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Alerte : cet ouvrage est d'utilité publique. Veillez à vous le procurer d'urgence, surtout si vous passez du temps sur les réseaux sociaux.
Il est désormais impossible de débattre sereinement. Parce qu'aux interlocuteurs trois choses font défaut : le temps, la politesse et la culture générale. Nous vivons à l'heure du manque de recul, de la polémique et du vite mâché-retweeté. Quiconque ose formuler un point de vue nuancé est taxé de laxisme, accusé de « faire le jeu de ». C'est le triomphe de « langue de bois et coeur en toc », dixit l'auteur.
Pour parler de nuance, Jean Birnbaum convoque des grandes figures de la pensée (mes idoles…) : Georges Bernanos (et ses aveuglements surmontés), Hannah Arendt (et son goût de l'ironie), Georges Orwell (et sa franchise assumée, son refus de la complaisance), Raymond Aron (et l'incertitude comme vertu héroïque), Germaine Tillion (et la mesure, telle une bravoure sacrée), Roland Barthes (et le mépris des stéréotypes) et enfin Albert Camus, le plus grand, dont il reprend cette citation célèbre : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ». le « absolument » a, ici, toute son importance.
Où est passé le doute ? Qu'est-il advenu du plaisir de converser, de confronter les points de vue ? Pourquoi faut-il prendre parti à tout prix ? Ou pourquoi a-t-on peur de donner une mauvaise opinion d'un livre, par crainte de quoi, de qui ? J'ai évidemment apprécié cette dernière question que Jean Birnbaum aborde aux pages 47-49. La « clanisation » du débat tétanise les penseurs et fait de la franchise une qualité désuète, l'attribut des idiots.
Ce magnifique éloge de l'argumentation et de la mesure appelle un autre livre auquel, j'espère, Jean Birnbaum s'attellera un jour : le courage de dire non, l'audace de nager à contre-courant.
Bilan : 🌹🌹🌹
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Ce livre est un essai, c'est-à-dire "un livre inclassable, à la charnière de la littérature et de la pensée...qui, au sens propre, essaie, tâtonne, tente quelque chose, et dont la force n'est pas de trancher mais d'arpenter ces territoires contrastés où la reconnaissance de nos incertitudes nourrit la recherche du vrai".
Un essai donc sur la "nuance", ce "devoir d'hésiter", cette "éthique de la mesure, de l'équilibre, du doute", ce "courage des limites", cet "aveuglement surmonté", ce "tact du coeur", cet "héroïsme de l'incertitude", un héroïsme ordinaire, cette "discipline de l'esprit", cette "liberté critique", cette "bravoure sacrée".
Car pour Jean Birnbaum "dans le brouhaha des évidences, il n'y a pas plus radical que la nuance".

Cette nécessité pour l'auteur d'écrire un essai sur la nuance est née d'un sentiment d'oppression : "nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison".
Ces gens-là et leurs certitudes inébranlables, il les a croisés sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur Twitter" où "de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines plutôt qu'éclairer les esprits", où "la propagande prend le dessus, l'insulte le dispute à la calomnie", où "à force de fréquenter cet espace où triomphaient des meutes vindicatives, soudées par des préjugés communs, des haines disciplinées, je commençais à être traversé, moi aussi, par des réflexes détestables".

Ces gens-là, il les a croisés en passant du "virtuel" au "réel" ; cette oppression et cette nécessité d'écrire ont donné naissance à "ce bref manuel de survie par temps de vitrification idéologique et vitrification de la pensée". Car il y a, dit Birnbaum, "urgence à remettre de la complexité dans le débat public parce que notre monde se brutalise, il est de plus en plus dur".

Ce manuel de survie qui célèbre la nuance, cette vertu essentielle, l'auteur l'a réfléchi, pensé, écrit en faisant appel à quelques figures familières, à quelques-uns de ceux qui incarnent à ses yeux cette vertu.

