtes le héros », l'histoire prend des tournants différents selon les chapitres.
Captivant ce livre, avec une belle écriture et l'histoire crédible d'un homme qui n'a pas pu vivre à la hauteur de ce héros qu'il était aux yeux de sa petite fille.
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Un homme alcoolique et mourant qui a perdu contact avec sa fille depuis près de 20 ans se demande s'il devrait la recontacter. Son histoire se promène entre ses souvenirs et deux scénarios qu'il se fait dans sa tête: l'un avec sa fille qui revient dans sa vie et l'autre sans sa fille.
J'ai une opinion mitigée sur ce roman. D'un côté, je trouve que les ravages de l'alcoolisme sont très bien illustrés à travers le cheminement des personnages. de l'autre, bien que j'apprécie l'idée originale d'entrecroiser plusieurs versions selon les décisions que pourraient prendre Yvan, le fil est parfois difficile à suivre.
Par ailleurs, j'ai été ravie par les références, ici et là, aux actualités et faits divers des dix dernières années, comme par exemple, la victoire de Yan à l'émission La Voix, l'émission québécoise de cuisine, la pénurie d'enseignants, etc.
Par contre, un passage m'a estomaquée et j'ose espérer que les gens d'aujourd'hui ne pensent plus comme cette grand-mère lorsqu'ils se retrouvent face à des situations de violence conjuguale. Je vous laisse juger par vous-même de cet extrait.
'' T'as bien dû faire quelque chose, je peux pas croire. Faut que tu retournes chez vous, qu'est-ce que les gens vont dire?'' Ma mère pleurait depuis notre arrivée. Entre deux sanglots, j'ai compris: '' je suis plus capable.'' J'ai entendu qu'on fouillait dans le kit-à-bobos que ma grand-mère gardait dans l'armoire à pharmacie et qu'elle sortait comme on exhibe un trésor si je m'éraflais le genous. Ma mère a émis un faible sifflement quand l'alcool a toucjé sa plaie. '' Tsé, faut avouer que t'es pas la plus facile à vivre...'' (p. 121)
Bref, il y a de belles forces dans ce roman, comme la manière dont le thème de l'alcoolisme est exploité et les références aux actualités et faits divers récents mais le sens de l'histoire est un peu difficile à suivre.
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Lecture très mitigée pour cet opus.
Malgré le thème très touchant et interpellant de l'alcoolisme et ses ravages.
Je n'ai pas réussi à entrer dans l'histoire.
Les divers points de vue sont énumérés mais j'ai été perdue car un moment il est chez sa fille et en parallèle il était avec sa colloc : la séparation n'est pas claire et je n'ai pas du tout compris le mélange des deux situations.
j'ai rien compris la moitié du temps.
Je me demande encore ce que l'auteur a voulu nous transmettre comme message sinon que l'alcool c'est mal.
Bref, pas top.
Mais j'ai aimé les personnages, la fille, la colloc, le chat :)
Tout n'est pas mauvais, faites vous votre idée.
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- Hmmm.
Je crinque le volume et j'abaisse doucement l'aiguille sur la platine. Je m'assois et l'orgue m'emporte aussitôt. La voix d'Ian Gillan résonne dans les haut-parleurs et inonde la pièce. A côté de moi, un petit pied bat le rythme. J'observe discrètement comment Mody aborde cette chanson complexe. Il fronce les sourcils et bouge la tête comme un vieux jazzman quand débute le solo. Son pied accélère. Je ne sais pas s'il sourit ou s'il souffre. Lorsque l'orgue s'accorde avec la guitare, c'en est presque trop. Son pied s'immobilise, sa poitrine se soulève par saccades. Et puis tout s'arrête, et l'orgue reprend sa partition. Mody ouvre les yeux. La voix répète le refrain, «Sweet child in time/ You'll see the line/ The line that's drawn/ Between good and bad», et une larme coule sur sa joue. Les hurlements embarquent. J'aurais peut-être dû commencer par All Along the Watchtower. Je n'ose pas m'éloigner du sofa avant la fin, même si je sais que Mody goûtera le silence juste après, comme on fume une cigarette après l'amour. Ouin. Si cette comparaison me vient, mon choix de toune pour initier un kid de dix ans au rock laisse peut-être à désirer.
