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EAN : 9782844853707
111 pages
Allia (07/10/2010)
4.7/5   10 notes
Résumé :
“Les lecteurs qui n’ont pas la passion des textes anciens trouveront peut-être absurde l’idée de demander un appui, dans une aussi grande affaire, à un auteur de l’Antiquité dont on sait si peu de choses et dont on a si peu de textes. Mais c’est que ces textes ont une teneur très particulière. Ils contiennent une matière dont nous n’avons pas d’autres échantillons et qui pourrait constituer un antidote puissant, même en petite quantité, contre la tradition dont il ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'IMAGINATION (PHILOSOPHIQUEMENT) AU POUVOIR !

"[...] il importe de sortir, me semble-t-il, de l'opposition convenue entre pensée chinoise et pensée occidentale, qui pousse chacun à «soutenir ce que l'autre rejette et à rejeter ce que l'autre soutient», comme dit Tchouang-Tseu. Considérons-les plutôt comme inachevées l'une l'autre, et posons que cette histoire inachevée est "une" désormais parce que les problèmes sont les mêmes partout. Reconnaissons que, dorénavant, "la" question philosophique et politique se posent en tout lieu dans les mêmes termes."

C'est par ces quelques lignes fulgurantes que Jean-François Billeter, dans ses "Notes sur Tchouang-TSeu et la philosophie", délivre, si l'on peut dire, le message que toutes ses recherches, son fabuleux travail de sinologue et de penseur, ses intuitions et ses espoirs d'une rencontre entre la philosophie occidentale et la philosophie chinoise inspirée du Tao qui soit un enrichissement pour les deux en même temps que la promesse d'avancées considérables et vivifiantes dans les domaines de la pensée, de l'individu et de la politique en tant que manière la plus juste et porteuse de vérité - pour reprendre des notions exprimées par la philosophe Simone Weil - de gouverner au bonheur commun.

Avouons-le sans détour : la pensée philosophique de Jean-François Billeter, sans être particulièrement ardue, demande toutefois une concentration de tous les instants, d'autant lorsqu'elle est exposée dans de petits textes, certes vulgarisateurs, mais très concis et condensés. En revanche, c'est une pensée d'une grande puissance régénératrice qui, tout en s'appuyant sur l'oeuvre (de première main ou de disciples immédiats) de Tchouang-Tseu, dont il propose une analyse presque révolutionnaire (en grande partie en l'évinçant d'une pensée confucianiste stricte et lourde d'un certain dogmatisme issu de l'Empire), ainsi qu'en prenant appui, pour l'aspect occidental de son travail, sur les pensées de Ludwig Wittgenstein, grand philosophe du langage, entre autres spécialités, mais surtout sur les avancées fondamentales en matière politique de cette immense personnalité que fut Annah Arendt ainsi que celle du philosophe d'origine grecque (le grand moment historique de la Démocratie athénienne n'est jamais loin...) Cornelius Castoriadis dont le travail sur la Démocratie est, plus que jamais, indispensable.

Texte très référencé, s'appuyant aussi, il est vrai, sur les quatre conférences données par Billeter à l'occasion d'un colloque organisé par le Collège de France et que les éditions Allia avaient publiées sous l'appellation de "Leçons sur Tchouang-Tseu", dont elles sont les ultimes ajouts -où l'auteur s'attache à lever un certain nombre de malentendus et de mauvaises compréhensions persistants parfois depuis les origines de ces textes - tout autant que des genres de prolongements, ces notes n'en demeurent pas moins un moment unique, d'importance égale à ses autres ouvrages, lesquels se complètent et s'interpénètrent tous plus ou moins lorsque l'on considère l'oeuvre du sinologue suisse. Il en appelle à des redéfinitions, des SYNTHÈSES totalement nouvelles des terminologies les plus évidentes et courantes, employées tant et tant qu'elles ont fini par se vider peu à peu de leurs sens, de leurs substances et ainsi leur capacité à renouveler notre imagination - terme et notion absolument centraux de cet essai -, imagination sans laquelle il nous sera impossible de sortir des modèles politiques totalisant que nous connaissons depuis des centaines d'années et où une minorité impose invariablement à l'immense majorité non seulement son pouvoir mais surtout sa manière de penser le monde et les rapports de domination.

