Pour la plupart d’entre nous, l’art de la Chine et du Japon, quelle que soit la force de son attrait et de son pouvoir sur notre sensibilité, apparaît étrange, ou contient du moins une grande part d’étrangeté. En face d’une vieille peinture ou d’une antique statue d’Extrême-Orient, nous pouvons nous sentir charmés par la ligne et la couleur, par des formes expressives et un travail exquis ; mais, derrière toutes ces apparences, quelque chose demeure caché que nous avons toujours le désir passionné de comprendre.
Dégager l’esprit de tout préjugé, de toute prévention, c’est là une condition essentielle pour comprendre la beauté dans son essence. Comme disait, avec regret, un vieil artiste chinois : Les gens regardent les tableaux avec leurs oreilles plus qu’avec leurs yeux.
Ce ne sont pas seulement nos observations conscientes, mais encore nos impressions dominantes et favorites qui impliquent une théorie, si imparfaitement formulée soit-elle. Il est donc important que cette théorie sous-entendue possède au moins quelque valeur et quelque utilité.
Il est probable, à mon avis, qu’une grande partie de ce qui nous apparaît comme peu satisfaisant dans les théories d’art en Europe provient de l’idée profondément enracinée que l’art est forcément, de façon ou d’autre, une imitation de la nature, conséquence de l’instinct d’imitation de l’humanité. Telle est du moins l’opinion d’Aristote, et Aristote met expressément à part l’architecture, parce que l’architecture n’est pas un art d’imitation.
La théorie d’après laquelle l’art serait supérieur à l’imitation et à la représentation des formes n’est plus en faveur dans l’esprit des idéologues ; mais aucune autre théorie n’a conquis l’unanimité des suffrages et ne dirige l’opinion commune ; et l’autorité d’Aristote semble avoir laissé des tendances plus ou moins conscientes dans l’esprit de la plupart d’entre nous.
Je veux seulement faire ressortir l’idée cachée à la fois derrière le poème et derrière l’image. Le papier blanc que l’on époussète pour qu’il puisse recevoir dans toute sa pureté l’image du pin, toute frémissante de vie, symbolise la nécessité d’effacer de l’esprit tous les préjugés accumulés afin qu’il puisse recevoir l’empreinte de la beauté dans toute sa fraîcheur et dans toute sa force. Qui pourrait douter de l’effet salutaire d’une telle préparation ?