Nous plongeons avec le narrateur dans le quartier de Sidi Moumen à Casablanca. Les bidonvilles, la déchetterie en plein air, aire de jeux des enfants et adolescents du quartier, les exclus. L'histoire n'est pas tragique. Elle est. Et c'est tout. Elle est et elle mène à un suicide. Mais pas seulement. C'est un attentat-suicide. C'est l'ignorance, la misère, le désespoir absolu dans un quartier qu'un mur sépare des gens sur qui l'on crache parce que eux ne s'intéressent pas à ces exclus de Sidi Moumen. Parce que eux mènent une vie pépère sans avoir à se battre pour manger. Et parce que c'est leur indifférence qui nourrit cette misère, cette ignorance, l'horreur d'une vie sans existence. Tout à coup, le "kamikaze" prend vie, existe à nos yeux d'indifférents... Tandis qu'on oublie qu'il est encore plus victime que les victimes reconnues de l'attentat.
Merci à l'auteur. D'avoir donner une existence à ces oubliés du monde. Et de poser des questions sérieuses sur la responsabilité de chacun face à cette misère. Yeux grands ouverts, lisez.
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Un roman très attachant et même amusant parfois, à la fin tragique; mais peut-on aspirer à autre chose qu'à une fin tragique quand on nait et grandit dans un bidonville? L'intérêt de ce roman est qu'il traite du problème de la pauvreté et de l'exclusion au Maroc et de ses conséquences. En effet, les bidonvilles sont un terreau fertile pour le recrutement des jeunes en perdition que l'on manipule afin qu'ils soient "volontaires" pour le djihad.
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Dans une langue recherchée, l'auteur ne nous passe rien: l'analphabétisme, la délinquance couverte par les parents dont ils profitent, le viol et l'homosexualité, jusqu'au dénouement.
Si le film "Les chevaux de Dieu" (2012) de Nabil Ayouch, remarquablement filmé et monté est un copié collé du livre, il est si habilement réalisé qu'il en est plus puissant encore.
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En enfilant le gilet bardé d'explosifs j'étais déjà poussière. Cela me procurait une sensation étrange. Je faisais corps avec la terre, le ciel et les étoiles qui mitraillaient la nuit noire. Les paroles du chaikh scintillaient dans mon esprit et je me sentais invincible. Non, on ne peut rien contre un homme qui veut mourir. Et moi je le voulais ardemment. Nabil, Azzi, Khalil, Fouad, Hamid voulaient aussi mourir. En vivant à Sidi Moumen, cernés de macchabées, d'éclopes et de rampants, nous étions en réalité, presque morts. Alors un peu plus ou un peu moins, quelle importance!
Ghizlaine était de plus en plus belle. Je regardais ses seins que ses larges tuniques ne parvenaient plus à dissimuler. Deux poires, presque mûres, surmontées de raisins secs qui piquaient la toile brodée, et qui paraissaient frustrées de ne pouvoir s'épanouir au grand jour. Je les devinais malheureuses, ces poires, et rêvais de les consoler de mille caresses, de mordre dans leur chair fondante, d'y enfouir mon nez et ma raison et de m'y oublier.
Du fin fond de ma solitude, quand les souvenirs de mon naufrage m'assaillent et me tourmentent,quand le poids de mes fautes devient trop lourd à porter et que mon esprit, déjà vieux et fatigué, se met à tournoyer tel un manège infernal,quand les pleurs de Yemma tombent sur moi comme une averse de feu et que la douleur de Ghizlane dilue dans mon âme son funeste poison, je m'en vais rôder dans le ciel de mon enfance.
Il est des provisoires qui durent. Les quelques semaines que Ghizlane et Fouad étaient supposés passer chez Mi-Lalla devinrent d’abord des mois, puis des années. Halima venait de moins en moins les voir et ce n’était pas plus mal. Les enfants l’évitaient. Ils s’absentaient de la maison quand ils apprenaient sa venue prochaine. Puis les visites s’étaient réduites aux jours de fête et s’interrompirent définitivement. Nul n’en souffrit outre mesure. Peut-être Ghizlane, un peu. Elle en parlait à Mi-Lalla qui avait le talent d’apaiser les cœurs avec sa phrase magique : « La lumière de demain ouvrira une autre porte. » Les lendemains se succédaient et, au fond, elle avait raison : le temps avait fini par adoucir les tourments de la petite.
La télévision couleur restant inaccessible pour la majorité des sujets de Sa Majesté, on disposait d’un film en plastique coloré qu’on appliquait à l’écran : trois bandes horizontales, bleu azur pour la partie supérieure, évoquant poétiquement le ciel, un jaune pâle au centre, enfin un vert gazon pour la partie inférieure. En résumé, nous avions droit à des étincelles d’images sous un plastique multicolore, souvent rayé et sale. Aussi, en raison de la surdité de mon père, nous mettions le volume si haut que nous étions contraints de voir la même chaîne que nos voisins pour ne pas faire désordre. Et malgré cela, nous nous réunissions tous les soirs, petits et grands, autour de cette lucarne magique, ouverte sans vergogne sur les curiosités du monde.
Mahi Binebine :
CannibalesDepuis un
café de la
banlieue de Fes au Maroc,
Olivier BARROT présente "
Cannibales" de
Mahi Binebine, la destinée funeste de candidats à l'
exil vers l'Europe.