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Critique de vincent34380


Seth Ballahan, ex-grand reporter, placardisé dans un quotidien régional du New Jersey, apprend qu'un de ses collaborateurs, le jeune Michael Wong, se retrouve coincé en Corée du Nord, où il était parti faire un reportage sur les filières d'évasion. Face à l'inertie de sa hiérarchie, Seth s'émeut de cette situation et obtient d'être envoyé sur place pour le retrouver, et le ramener s'il est encore en vie.

Dans ce pays, depuis quelque temps, sévit un tueur en série de la pire espèce. Sanguinaire et d'une cruauté sans bornes, il prélève un organe de ses victimes alors qu'elles sont encore en vie, et le dépose à un endroit donné, élément isolé d'un jeu de piste macabre.
« Il s'accroupit et marqua une pause, afin de s'assurer que personne ne traînait dans les parages. À quelques coudées en dessous de lui, les ténèbres noyaient la silhouette allongée dans l'herbe. le chasseur descendit la pente avec précaution, attentif au moindre bruit.
À mesure qu'il avançait, il sentait monter en lui l'excitation. de la main, il palpa la besace qui pendait à son épaule. Tout y était : le sac hermétique, le coton, les antiseptiques. Dans la poche de sa veste, le poignard pesait lourd. Son contact était apaisant. Il s'agenouilla près du corps inerte et demeura un instant silencieux. Il détailla à loisir la nuque fine, les cheveux de jais, coupés courts, la ligne du menton, le dessin de l'oreille. Il parcourut les jambes longues, que l'on devinait sculpturales sous la toile du pantalon. Un instant, il fut sur le point de les caresser mais résista à la tentation.
Les paysannes lui faisaient toujours le même effet, il émanait de ces filles dressées dans les champs une animalité que l'on ne rencontrait jamais en ville…
Le chasseur prit une profonde inspiration.
Attendre, encore un peu. Retarder le moment. »

Le Lieutenant Paik Dong-Soo, brillant officier Nord-Coréen, en poste à la frontière au sud du pays, est convoqué à Pyongyang par sa hiérarchie. Il se voit confier la mission d'enquêter sur ces crimes, et ce dans la plus grande discrétion. Dès ses premiers contacts avec les autres enquêteurs, et dès la première autopsie à laquelle il assiste, il se rend compte qu'on lui cache des éléments du dossier. En effet, cette affaire ne doit pas être ébruitée. Pensez donc ! Un tueur en série en Corée du Nord, le paradis communiste du Grand Leader Kim Jung Il… Une telle déviance n'est absolument pas imaginable ici et reconnaître son existence équivaudrait à se rabaisser au rang des États-Unis, l'ennemi capitaliste et décadent…
Paik Dong-Soo va donc reprendre point par point les éléments du dossier, pour essayer de trouver un point commun à ces meurtres et identifier le tueur qui semble prendre un malin plaisir à provoquer la police, et à éliminer l'une après l'autre les personnes impliquées dans l'enquête.

Parallèlement, nous suivons l'arrivée de Seth Ballahan en Corée du Nord. Bon américain pétri de son importance, il aurait tendance à froisser quelques susceptibilités locales. D'autant, que comme tous les visiteurs étrangers, il se trouve affublé d'un traducteur local, plutôt garde-chiourme que traducteur. Heureusement, son contact sur place, Suzan Chartier, une expatriée Canadienne qui travaille en Corée pour une ONG depuis quelques années, est là pour le tempérer et lui éviter de se faire trop vite repérer.
Au travers des histoires de Seth Ballahan, de son périple à la recherche de Michael, et de l'enquête de Paik Dong-Soo, l'auteur nous propose un voyage au coeur du pays le plus fermé de la planète. Dans cette dictature communiste, le culte de la personnalité est omniprésent et dès le plus jeune âge, les habitants subissent un véritable lavage de cerveau et sont conditionnés à la dévotion envers leur Grand Leader.