En cela, Tchouang-Tseu, ce philosophe d'apparence si lointaine dans le temps et l'espace, mais à l'esprit tant décalant (plus qu'à proprement parler décalé), s'étant plus attaché "aux apories de la pensée, aux paradoxes et aux discontinuités sur lesquelles nous buttons dans l'expérience de nous-mêmes et du monde" qu'à ce qui fait trop aisément (trompeusement ?) cohérence en tout discours construit, au détriment de l'individuel, au détriment d'une certaine liberté d'imaginer autrement serait ainsi l'une des clés presque autant que l'un des accès vers cette urgence à repenser notre monde et les rapports des individus les uns aux autres dans la Cité.

Comme chaque fois, on ressort tout aussi époustouflé que songeur à la lecture de cette pensée en ébullition permanente et l'on referme cet ouvrage en songeant, déjà, enrichir son univers mental (à défaut de se sentir prêt à ré-imaginer le monde) avec le prochain !
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Avec ce livre, Jean François Billeter poursuit son remarquable travail d'exploration de la pensée de Tchouang-Tseu, loin des ratiocinations habituelles du monde universitaire.
Il montre comment Tchouang-Tseu est d'une certaine manière, à part ; comment cette pensée pourrait permettre de réunir les voies séparées des philosophies chinoises et occidentales.
Pour se faire, il met en lumière les causes d'un certain nombre de malentendus persistants et souligne que "la question philosophique et politique se pose aujourd'hui de la même façon dans le monde entier. Et le péril actuel exige qu'elle soit entièrement repensée ..."
Citant Hannah Arendt, il propose avec elle que le fondement de la philosophie politique soit désormais "l'étonnement devant la pluralité de l'homme" et c'est dans cette optique qu'il distingue en Tchouang-Tseu l'initiateur d'un dialogue véritable.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Revenons pour finir à l'imagination, telle qu'elle a été définie plus haut, et prenons du champ pour considérer brièvement le rôle qu'elle a joué dans l'histoire. (...) Presque toujours, les synthèses imaginaires qui se sont imposés ont servi les intérêts des minorités qui détenaient le pouvoir et disposaient des richesses. A toutes les époques, des sociétés entières ont pris cet imaginaire pour la réalité même et se sont trouvées soumises, par ce biais, aux intérêts de la minorité. Aucune classe dirigeante ne se serait maintenue si elle n'avait pas fait partager à la société qu'elle dominait une certaine vision des choses.
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Nous voyons là deux cultures qui s'affrontent, m'a dit mon ami Jacques D., lorsque nous parlions de ces termes et de quelques autres. Méfions-nous des "cultures", lui ai-je répondu : elles sont insaisissables - sinon à travers ces termes-là, justement. C'est par le sens de ces mots qu'il faut commencer. Ils sont le pilier sur lesquels le reste est bâti. Toute pensée, commune ou individuelle, repose sur eux. Tenons aussi compte du fait que le sens d'un mot fondateur est aussi une synthèse. Il rassemble une expérience personnelle et collective - qu'il a aussi contribué à former. Cette synthèse est le résultat d'une histoire toujours particulière. Et la pensée philosophique repose sur ces mêmes bases, toujours particulière.
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C'est par le sens de ces mots qu'il faut commencer. Ils sont les piliers sur lesquels le reste est bâti. Toute pensée, commune ou individuelle, repose sur eux. Tenons aussi compte du fait que le sens d'un mot fondateur est une synthèse. Il rassemble une expérience personnelle et collective - qu'il a aussi contribué à former. Cette synthèse est le résultat d'une histoire toujours particulière. Et la pensée philosophique repose sur ces mêmes bases, toujours particulières. C'est ce qui rend si difficile la communication entre des philosophies de langues différentes : les mots qu'elles utilisent ne se correspondent ni dans leur forme, ni dans l'usage qu'on en fait, ni dans l'expérience dont ils représentent la synthèse.
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Il n'y a pas d'unité doctrinale non plus dans les parties les plus fortes de l'ouvrage, celles que l'on attribue traditionnellement à Tchouang-Tseu lui-même, par exemple le chapitre 2. L'auteur ne l'a pas voulu. Un discours trop cohérent lui paraissait suspect parce qu'il s’intéressait en premier lieu aux apories de la pensée, aux paradoxes et aux discontinuités sur lesquelles nous buttons dans l'expérience de nous-mêmes et du monde.
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Ces notes ressemblent à un carrefour, où se rejoignent plusieurs avenues et d'où l'on voit s'ouvrir différentes perspectives. Que le lecteur considère les notes de bas de page, assez nombreuses, comme des ruelles adjacentes dans lesquelles il peut fort bien ne pas s'engager.
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