Ces "figures aimées appelées à la rescousse parce qu'elles illustrent cet héroïsme de la mesure, qui ne se sont jamais contentées d'opposer l'idéologie à l'idéologie, les slogans aux slogans", ce sont Albert Camus, George Orwell, Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillion et Roland Barthes.
Des amis de choix (aux deux sens du terme)...

Je vais prendre trois de ces figures pour illustrer l'approche de Birnbaum ; les "autres" relevant du même processus d'analyse.

- George Orwell, comme Georges Bernanos a fait l'expérience de la guerre d'Espagne.
Cette guerre a été pour beaucoup, un marqueur, un révélateur.
Pour Orwell, ce révélateur ou cette révélation se fait dans les tranchées.
Il aperçoit la silhouette d'un messager du camp ennemi qui court.
Il le met en joue et au moment où il s'apprête à tirer, il se rend compte que l'homme qu'il est sur le point d'abattre "perd son froc"...
Orwell qui s'est engagé pour combattre les franquistes soutenus par les fascistes de Mussolini et les nazis d'Hitler ne peut se résoudre à tirer sur cet homme qui perd son pantalon ; il baisse son arme.
Cet évènement qui pourrait relever de l'anecdote fait partie de ceux qui vont générer la "conversion du regard" chez l'auteur de - 1984 -, lequel va refuser de ne pas voir ce qu'il y a à voir.
Il refuse alors de ne pas voir les crimes des "siens", la propagande, les mensonges (racines inspiratrices de la "novlangue"), surtout des staliniens, des anarchistes qui se livrent à des exactions contre les Républicains.
Il va dénoncer tout cela dans un de ses livres - Hommage à la Catalogne - et se mettre à dos son camp.
Un exemple de cet exercice de la nuance, qui oblige à se tenir en équilibre sur la corde raide et d'accepter de voir et de dire le réel dans sa complexité.


- Celui qui pourrait ou même devrait faire figure d'exception, c'est Bernanos, ce chrétien militant royaliste "à la droite de la droite", Maurrassien, membre de l'Action Française, qui a fait de la prison pour avoir frappé "à la canne" des personnes aux idées opposées aux siennes.
Qui voua toute sa vie durant une admiration passionnée à son "vieux maître" Édouard Drumont, cet écrivain et homme politique d'extrême droite, antidreyfusard, antisémite, qui participa à la fondation de la Ligue nationale antisémitique de France...
Sa prise de conscience, sa "conversion du regard", va s'opérer à Majorque où vivait avec sa famille pour des raisons d'argent, à l'occasion de la guerre d'Espil agne.
Lorsque Franco déclenche son coup d'État, Bernanos de par son identité politique est un sympathisant des Républicains, ces anticommunistes qui vont restaurer le pouvoir de l'Église. Son fils s'engage par ailleurs dans la Phalange ; son père l'approuve.
La guerre est atroce. Des crimes, des massacres sont commis au nom de son idéal, bénis par des prêtres "aux bottes ensanglantées".
Le regard de Bernanos change.
Il écrit : "il est dur de voir s'avilir sous ses yeux ce qu'on est né pour aimer".
Son pamphlet - Les Grands Cimetières sous la lune -, "Cela brûle, mais cela éclaire", dira Pie XI qui refusera de mettre le roman à l'index, signe la prise de conscience de cet homme contre son camp, lequel lancera une violente campagne contre lui ; les journaux d'extrême droite le qualifieront "d'aigri", de "dévoyé", d'égaré" ; sa famille politique le bannira.
Cette conversion du regard aura d'autres occasions de s'exprimer.
Comme nous le rappelle Jean Birnbaum, " cette expérience pamphlétaire péremptoire rend fascinante la dissidence bernanosienne et sa façon de se soustraire aux orthodoxies de sa famille politique. le monarchiste a démasqué Maurras. le fervent Chrétien a exhibé les compromissions de l'Église. le contempteur de la démocratie a choisi De Gaulle contre Vichy. L'antisémite a honoré les combattants du ghetto de Varsovie. En même temps !
Voilà pourquoi Bernanos occupe une place importante dans cet essai parce que "sous la lumière de Bernanos, la nuance est un aveuglement surmonté".

