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Critique de Fattorius


Refaire un procès, c'est comme refaire un match de football: l'exercice peut paraître vain. Il reste pertinent dès lors qu'il se plie aux règles de l'analyse approfondie et s'applique à un cas exemplaire. Ces conditions sont remplies dans le livre "20 minutes pour la mort" de Philippe Bilger, qui retrace, d'une manière à la fois fouillée et très littéraire, les aléas du procès de Robert Brasillach, qui s'est soldé par la peine de mort pour le prévenu, antisémite et ancien rédacteur en chef du journal "Je suis partout" sous l'Occupation.

Du portrait de Robert Brasillach...

L'auteur ouvre sa réflexion par un portrait de Robert Brasillach. L'auteur des "Sept couleurs" est présenté comme un homme à la fois doux et fasciné par une certaine violence, et plus particulièrement envoûté par les grandes chorégraphies militaires dont le nazisme avait le secret. Une fascination pour la force d'autant plus étonnante, relève l'auteur de ce livre, que les romans de Robert Brasillach n'échappent pas à une certaine mièvrerie, parfois, et ont subi l'outrage des ans. Dès lors, Philippe Bilger s'interroge: comment un homme si intelligent a-t-il pu se laisser emporter, et fort loin des limites du raisonnable, par des délires racistes?

... peut-être en se cherchant des excuses? L'auteur analyse l'antisémitisme de Robert Brasillach, et considère que ce dernier le justifie par des arguments intellectuels, raisonnés. Acceptables? Philippe Bilger les balaie d'un geste sec: "Antisémitisme de raison contre antisémitisme de peau, d'instinct? Foutaises. Cette hérarchie est absurde qui, en théorisant et analysant le Mal, croit le justifier." Ainsi se trouve identifié un élément condamnable.

... à son procès

Condamnable, ai-je dit? On le sait, Robert Brasillach a été fusillé le 6 janvier 1945 pour "intelligence avec l'ennemi". Cette peine exemplaire, forcément exemplaire, était-elle justifiée, méritée, proportionnée? L'auteur s'interroge, analyse les preuves avec un regard critique, épluche les considérations des acteurs de la justice. le lecteur est donc invité à suivre une analyse minutieuse du procès, rédigée par un magistrat qui connaît son droit. Philippe Bilger pointe du doigt les faiblesses d'un procès où de nombreuses circonstances ont joué contre le prévenu - pour ne pas dire "le coupable", tant il est vrai que le procès, tel que présenté par Philippe Bilger, semble joué d'avance.

Le juriste met ainsi en avant la connivence entre le procureur et l'avocat, voisins de palier amenés à avoir des contacts réguliers qui auraient pu influer sur la décision du tribunal. le juge, quant à lui, semble plus préoccupé par l'idée de frapper un grand coup en faisant condamner un collabo à la peine capitale que par celle de condamner de manière proportionnée. Autour de lui, se trouvent des jurés anciens résistants, peu réceptifs aux arguments d'ordre intellectuel avancés par Jacques Isorni, avocat de Robert Brasillach.

Car que reproche-t-on à Robert Brasillach? Philippe Bilger arrive à démontrer que l'acte d'accusation a tout du procès pour délit d'opinion, en considérant qu'écrire des articles antisémites, certes nauséabonds, dans un journal, n'a pas forcément la même portée que décider très directement de la mise à mort d'une certaine population, par décret ayant force de loi ou en tenant l'arme du crime. L'accusation semble par ailleurs reposer sur un dossier relativement mince, en définitive. Dès lors, le délit d'"intelligence avec l'ennemi" est-il suffisamment réalisé pour mériter la sanction que l'on sait?

Assumant jusqu'au bout ses idées, Robert Brasillach n'a pas produit de témoins; cela obligeait le juge à choisir entre l'acquittement pur et simple et la condamnation maximale, rien ne venant justifier, au titre de circonstances atténuantes, une réduction de peine pour un crime majeur, et perçu comme tel dans le sillage de la Libération.

Peine de mort?

Philippe Bilger en arrive cependant à la conclusion que la peine de mort était, pour Robert Brasillach, excessive - et hâtive, compte tenu de la rapidité des délibérations (20 minutes pour décider de la mort d'une personne, au terme d'un procès de six heures - soit peu de chose). Cela, d'autant plus que des personnes plus engagées, Lucien Rebatet par exemple, ou Louis-Ferdinand Céline, n'ont pas eu, en définitive, à payer de leur vie l'expression de leurs idées.

En définitive, l'auteur de "20 minutes pour la mort" considère qu'une peine d'indignité nationale aurait été parfaitement proportionnée au vu du cas exposé. Praticable? Philippe Bilger suggère assez fortement qu'elle n'aurait pas été perçue comme acceptable par certains lésés ou observateurs. Exécuté peu avant ses 36 ans, Robert Brasillach, si peu recommandables qu'aient été ses pensées et ses écrits, aurait-il payé pour d'autres au terme d'un procès dont l'issue était jouée d'avance?

En filigrane, c'est aussi une opposition à la peine de mort que l'auteur laisse transparaître. Et au final, le lecteur de ce livre aura goûté une réflexion pertinente, quoique d'un style parfois légèrement maniéré, sur le fonctionnement de la justice, dans ses forces mais aussi et surtout dans ses faiblesses, dérives et excès. Un sujet périlleux, abordé ici avec finesse et intelligence, loin de tout juridisme rébarbatif.


Lien : http://fattorius.over-blog.c..
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