Un court texte surprenant, au style inclassable.
Lu d'une traite cette nuit, cet ouvrage à la plume décoiffante, mettant en scène 3 journées de la vie d'un Cézanne vieillissant, apparaissant comme un ours mal léché, misanthrope à souhait, la dent dure envers ses confrères artistes contemporains et passés...Ne supportant pas les toiles de son ami Renoir, avec lequel il finit par se fâcher, peu chaleureux, même, avec son unique fils, Paul....
Rien ne compte pour lui que sa peinture, son art... tout le reste est secondaire !
Cézanne est présenté par l'auteur , comme une sorte de Léautaud, vociférant, et vouant à tous les diables, ses congénères !...
Par contre quelques allusions mythologiques m'ont laissée de marbre, trouvées surfétatoires !
Un aspect a retenu plus particulièrement mon intérêt, ce sont les détails quotidiens que l'auteur décrit , montrant ainsi les difficultés toutes pratiques de tout artiste-peintre... au lieu d'enjoliver et de sublimer la vie d'artiste... Une manière autre, plus abrupte mais aussi plus authentique de présenter la création artistique, sous ses aspects glorieux et moins glorieux !!....
"Spatule à la main, il gratte sa palette, vigoureusement. (...) Il frotte au chiffon jusqu'à ce que le bois brille. Il pose une goutte de céladon au milieu; il saisit un pinceau propre, fin comme un fuseau, regarde le fruit, regarde la toile, regarde son nombril, regarde le plafond, regarde le monde, hésite longuement. Fichtre, que ce métier est difficile. "(p. 52)
"Accroupi dans les cistes, il trie les tubes dans sa caisse. Merci John Rand. C'est lui qui les inventés, en 41. Avant, les peintres conservaient leurs couleurs à huile serrées dans desvessies de cochon, qu'ils poinçonnaient pour en prélever. ça sortait en vrac; ça ne sortait jamais de l'atelier. le tube en étain refermable a tout changé. Avant, on restait à la maison. Maintenant, on a la bougeotte."(p. 11)
Et comme je le disais ci-dessus, le plus déroutant et déstabilisant , dans un premier temps, c'est le style tour à tour, composé de longues phrases, ou d'images, de dialogues lapidaires, souvent très crus, volontairement provocants, alternant avec un plume poétique et adoucie. Un mélange détonant...et réussi, car en dépit de ma perplexité et d'appréciations premières, ambivalentes, ce style doit être une réussite en soi, car quelques heures après ma lecture, des images fortes me revenaient à l'esprit, au vu justement des mots, images inédites, choisis par Mika Bierman....Une lecture à la fois surprenante et très appréciée, qui vaut le détour...et une attention particulière....!!
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« il regarde son tableau, bon ?, mauvais ? Il regarde le paysage ; évidemment.
Quelque part dans ce paysage se cache les hommes ; des braconniers braconnent ; des randonneurs randonnent, des charbonniers charbonnent, les paysans font la sieste dans l’herbe. Le fou du village essaye d’embrasser une nonne sous le cerisier. Des gamins armés de bâtons jouent à la guerre dans une ancienne carrière. Un trimard, ivre mort, roule dans une fosse remplie d’immondices. Les femmes portent des cruches sur la tête en revenant de la source…. Un colporteur frappe son cheval…. Être, ou pas, ce n’est plus la question. La vie rampe, sournoisement, une carotte dans une main, un bâton dans l’autre. La mort rode, parfaitement ridicule, brandissant faux et sablier.
Peintre Paul lève le pinceau et fait un tache sur sa toile. »
Il recompose sa nature morte de pommes sur la commode. Au fond ce n’est pas si important que ça. Une pomme est une pomme. Ça ne pisse pas loin, une pomme, ni une peinture de pomme. C’est toujours mieux qu’une poire. Une poire, c’est tordu. Il en a fait, des natures mortes de poires, dans des moments de grande disette. Ne parlons pas de l’ananas. Que ce con de Gauguin s’en occupe. Mais même un ananas est mieux qu’une patate. Il déteste peindre des légumes, sauf les oignons. Il déteste Arcimboldo. Faire le mariolle ainsi, quelle honte. Arcimboldo, c’est quelqu’un qui raconte une blague trop longue, debout au comptoir, et qui ennuie la compagnie.
« Peintre Paul n’était pas puceau, il s’était même marié. C’était moins cher que payer un modèle. Il appelait sa femme « le boulet ». Avec Hortense, jamais un mot. Dans la chambre ils ressemblaient à deux ouvriers qui ne savaient pas où poser leurs outils. Un chien et sa chienne y mettaient plus de sensualité. (…) Chez les paysans, on tapait joyeusement sur des culs rebondis, on jurait, ravi, on battait le beurre. Chez les bourgeois, on pinçait les joues, on déchargeait entre les seins, on mettait un doigt. Le maquignon giflait sa catin, elle se jetait à son cou. Le marquis se faisait attacher aux montants de son lit par la demi-mondaine. Le boulanger, rouge de plaisir, bavait sur la poitrine de la laitière. Paul et Hortense se cognaient dans le noir, firent un fils sans le faire exprès, et cessèrent bientôt, avec un certain soulagement, tout commerce charnel. »
Une chouette hôle: sous de lointains toits un écrivain invente une histoire rien que pour utiliser ce verbe une fois dans sa courte vie. (p. 15)
Accroupi dans les cistes, il trie les tubes dans sa caisse. Merci John Rand. C'est lui qui les inventés, en 41. Avant, les peintres conservaient leurs couleurs à huile serrées dans des vessies de cochon, qu'ils poinçonnaient pour en prélever. ça sortait en vrac; ça ne sortait jamais de l'atelier. Le tube en étain refermable a tout changé. Avant, on restait à la maison. Maintenant, on a la bougeotte.(p. 11)
Payot - Marque Page - Mika Biermann - Trois nuits dans la vie de Berthe Morisot