- Roland Barthes, sémiologue éminent, permet à Jean Birnbaum de prolonger ce qu'avait initié sa référence à Orwell, à savoir la "novlangue". Pour désigner les mots lorsqu'ils sont figés, "durs comme un bloc de préjugés", Barthes fait appel à celui de "brique".
Il a cette expression pour parler des gens qui sont enfermés dans leurs préjugés ; il dit d'eux qu'ils sont "briqués".
Pour Barthes la "conversion du regard" va se faire lors d'un voyage au pays de Mao Zedong où lui et ceux qui participent à ce voyage vont être très bien accueillis.
Barthes qui a un a priori plutôt favorable pour ce pays et pour son régime politique va, petit à petit, en visitant les fermes, les usines "somatiser", être pris de malaise et souffrir de deux pannes : une panne de l'écriture et une panne sexuelle "aucun mouvement du sexe", griffonne-t-il dans ses carnets.
Dans ce pays tellement souriant, tout est en réalité figé, autoritaire et nulle littérature n'est possible.
Lui pour qui les couleurs occupent une place essentielle, refuse de parler de ce monde en noir et blanc, ce qui va lui être reproché.
Corde raide, la nuance est passée par là.

Ce qui unit ou réunit les écrivains et intellectuels à la rescousse de l'auteur dans son ouvrage, c'est outre l'expérience de la souffrance chez chacun d'entre eux ( la maladie, la mort d'un proche ), c'est cette conscience qui en résulte qu'on n'est pas complètement maître de soi-même, que nous sommes traversés par des forces obscures "les eaux boueuses et vénéneuses de l'âme", c'est aussi la conscience de leur finitude, et le tout ne peut que conduire à la nuance.

Ils ont tous été accusés de "faire le jeu de" en acceptant de voir et de dire le réel dans sa complexité.

Étienne Klein nous dit de son côté que la nuance, c'est " "emmerdant", que les gens qui parlent sans nuances donnent l'impression d'avoir raison", alors que quelqu'un qui doute, qui réfléchit, qui est prudent, mesuré donne, lui, l'impression contraire. "On dit, ce type-là, il ne sait pas ce qu'il pense."
Klein d'ajouter : "Un propos nuancé donne l'impression de se fragiliser par la forme qu'il prend."
Comme Jean Birnbaum, Étienne Klein pense que "l'apparente disparition de la nuance manifeste une crise du langage."
Tous les deux opposent le slogan à la réflexion et tous les deux appellent Proust à la rescousse... lequel disait : "J'ai toujours honoré ceux qui défendent la grammaire et la logique. On se rend compte cinquante après qu'ils ont conjuré de grands périls.
Les phrases sont courtes, l'argumentation disparaît, on provoque des clashs plutôt qu'on ne laisse place à la nuance"...l'un et l'autre constatent que la vérité n'est pas simple à dire.
Pour Klein, une des difficultés d'être pour la nuance tient dans la masse d'informations en continu que notre cerveau est inapte à traiter.
En conclusion, il affirme - et je crois que Birnbaum et son cercle "d'amis" s'associeraient à cette assertion - que "le salut consisterait à ce que les gens modérés s'engagent dans les débats sans modération. Il faut que la modération s'exprime de façon immodérée."

Je ne pouvais faire appel à meilleur plaideur pour défendre la cause de la nuance qu'Étienne Klein.
Pardonnez-moi si j'ai fait appel à ce physicien, philosophe des sciences ; je n'ai fait que prendre exemple sur le procédé choisi par Jean Birnbaum dans cet essai que je trouve riche et dont l'invitation à penser contre soi-même est un de mes mantras.
Être nuancé, quel beau programme ! Courage, ne fuyons pas !

