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Critique de batlamb


Ambrose Bierce ne se contentait pas d'écrire des histoires surnaturelles, car sa vie elle-même en était une : un roman empli de guerres, de meurtres et de fantômes venant le hanter. Blessé à la tête dès la fin de son adolescence dans la guerre de Sécession, il verra ses fils abréger leur vie avec l'aide de l'alcool et des revolvers, puis il retournera au front à l'âge tendre de 71 ans pour aller faire la révolution aux côtés de Pancho Villa... et disparaître mystérieusement.

Ce rapide tour d'horizon permet de se faire une petite idée de la familiarité entretenue par Bierce avec la mort. Une vielle compagne qu'il invite ici à sa table, dans des récits fantastiques qui suivent tout à fait les conventions narratives du genre au XIXème siècle, car ils s'appuient systématiquement sur une parole rapportée, en l'occurence un narrateur interne racontant après-coup les faits surnaturels qu'il a observés. Cela permet une mise à distance qui préserve les âmes sensibles (ouf, nous sommes sûrs que le héros a survécu), mais fait forcément perdre un peu en frissons.

Les thèmes abordés sont variés et attrayants (fantômes, monstres invisibles, phénomènes psychiques inquiétants…), même si rien de cela ne paraîtra très dépaysant pour les connaisseurs du Horla, des fantômes de Poe et des fantaisies spiritistes de Conan Doyle. le classicisme absolu de l'ensemble imprègne jusqu'à la plume de Bierce, à la solennité toute victorienne et d'une finesse admirable, qui lui permet de déployer les ressorts subtils de la peur sans avoir besoin de recourir à une exagération tonitruante (Lovecraft, si tu m'entends…).

Les choses deviennent encore plus intéressantes à partir du moment où l'on s'aperçoit que Bierce place systématiquement les institutions sociales et les valeurs humaines en situation d'échec face aux phénomènes surnaturels : un docteur de chair et d'os est incapable d'inverser le « diagnostic de mort » de son collègue fantôme, les inspecteurs confrontés au cadavre laissé par un esprit vengeur s'enfuient sans demander leur reste, et un aristocrate perd son self-control dans un dîner mondain où le sens de ses visions lui apparaît. L'amour lui-même est brisé par le choc entre le monde des humains et celui, plus large, qui l'entoure.

Le cynisme de Bierce perce peu à peu, et finit par éclater en fin de recueil, avec la nouvelle « La tombe sans fond » puis une courte série de quatre textes additionnels : « Le club des parenticides ». Dans ces dernières histoires, les fantômes disparaissent brutalement et ne laissent que des anti-héros dansant sur les ruines de l'humanité et de la famille en particulier.

Par cet humour fondé sur la souffrance (comme pour tout clown triste qui se respecte) Bierce se révèle à son meilleur : le raffinement de son écriture lui sert de levier ironique pour renverser les idoles de la moralité, et se gausser de cette humanité dont il a observé la folie aux première loges.
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