Une fois le morceau terminé, je relève l'aiguille. Gabrielle est accotée dans l'embrasure de la porte.
- C'est possible de la mettre plus fort, ta musique de cinglé ? elle me demande avec un sourire.
Mes jambes me font souffrir, mais je me lève pareil pour examiner les disques. J'en sors un, puis un autre, puis encore un autre... c'est ma collection. Comment ils se sont retrouvés là ? J'étais certain de les avoir pawnés un soir de brosse, pourtant ils y sont tous. Aladdin Sane, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, Country Life, London Calling, Purple Rain.. Dans ma jeunesse, ma collection de disques était ma vie entière. Et puis Gabrielle est arrivée, et quand on ne regardait pas la télé, on écoutait de la musique ensemble. Bébé, elle avait baragouiné « veuwoz », et j'avais compris : « Mets Hunky Dory, s'il te plaît, papa.» Cet album de Bowie dont j'avais déniché une édition limitée dans un magasin d'importation était son préféré. À cause de la couleur rose du vinyle lui-même, évidemment, mais aussi de Life on Mars ? qu'elle me réclamait en boucle.
(Les premières pages du livre)
L'annonce
— Mais y doit bien y avoir quelque chose à faire !
Miche est assise à côté de moi, son blouson sur les genoux. Sa voix s’étrangle, et j’essaie de la mettre sur mute. Tout est devenu sourd, à part les battements de mon cœur qui me martèlent le corps. Les rideaux autour du lit sont censés nous donner une impression d’intimité, mais, pendant qu’on attend et que je fais semblant de dormir, j’entends gémir la vieille d’à côté. Je pourrais la toucher en tendant la main si j’avais pas l’aiguille de la perfusion plantée dans le bras. Bouger est trop douloureux de toute façon.
J’ai pas demandé à être là, je veux qu’on me laisse tranquille. Rentrer chez moi, m’asseoir sur la galerie en caressant le chat, m’installer dans le sofa et m’ouvrir une petite bière ou deux quand la nuit sera tombée et qu’il fera trop frais pour rester dehors. J’aurais pas cru qu’on pouvait se sentir plus mal que je me sentais déjà, mais, maintenant que je me retrouve aux urgences, je sais. On peut. J’avais toujours évité les hôpitaux, je m’en tirais tout seul, comme les cafards qui survivent aux attaques nucléaires. Je suis passé entre les gouttes. J’avais jamais réalisé à quel point j’ai été chanceux.
— Monsieur Langlois, est-ce que vous comprenez ce que je vous dis ?
Je tousse un ouais enroué avant de retomber dans le flou et dans la ouate. Pas une ouate agréable. Une ouate qui annonce que ça va pas bien aller. Miche pose des questions au médecin. Je voudrais qu’elle s’en aille. Je pose ma main sur la sienne. Le geste millénaire du gars qui cherche à faire taire sa bonne femme. Il paraît que ça marche même quand c’est pas la tienne. Elle se tait, et commence à pleurer. Je serre ses doigts. « Ça va aller, t’inquiète pas. » Un petit signe au médecin pour le rassurer lui aussi. « Ça va, allez donc vous occuper de quelqu’un qui en a plus besoin que moi. »
J’observe les rideaux censés servir de cloison. Est-ce qu’il fait nuit ? Sans fenêtre, impossible de le deviner. Depuis combien de temps je suis là ? La dernière chose dont je me souviens, c’est d’une douleur au ventre alors qu’on regardait Top Chef, Miche et moi. Le premier épisode de la saison, tu manques pas ça, mais j’ai dû aller aux toilettes. Je m’étais mis à avoir mal quand la présentatrice a annoncé : « La compétition commence… maintenant ! » et, à la pause, j’ai senti que quelque chose tournait vraiment pas rond. Miche a gueulé pour me prévenir de me dépêcher, mais j’avais plus trop envie. En sortant de la salle de bains, j’ai été obligé de me tenir au mur. « Son lait bout, va falloir qu’y reprenne du début, il aura pas le temps. » Miche, pendue aux lèvres de la présentatrice, fixait l’écran en secouant la tête. Puis tout est devenu noir et je l’ai entendue crier.
Et on a atterri ici.
Entre deux reniflements, Miche s’efforce de me rassurer, ou de se rassurer – à ce point-ci, quelle importance.