Vivement conseillé.

PS : désolé si ce billet a pris des allures de billetterie ; j'ai l'enthousiasme débordant...
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Tout est bon dans le dernier livre de Jean Birnbaum, le courage de la nuance ; tout, sauf peut-être le titre : non pas l'appel au courage, bien sûr, mais la célébration de la nuance qui donne le sentiment d'un entre-deux, d'un « en même temps », d'un clair-obscur sans consistance ; certes il s'agit pour lui de dénoncer les méfaits des débats manichéens, des dualismes simplificateurs qui décrivent la réalité en blanc et en noir ; mais qu'on ne s'y méprenne pas l'auteur ne leur substitue pas les innombrables nuances de gris que peuvent produire le mélange de ces deux couleurs extrêmes. En fait ce que recouvre pour lui le mot nuance, c'est ce que je préfère appeler la complexité des choses, et qui peut conduire à ce que des interprétations contradictoires soient également vraies. La nuance pour l'auteur ce n'est pas le gris, c'est la coexistence du blanc et du noir. Alors va pour la nuance, si c'est ce qu'elle veut dire. Et, de Raymond Aron à Roland Barthes en passant par Germaine Tillon, d'Hannah Arendt à Georges Orwell, en passant par Georges Bernanos, ce sont, en commençant bien sûr par Albert Camus, sept auteurs qu'il convoque pour explorer les différentes facettes de cette nuance dont il nous fait l'éloge : des spectateurs engagés, selon la belle formule de Raymond Aron, et pour qui la nuance c'était d'abord de penser contre soi même pour ne pas être prisonnier de son camp.

En interlude à chacun de ces sept chapitres, il tire une sorte d'ordonnance énonçant ainsi la liste des remèdes à l'hystérisation des débats, que je reformule à ma façon en puisant dans la pharmacopée de l'esprit :

D'abord bien nommer les choses, pour éviter « d'ajouter aux malheurs du monde », et donc fuir comme la peste toutes les formes de novlangue ou d'euphémisation
Pratiquer l'humour, cette forme d'hygiène de l'esprit, un exercice intellectuel mais aussi spirituel nécessaire, une forme d'assouplissement des neurones et de la pensée.
Se sevrer de la dépendance à la crainte de « faire le jeu de l'adversaire », qui conduit à la cécité intellectuelle et au déni des réalités, de ces « méchants faits qui viennent détruire les belles théories ».
Avoir conscience de la part d'inconscient qui nous anime, cette part d'ombre inatteignable qui structure nos émotions et nos réactions, et qui a « ses raisons que la raison ignore ».
Complémenter par la littérature et la poésie les potions de l'argumentatif, car elle disent des choses de l'humanité qui seront toujours inaccessibles à la raison, ce « supplément d'âme » qui « donne son sens à la vie ».

http://www.daniel-lenoir.fr/le-courage-de-la-nuance-ou-de-la-complexite/
Lien : http://www.daniel-lenoir.fr/..
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Le courage de la nuanceJean Birnbaum, Éditions du Seuil mars 2021 *****

