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Critique de HADJIAN


Un ouvrage stimulant, à lire d'urgence, qui dénonce le « rienàvoirisme » mais pêche peut-être par excès d'ambition en abordant trop de sujets vastes (en 234 pages) et en affichant trop de thèses, dont certaines semblent contradictoires.
Les 100 premières pages m'ont convaincu car elles affirment des évidences, trop souvent niées pourtant, et elles replacent le djihadisme dans le contexte d'un monde arabo-musulman qui n'a pas connu la sécularisation qu'a connue l'Europe occidentale. En revanche, c'est quand l'auteur s'éloigne de cet objet – le djihadisme dans l'islam – qu'il est le moins convaincant.
En premier lieu, Jean Birbaum l'affirme : les djihadistes tuent au nom de Dieu et de l'islam ! A leurs cris ne répond qu'un silence des autorités de l'Etat ; silence résumé par le slogan « le terrorisme n'a rien à voir avec l'islam ! ». La gauche, en particulier, ne veut pas « faire le jeu du Front national », mais elle aboutit à l'effet inverse, le FN apparaissant comme le plus déterminé à dénoncer l'islamisme. Plus profondément, la gauche – c'est la thèse principale de l'auteur – ne parvient pas à prendre la mesure du poids de la religion dans l'ensemble du monde musulman. Aussi Birnbaum va s'intéresser à l'évolution intellectuelle de l'islam, il montre que l'islamisme tel que nous le connaissons n'est pas une survivance d'un passé très ancien, mais une réaction aux efforts menés par des intellectuels, depuis le XIXe siècle, pour moderniser l'islam et ne pas le laisser à l'écart des transformations du monde (cette partie nous fait découvrir de nombreux spécialistes de l'islam peu connus, et l'on peut regretter l'absence d'une bibliographie qui rassemble leurs ouvrages).
Thèse n° 1 : l'islamisme répond à une modernisation ratée de l'islam, à la fois au plan théologique, économique, démocratique…
Puis, l'auteur, dans un passage fort original, revient sur la guerre d'Algérie et l'aveuglement des intellectuels anticolonialistes français quant à la dimension religieuse du combat de FLN. Si, au dehors, le FLN tenait un discours laïc et socialiste, au-dedans il s'appuyait sur la religiosité des masses paysannes pour chasser les « mécréants » (ce qui rendait bien improbable la cohabitation des communautés dans l'Algérie indépendante).
L'étape suivante du parcours nous conduit en Iran en 1978, sur les pas de Michel Foucault, qui réalise un reportage pour un journal italien. L'insurrection populaire est en train de renverser le régime du chah et Foucault ne nous laisse aucun doute sur les ressorts qui mettent en mouvement les insurgés : « Nous voulons un gouvernement islamique » « Il faut que l'imam vienne » disent-ils. Foucault montre que l'Iran n'est pas en train de vivre un 1789 ou un 1917, mais plutôt un mouvement d'essence religieuse qui aspire à un ordre islamique, tant au plan collectif qu'au plan individuel. Mais Birnbaum passe vite sur deux points : l'écart qui s'est créé entre ces aspirations populaires et le nouveau régime de Khomeiny, d'une part, et, d'autre part, l'attitude de Foucault lui-même face au nouveau régime (sa présentation semble bien indulgente et ce point mériterait à lui seul d'amples développements).
Ensuite, Birnbaum veut absolument « remonter à Marx », à qui il consacre un long détour philosophique. Et, à ce point, il me semble qu'il lâche son objet. Car Marx ne traite pas du tout de l'islam mais de la religion chrétienne dans une société d'après la Révolution française qui est engagée dans la sécularisation. de plus, tout en critiquant la formule « la religion c'est l'opium du peuple » (qui serait à l'origine du dédain de la gauche pour la religion), Birnbaum lui rend hommage en considérant que c'est le recul de l'espérance révolutionnaire qui explique le retour du spirituel. Il écrit en effet :
«Plus la perspective de l'émancipation sociale s'éloigne, plus celle d'une renaissance spirituelle est inévitable. A mesure que la mobilisation anticapitaliste recule, l'époque devient mûre pour le soulèvement des âmes. » (Un silence religieux, p. 139)
Thèse n° 2 : la pérennité du capitalisme, le recul de l'espérance révolutionnaire expliquent que le besoin de croire prenne la forme d'une politique spirituelle.
Birnbaum va revenir à l'islamisme en montrant que l'anticapitalisme des marxistes révolutionnaires les conduit à pactiser avec les djihadistes, sous prétexte que l'ennemi principal est constitué par les démocraties occidentales (« l'impérialisme »). Au passage, il faut noter que quand l'auteur dit la gauche, c'est à cette gauche la plus imprégnée de marxisme qu'il pense (ce qui couvre de moins en moins le champ de ce que l'on appelle la gauche aujourd'hui).
Enfin, l'auteur se livre à une comparaison bien discutable entre les engagés dans les Brigades internationales d'Espagne, qui s'opposaient à Franco et au fascisme qui gagnait l'Europe, et les djihadistes qui partent en Syrie. Il oublie au passage que ces djihadistes, empêchés de partir ou revenus, tuent au sein de la société où ils ont grandi : le juif, le chrétien, le caricaturiste, le militaire, le policier…, tous mécréants (et pas spécialement les athées comme l'auteur le suggère p. 228).
En conclusion, Birnbaum présente une troisième thèse où il semble plaquer sa construction intellectuelle - la revanche du religieux sur le matérialisme marxiste - sur la réalité géopolitique.
Thèse n° 3 : le djihadisme est la revanche de la religion sur une société qui depuis la Révolution française a prétendu se débarrasser de Dieu.
Thèse bien discutable car c'est au sein de sociétés profondément musulmanes que le djihadisme porte la guerre civile (Algérie, Afghanistan, Syrie, Irak) et, le 11 septembre, il s'attaque à une société encore profondément religieuse.
Dans les dernières pages, l'auteur note qu'il est malaisé et peut-être pas souhaitable de séparer le politique et le religieux, mais il oublie de traiter de la laïcité…
On le voit, l'ouvrage ouvre de nombreux chantiers, sans les exploiter, mais, du fait même de son excès d'ambition, c'est un remue-méninges qui oblige à réfléchir face au terrorisme.
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