« Je sais ce que vous pensez, ajouta Suzan. Mais vous faites fausse route. Vous ne voyez de lui que l'image caricaturale d'un pantin s'agitant. Ici, on considère au contraire le Cher leader comme le cerveau parfait. Il semble naturel au peuple de le voir choisir la coupe des uniformes, monter des spectacles et diriger le pays. Il est omniscient et omnipotent, vous comprenez ? le peuple croit dur comme fer que Kim Jong-Il est un génie d'essence divine, et qu'il suffit d'appliquer ses directives pour que tout réussisse. »

A la lecture des descriptions de la vie nocturne de la ville de Pyongyang, je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec ces images satellite prises de nuit où, parmi les pays environnants sous un halo lumineux, la Corée reste dans le noir, isolée de tout…
Corée du Nord nuit

Sombre aussi est l'ambiance, particulièrement anxiogène, de ce thriller, qui reflète bien l'ambiance de ce pays si secret. Dans la capitale Pyongyang, vitrine de ce régime totalitaire, se cache un pays délabré dont on ne connaît rien, ou presque. La ville est quadrillée d'avenues où ne circule aucun véhicule, seulement des groupes de piétons. Il n'y a quasiment aucun éclairage urbain. Dans le quartier réservé aux étrangers, un supermarché rempli de produits que personne n'achète, déambulent des clients aux sacs vides, des figurants censés donner le change aux visiteurs étrangers.
« En entrant dans la capitale, Seth eut le souffle coupé. Il s'attendait à une ville miteuse, une espèce de cimetière de béton – reproduction gigantesque des boardwalks du New Jersey…
Il en fut pour ses frais. Pyongyang était une collection de constructions pharaoniques. Dans le couchant, tandis que le ciel virait au rose, il aperçut des ponts monumentaux, des autoroutes suspendues, des pylônes de béton, des infrastructures incroyables… Mais à bien y regarder, il nota que la plupart des projets débouchaient sur le néant. Les autoroutes s'arrêtaient net, déversant le vide en pleine nature. Les artères n'étaient pas empruntées par des véhicules, mais seulement par des petits groupes de piétons.
Il songea au Truman Show, ce film visionnaire qui offrait à Jim Carrey un rôle sur mesure, emprisonné dans un vaste programme de télé-réalité.
« Une illusion, se dit-il. Un décor de cinéma, avec des milliers de figurants… »

Le récit, addictif, est articulé en chapitres courts, très rythmés et qui nous donnent une sensation d'urgence. Il alterne les points de vue des différents personnages de l'histoire. Les personnages principaux, Seth Ballahan, Michaël Wong, Suzan Chartier, Paik Dong-Soo, et « le chasseur » sont tous d'une réelle épaisseur. Paik Dong-Soo et le chasseur sont vraiment un niveau au-dessus des autres, et leur histoire se suffirait à elle-même pour constituer le roman, les premiers ne servant selon moi qu'à nous apporter un éclairage occidental sur ce pays, soumis à un régime absurde, oppressant et cauchemardesque, en un mot, kafkaïen.

La Corée du Nord peut d'ailleurs être considérée comme une entité à part entière de ce roman, tant on ressent à chaque page le poids de la méfiance et de la peur latente qui pèsent comme une chape de plomb sur ce pays et ses habitants. L'auteur nous en brosse un panorama saisissant, un véritable « voyage en terre inconnue ». C'est là à mon sens le véritable atout de ce roman, cette immersion, ce dépaysement total dans un monde que nous autres occidentaux avons bien du mal à imaginer, bien installés dans notre quotidien douillet.

J'ai refermé ce roman, un peu sonné, l'esprit encore marqué par la triste condition du peuple de Corée du Nord. Et le mérite n'est pas mince pour l'auteur, d'avoir trouvé dans l'environnement géopolitique tellement sombre de ce pays, un excellent terreau pour y planter son intrigue, tout à fait instructive et absolument passionnante, qui m'a procuré un vrai bon moment de lecture.
En conclusion, c'est un roman que je ne peux que vous recommander.
Lien : https://thebigblowdown.wordp..
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