Le livre qu'il nous faut, constamment, il nous réapprend ou nous réveille la mémoire sur l'amitié, l'honnêteté, l'humour et la nuance, « dans le brouhaha des évidences il n'y a pas plus radical que la nuance. »
Dans l'introduction, l'auteur révèle la « bravoure » de ce qui est souvent pris pour une faiblesse : « la puissance de la nuance s'épanouit au mieux dans ce type de livre inclassable, à la charnière de la littérature et de la pensée, qu'on appelle l'essai. Autrement dit qui, au sens propre, essaie, tâtonne, tente quelque chose, et dont la force n'est pas de trancher mais d'arpenter ces territoires contrastés où la reconnaissance de nos incertitudes nourrit la recherche du vrai . »
Oui, la force n'est pas de couper sec, mais dans la recherche, dans le doute même, dans l'interrogation, dans l'ouverture d'esprit qui bannit les certitudes lourdes et paralysantes.
Pour illustrer cet « héroïsme de la mesure », Jean Birnbaum appelle « à la rescousse » quelques intellectuels comme Albert Camus, Hannah Arendt, Germaine Tillion, Raymond Aron, Georges Bernanos, Roland Barthes, tous des « figures aimées qui pourraient nous aider « à nous tenir bien. »
Nos limites, les connaissons-nous ? Avons-nous le courage de les accepter ? Une réponse affirmative peut aller de soi et pourtant il y a souci et Camus se révolte contre certaines certitudes et des emballements revanchards. La voix de l'écrivain résistant se lève contre les âmes tièdes : »Notre monde a besoin de coeurs brûlants qui sachent faire de la modération sa juste place… parfois, l'éthique de la mesure est une éthique du silence. » et la nuance est pour Georges Bernanos « un aveuglement surmonté ». L'écrivain fore d'une manière implacable notre « nuit intérieure », scrute « la part honteuse, boueuse, vénéneuse de nous-mêmes… les eaux dormantes et pourries de l'âme... » « on ne se méfie jamais assez de soi-même… l'inconnu c'est encore et toujours notre âme » note-t-il.
Et Jean Birnbaum revient sur cet exercice de la nuance qui nous aiderait à mieux vivre ensemble : « nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes, nous sommes mus par des élans innommables, des pulsions abjectes : le reconnaître oblige à une forme d'humilité, ou… vigilance critique ».
Germaine Tillion, ethnologue et grande résistante a fait de l'humour sa bouée de sauvetage et son chemin a toujours été une quête de vérité. Nuance : de vérité et non de la vérité !
Pour Hannah Arendt l'héroïsme de la pensée se confond avec « le génie de l'amitié » : « C'est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c'est à dire penser. » Pour elle, et elle n'est pas la seule à l'exprimer, l'amitié est le seul lieu où peut s'épanouir la pluralité qui nous définit, où il y a le désir d'une confrontation sincère. Aux certitudes arrogantes Hannah Arendt préfère « la lumière incertaine, vacillante et souvent faible des êtres chers ». Nuance radicale !
L'humour a le pouvoir de nous sauver la vie, car cette indépendance du jugement, le courage de rire nous aide à demeurer en mouvement, à nous délester pour pouvoir danser « dans un éclat ironique ».
L'imagination, la nuance joyeuse, le combat pour la nuance nous disent aussi Mathias Malzieu dans son « Guerrier de porcelaine », et Lydie Salvayre dans « Rêver debout ». Il faut du mouvement, sinon tout pourrit.
Un passage de cet essai, rappelant un moment vécu par George Orwell sur le front de la guerre d'Espagne, a tout l'humour et la bouleversante émotion de la nuance. Je le partage avec vous : « Après avoir bondi des tranchés ennemies, un messager s'est retrouvé là, en ligne de mire, totalement à découvert. le voici maintenant qui se met à courir… en retenant des deux mains son pantalon. Orwell baisse son arme. « J'étais venu ici pour tirer « sur des fascistes », mais un homme en train d'empêcher son pantalon de tomber n'est pas un « fasciste » ». Orwell est connu pour son franc-parler et aussi pour le doute qui l'accompagne pour assumer ses propres failles « car la meilleure façon d'être honnête, c'est de renoncer à une illusoire « objectivité » et d'assumer pleinement son propre point de vue ». Chez Orwell la nuance est « comme franchise obstinée… jamais un désaccord ne devrait être tu, jamais une vérité ne devrait être occultée... ».

