« Un biker ne freine que devant Dieu. » Pierre Billon
« Entre l'Histoire et la légende, je privilégie la légende. »
John Ford
Ah, qu'il est chouette ce livre, chouette d'abord parce que très beau. La composition intérieure me rappelle mes vieux Gallimard Découvertes, quand je reconstituais le texte du « Cinéma noir hollywoodien » entre les vignettes de détails de vieilles caméras, de chaussures de stars et d'affiches vintage. Emerveillée par la profusion iconographique je ne retenais pas tout de ce qui m'était savamment transmis, mais un univers, surtout un rêve, l'aventure. Ici cela fonctionne tout à fait de la même manière : absorbée par le mélange de motos toutes plus belles les unes que les autres, dont beaucoup d'anciens modèles mythiques, comme la Triumph Thunderbird que chevauchait Marlon Brando avec ses sauvages, de panneaux routiers américains, de bouteilles de Tabasco ou de serpents à sonnettes, de tombe de Dennis Hopper, d'ancienne mine reconvertie en casse automobile, de couchers de soleil parfaitement insolents et de notre bon vieux Johnny national, rutilant, en poncho ou tee-shirt Daytona 1990, bagues tête de mort ou bandana à graines anti-chaleur, le visage s'émaciant au fil des années (le livre rapporte trois road-trips narrés par l'un de ses plus grands amis, parolier et directeur artistique, Pierre Billon, sur la route 66 avec Johnny, en 1990, 2007 et 2016, juste avant que le Taulier apprenne son cancer du poumon) – un Johnny que j'ai toujours trouvé aussi beau que Clint – absorbée donc par la beauté des clichés retenus, clichés dans la superbe de tous les sens du terme, je dévorais le texte pour avancer aussi vite qu'eux, connaître les bonnes adresses, retrouver les références courues (Easy Rider) ou moins (Joe Fante), vibrant avec la joyeuse troupe du même plaisir d'enfant de replonger en Amérique, celle du rêve, des espaces dépeuplés, des coffee-shops miteux. Celle qu'on retrouve dans toutes les séries qui nous rendent dingues, tous les films plus huppés qu'on aime, dans tous les livres plus pointus qu'on dévore d'un bout à l'autre, celle dont on n'arrivera sans doute jamais à se lasser, tant qu'on y sera pas allé soi-même, qu'on ne l'aura pas retournée de fond en comble, en moto ou en hydravion, en mule ou en tramway. Celle qui ne se résumera jamais à un triste président, un redneck meurtrier ou une cagole instagram, qui résiste à toutes les réductions, qui déploie, continuellement, inexorablement, ses déserts et ses parcs, ses barbiers, ses bandidos et ses OVNI, et dans laquelle
Johnny Hallyday aimait tellement se perdre avec une poignée de fous avec lui, sans jamais ou presque être reconnu, solitaire en bande reprenant un souffle qui viendrait à nouveau regonfler le moral de ses troupes là-bas, en France, par son ambition démesurée et son souhait viscéral de rectifier une donne un peu salope, au départ, une enfance confisquée, et un bon vieux coeur d'apache amputé de sa lumière, luttant pour atténuer les douleurs fantômes. Personne ne l'attendait, et il arriva.
Son public, majoritairement modeste, n'irait, lui, sans doute jamais farcir son hamburger de sauce piquante en regardant le soleil tomber dans les canyons, depuis la baraque en bois construite pour John Wayne. Il n'irait pas avec sa meuf et ses meilleurs potes enrouler des serviettes de motels sur ses chevilles et entasser les ponchos pour se protéger d'une tempête impromptue. Il ne quitterait pas le groupe en trombe pour assister à la projection du nouveau
Tarantino, peinard, à Santa Fe. Et Pierre Billon, avec la même générosité que son ami, et le souhait de donner un gros morceau de ce rêve à ceux qui ne partiront pas beaucoup plus loin qu'un rond-point en plein hiver, et quelques conseils pour les plus chanceux dont ce serait le voyage d'une vie, perpétue la tradition populaire la meilleure, qui sait faire simple sans être stupide, guider sans être odieuse, et transmettre son enthousiasme et la conscience de sa chance sans arrogance.
Un bouquin qui fera plaisir, ce qui n'est déjà pas si mal, aux fans de Johnny certes, mais aussi à ceux de motos, de camaraderie, de vieux films et de route 66.