— Les médecins, ils savent pas ce qu’ils disent les trois quarts du temps, Yvan… Je vais demander à mon acupuncteur ce qu’il en pense.
J’ai mal à la poitrine, et je respire difficilement, tout d’un coup. J’imagine que c’est ça qu’on ressent, quand on se pend. La douleur d’abord, l’asphyxie ensuite. Et, tandis que tu manques d’air, que tu comprends que ça sert plus à rien de t’agiter parce que tu l’as voulue, cette mort-là, elle arrive, finalement. T’essaies d’étouffer l’animal qui veut vivre à l’intérieur de toi. T’essaies de le calmer.
Jusqu’au moment où tu te rends compte que tu souhaitais pas mourir tant que ça.
— Hey, Miche… tu irais m’acheter un Subway ?
Elle lève son visage trempé de larmes et son nez morveux vers moi. Elle s’interroge. Comment ça se fait que j’aie faim, alors que je mange quasiment plus rien depuis des mois ? Pourquoi je pleure pas ? À genoux, de préférence, en hurlant au ciel « Pourquoi moi ? ». Elle ouvre la bouche, se préparant à dire quelque chose, mais n’y parvient pas. À la place, elle met son blouson et cherche sa sacoche.
— Tu peux prendre du cash dans mon portefeuille… l’as-tu apporté ?
— Oui… mais c’est bon, j’en ai, des sous.
— OK.
— OK.
Elle va jusqu’au rideau, l’écarte un peu, juste assez pour que j’aperçoive la fille couchée en face de moi. L’âge de Gabrielle, moins cute. Pas laide… Disons quelconque. Gabrielle, quand elle entre quelque part, la pièce s’éclaire. Je suis sûr qu’on l’aurait brûlée pour sorcellerie, si elle était née deux ou trois siècles plus tôt. Les hommes ont jamais réussi à discerner ce qui est bon pour eux. Que Gabrielle existe, ça rend le monde plus léger. Ce que je raconte là va au-delà de ma fierté de père : ma fille est spéciale. Tout ce que j’aurais pu avoir, dans la vie, c’est elle qui l’a eu. C’est ce que je me répète quand j’ai envie de me sentir moins loser. Je l’aurai au moins réussie, elle.
— Ça va aller, Yvan ?
Je réussis à sourire à Miche, mais quelque chose s’est brisé en moi. Comme quand tu t’étires pour attraper ta bière, que tu te penches, que ça t’explose dans les reins et que tu restes coincé comme ça. J’ai réussi à sourire à Miche, mais j’ai trop tiré. Je pleure en silence jusqu’à ce que je sois sûr qu’elle est trop loin pour m’entendre.
— Monsieur ? Monsieur, ça va ?
Normalement, j’aurais arrêté de pleurer aussi sec, je me serais donné une contenance et je serais rentré en vitesse chez nous pour me servir une bière dans l’anonymat, la solitude et l’indulgence de mon foyer. C’est pas que je veux pas, j’en suis même pas capable. J’ai plus de forces, plus de volonté, rien. M’en fous bien de pleurer devant quelqu’un, j’ai les membres, la tête et le cœur disloqués.
La fille du lit d’en face a traîné son pied à perfusion et, malgré le risque de se retrouver le cul à l’air dans sa blouse d’hôpital, elle est venue jusqu’à moi. Elle m’a pris la main.
— J’ai… j’ai pas eu le choix d’entendre le médecin quand il vous a parlé. Vous devriez pas être tout seul, monsieur.
Je continue de pleurer ; les larmes coulent autant que mon sang si je me vidais par l’aorte. Quelque chose de spectaculaire.
Je suis sorti de mon corps.