La littérature « maîtresse des nuances » fait place à la réflexion, à l'émotion à la compréhension et surtout empêche l'enfermement la rigidité et l'intolérance. « essayer de vivre selon les nuances que nous apprend la littérature », nous conseille Roland Barthes qui « nous transmet une certaine manière de se tenir dans le monde, une façon d'articuler le texte et la vie. » A la lecture de Barthes nos forces reviennent. « La science est grossière, la vie est subtile et c'est pour corriger cette distance que la littérature nous importe… Elle permet de se soustraire aux partis pris de ceux qui ont hâte de conclure, aux fausses alternatives des mauvaises polémiques, aux manichéismes qui voient le monde en noir et blanc... »
La poésie, nous sauverait-elle ? Oui si elle sait faire plus que mettre les mots en rime, si elle vient du coeur pour nous faire vibrer, si elle est honnête. La poésie, « le meilleur moyen de se connaître soi-même  et d'aller à la rencontre d'autrui », disait Hannah Arendt.
Pour finir, je laisse à nouveau la plume à l'auteur, Jean Birnbaum qui clôt son essai par un dernier et non moins émouvant hommage « Ici, j'ai voulu donner voix à cette marginalité, au moment où elle peut nous être d'un grand secours. Il s'agissait de faire entendre cette petite troupe d'esprits hardis, délivrés de tout fanatisme , qui ont accepté de vivre dans la contradiction, et préféré réfléchir que haïr. Avec à l'horizon, cet espoir : relancer un héritage fragile, lui donner la force d'être fort ou du moins assez solide pour qu'il fasse rayonner parmi nous, comme à travers ces pages, le désir obstiné de faire face, de se tenir bien. »
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Comment ne pas partager le point de vue de l'auteur quand , des pointures intellectuelles lui servent de support pour le goût de la nuance , l'éloge du doute contre le crétinisme des certitudes .

Rarissimement nos dirigeants s'ouvrent d'un doute quant à leurs actes et c'est bien décevant .

Camus qui ne s'autorisa jamais à défendre ni le communisme ni le capitalisme libéral disait plutôt choisir les objecteurs de conscience , ne prit parti pour les colons ou les algériens mais pour l'humanisme . Il est vrai que cela l'orienta vers ses " affinités libertaires " .

D'autres auteurs ont suivi la même voie : Arendt , Orwell , Barthes , Aron , Bernanos etc .... que nos dirigeants gagneraient à s'imprégner de ce genre de réflexion plutôt que de médiatiquement répandre leurs certitudes . Mais un ego surdimensionné , caractéristique commune à presque tous les " puissants " ne favorise guère l'humilité .
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Une sorte de charte.
Il faudrait sans doute une sorte de charte qui conseille à quiconque s'inscrit sur un réseau social de lire ce livre indispensable.
Ami(e)s de Babelio feriez figure d'exemples tant il est rare ,sur ce réseau ,de se faire vilipender.
Quoique je me souviens de réponses très hostiles à un petit billet concernant un livre que j'avais eu le malheur de ne pas aimé....
Mais pour l'essentiel le débat reste ici courtois même s'il est parfois vif. Et les arguments des uns et des autres sont souvent francs et étayés.
« Il s'agit de trouver le bon tempo, celui qui permet de se laisser bousculer par les «bouffées » afin de contourner les «briques ». » Jean Birnbaum cite ainsi Roland Barthes, pour en finir avec l'arrogance.
Alors oui le courage de la nuance, ce n'est bien sûr pas le gris, ni le brun et le rouge en même temps. Non je ne crois pas. Ce serait plutôt une palette infinie faite de complexité et de poésie.
Camus,Aron,Arendt,Bernanos,Orwell, Tillion et Barthes serait donc reliés par « une liberté intraitable, une éthique de la vérité, la conscience de nos limites,le sens de l'humour, un rapport conscient avec son inconscient, une morale du langage, le goût de la franchise, un art de l'amitié ».
J'espère que Babelio restera longtemps un espace de relations sincères, de remise en question, quitte à adopter le point de vue de l'autre et à s'interroger sur sa propre parole, sur son propre billet !!!
Mais je n'y suis que depuis quelques mois...