« Vous devriez pas être tout seul, monsieur », elle a dit, la petite, mais on m’a abandonné, et c’est vrai. Je prétends pas que je l’ai pas mérité, sauf que merde. Je suis tout seul, tout seul, tout seul. Ma vie aura été ça : un amas d’affaires ratées et d’occasions perdues. J’aurais pu répondre aux courriels de Gabrielle, lui donner mon nouveau numéro de téléphone, mais pour parler de quoi ? Pour étaler à quel point ma vie était minable ? Pour deviner son air déçu quand elle aurait su que ma énième résolution d’arrêter de boire avait pas plus duré que la précédente ? Pour que ce soit elle, et pas l’inconnue en blouse, qui me tienne la main ? Est-ce qu’elle me supporterait jusque-là, ou je l’épuiserais avant ? C’est sûr qu’elle finirait par partir. Me planter ici. Et mettons qu’elle aurait pas le cœur de démissionner, parce que je suis son père, elle resterait probablement par obligation, et pas parce qu’elle m’aimerait encore. Même pas par respect. Juste pour un devoir infâme et abject qui finirait de scléroser notre relation, comme l’alcool mon foie, selon ce que vient de m’annoncer le médecin. Et mettons qu’elle s’en irait pas, il faudrait que je la regarde me voir avec ces yeux-là. Les yeux de la fille en blouse moins belle qu’elle. Des yeux noyés de pitié avec, dans le fond, un lit de colère, parce que je me suis fait mourir moi-même.
Dans le temps, j’étais un héros.
« Roule plus vite, papa ! Encore ! Plus vite ! »
Un héros pilote de course sur une route de campagne.
« On peut le ramener à la maison et le soigner, papa ? »
Un héros maman oiseau, vétérinaire de fortune.
« Papa ! Je veux pas que maman désinfecte mon bobo, ça va chauffer ! »
Un héros sauveur de genou.
Ma fille m’a rendu meilleur, pendant un temps du moins. Ses grands airs émerveillés, son rire franc, sa confiance inébranlable et terrifiante, tout ça a fait de moi un surhomme. Avec une date de péremption, mais un surhomme quand même.
Sauf que le gars qui sanglote dans son lit d’hôpital, la main tenue par une inconnue, attendant que sa coloc lui apporte un sandwich qu’il mangera pas, lui, ce gars-là, je l’ai fabriqué moi-même.
Partir (ou pas)
— Tu sais ce qui me rend triste, moi, Yvan ? C’est un enfant qui arrive de sa chambre avec un jeu de société en espérant que quelqu’un jouera avec lui, mais y a personne qui veut, jamais. « Qu’est-ce qui va pas chez moi ? Ben oui ! Ça doit être moi, c’est sûr ! » Et il se met à se haïr, ce petit-là, alors que c’est pas de sa faute, que rien est de sa faute, et ça… ça, Yvan, ça me… Tu dis rien ?
Va savoir pourquoi Miche trouve pertinent de me parler de son enfance de merde, vingt-quatre heures après ma sortie de l’hôpital. Je réponds pas, parce que je réfléchis. J’ai toujours trop réfléchi, c’est ce qui a commencé à me ronger à l’intérieur et à me tuer très jeune. Si on ajoute à ça ma lâcheté, peut-être un peu de paresse et une estime de moi relativement avariée, voici ce que ça donne : un tableau pas très reluisant.
— Tu sais… son petit cœur qui tombe, paf, à terre, et qui se fait trop mal parce qu’il était monté trop haut. « Pourquoi t’as espéré, encore ? Pourquoi t’apprends jamais ? Est-ce que ça va finir par rentrer dans ta tête que t’es tout seul et que tu le seras toujours ? » Mais il pense pas à ça, lui. Là c’est moi qui te le dis, avec l’expérience. Mais lui, sur le coup, il se demande juste pourquoi. Et moi, Yvan, c’est ça qui me rend triste. Y en a pas, de réponse, pour ce p’tit-là. C’est comme ça.
— Ta gueule, Miche.
Je lui tourne le dos, et je sors sur le balcon. Ça peut pas continuer comme ça. Je souffle la fumée de ma cigarette, envoie valser le mégot d’une pichenette. Je suis écœuré de l’entendre, je suis écœuré de la voir. Au fil des années, mes sentiments envers elle se sont transformés, de curiosité en ressentiment, sans que je sache trop comment ni pourquoi. Comme le monde entier, elle
L'écrivaine Marie-Sissi Labrèche reçoit Sophie Bienvenu, Michel Tremblay et Janette Bertrand.
Les libraires en coulisses, une initiative de l?Association des libraires du Québec (ALQ) et de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ), ont présenté des rencontres passionnantes lors du Salon du livre de Montréal 2014 avec des écrivains, notamment Janette Bertrand, Michel Tremblay, Katherine Pancol, Gabriel Nadeau-Dubois et Emmanuel Carrère.
Réalisation et montage : Jessica Gélinas