Un immense merci à Jean Birnbaum.
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J'ai acheté ce livre après avoir écouté Jean Birnbaum à la radio, séduite par l'idée que d'autres personnes s'intéressaient à un monde de nuances, dans lequel on ne serait plus obligé de choisir entre le noir et le blanc.
Bien m'en a pris. L'écriture de Jean Birnbaum est claire, précise et accessible à ceux qui, comme moi, aiment lire mais n'ont pas fait d'études littéraires. le livre chemine d'un auteur à l'autre, et met en lumière leur souci commun de la nuance, qui est une certaine idée du vivre ensemble. Un espace commun où l'on débat, au grand jour et de manière respectueuse, quelles que soient nos opinions politiques ou nos expériences de vie.
J'ai aimé ce livre et je le recommande à ceux qui se sente isolés dans un monde où les extrêmes prennent trop de place, même au centre. Merci, M. Birnbaum, d'avoir pris le temps de remettre à l'honneur la nuance, elle en avait bien besoin, et nous aussi !
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Essai qui ose s'attaquer à un mal endémique qui ne fait qu'empirer avec les outrances simplificatrices véhiculées par « les réseaux sociaux », mais aussi par des médias d'opinion et des intellectuels engagés qui n'acceptent pas la contradiction. L'auteur se livre à une analyse des écrits de personnalités qui à rebours de beaucoup d'autres ont eu le courage d'accepter la nuance dans leurs écrits. On y découvre ainsi, Georges Bernanos, Albert camus, Anna Harendt, Raymond Aron, Roland Barthes…..Bel exercice qui remet un peu des pendules déréglées à l'heure !
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Petit essai très dense et délicat à résumer.
Jean Birnbaum convoque avec beaucoup d'intelligence les grands noms de la philosophie contemporaine qui ont milité par leurs vies, leurs écrits, leurs combats pour le triomphe de la mesure, de la nuance, du jugement tempéré : Camus, Aron, Orwell, Arendt, Bernanos, Tillion et Barthes. Même Bernanos, que l'on n'attendait pas forcément dans ce club très fermé, nous convainc du bien-fondé du propos. Rien que cela !

Tous en ont payé le prix : l'exil et la solitude.

Le propos est intelligent, parfaitement d'actualité, bien construit, convaincant s'il était besoin, et nous place, nous les lecteurs, devant nos responsabilités : que souhaitons-nous faire lorsque nous prenons la parole dans les livres, dans le cercle de nos fréquentations et dans les réseaux sociaux comme Babelio, pour ne citer que lui.
Au fond, que souhaitons-nous faire ?

Birnbaum nous livre Sa réponse. Une très belle réponse.
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Ce livre reprend une série d'articles parus dans le Monde. Chacun porte sur un auteur ou une autrice : Albert Camus, Bernanos, Hannah Arendt, Barthes, Raymon Aron, Germaine Tillion... Philosophes, écrivains, sociologues, humanistes en tous les cas, ils sont convoqués sur arrière-plan de guerre d'Espagne ou de 2nde guerre mondiale pour défendre leur goût pour la nuance, la sincérité, et leur haine du totalitarisme qui s'exprime par la prise en otage du langage, par la propagande et l'idéologie.
Cet essai, quoique assez désordonné et parfois un peu laborieux, nous transporte de façon poignante dans les heures sombres du vingtième siècle pour défendre une thèse qui est davantage suggérée que clairement énoncée. Par leur obstination à regarder la vérité en face et à la dire, sans pour autant vouloir démolir ceux qui ne ne pensent pas comme eux, ces auteurs et autrices seraient les vrais défenseurs de la démocratie. Mais le prix serait d'être condamnés à une éternelle solitude.
Cette pensée est bien entendu à mettre en regard de la montée actuelle des populismes, et de l'impact des réseaux sociaux sur le débat public. Si Birnbaum l'évoque deux ou trois fois, cela reste assez subtil. J'aurais pour ma part apprécié une formulation plus explicite de cette théorie sous-jacente.
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