Citations sur Un petit coup de jeune (23)
- C’est quoi, un ioutoubère ?
C’est un jeune attardé qui gagne des paquets de pognon en faisant rigoler les enfants avec des petites vidéos potaches sur Youtube.
Aux terrasses des cafés, dans les autobus et sur les trottoirs, il s’étonne de voir tous les gens captivés par leur téléphone portable. On dirait qu’une épidémie a frappé l’humanité toute entière. La vision de ces humains isolés en eux-même paraît tellement absurde et comique qu’on se croirait dans un dessin de Sempé.
- Mais, monsieur Sadge, n’est-ce pas la condition de chacun d’entre nous ? Nous sommes tous enfermés, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans un corps que nous n’avons pas choisi et qui, de surcroît, se détériore un peu plus chaque jour. Nous pouvons protester, bien sûr, mais à quoi bon ? Nos enfants grandissent et puis nous quittent, sans même se retourner. Nous pouvons nous en plaindre - nous ne nous en privons pas, du reste - et puis nous finissons par nous résigner à leur ingratitude. Nos parents meurent sans nous demander notre avis, nos collaborateurs nous déçoivent. Nos rêves rétrécissent pour faire place à des désirs plus petits… Et toutes les choses que nous aimons changent et disparaissent.
- C’est gai !
- C’est la vie.
Désormais il sera un estropié invisible et souffrira tout seul du morceau de lui-même dont il a été amputé.
Lorsqu’on le vit, le temps s’écoule vite et la plupart des souvenirs tombent en poussière, sans même qu’on leur prête attention. Hormis quelques évènements notables qui nous marquent, naissances, deuils, mariages, rencontres, humiliations, triomphes… Mais tout ce qui compose le sel de notre quotidien, nos pensées secrètes, nos brûlants désirs, nos fantasmes de revanche, nos colères les plus sincères, les élans que l’on croyait éternels, tout cela s’évapore et disparaît comme une flaque d’eau chauffée par un soleil d’été.
Les relations humaines aussi se sont transformées : les conversations et les rencontres sont pour la plupart informatiques. C’est pratique, on n’a plus besoin de se voir, de se toucher, on dialogue à travers des écrans protecteurs, comme au parloir d’une prison. Si ça continue, on pourra bientôt faire l’amour comme ça aussi.
La fiction américaine, toujours si conventionnelle, semble s’être bien débridée dernièrement. Malgré cette évolution notable, les personnages féminins dorment toujours avec leur soutien-gorge, comme si la vue d’une poitrine dénudée risquait de choquer plus que toutes ces morts violentes.
Tout cela lui confirme une intuition : depuis le 11 Septembre, le monde, tout en se renouvelant par soubresauts successifs, ne cesse de se dégrader, à la manière du corps humain.
Il se dit que si les gens peuvent donner ainsi leur avis impunément, ils vont en profiter pour déverser la noirceur abyssale de leur coeur, vider le surplus débordant de leurs jalousies, de leurs peurs et de leurs indignations. Chacun a un goût pour la délation, un goût pour l’insulte et un dévorant besoin d’être entendu. Tout cela ne laisse pas présager une visite agréable de ces égouts numériques.
« Et Twitter, Instagram ? »
Sage soupire, vaincu.
« C’est quoi ? »
(…)
« C’est des réseaux sociaux, ça sert aux gens à poster les photos de leur chien ou de leurs potes, à raconter ce qu’ils ont mangé à midi ou à donner leur opinion sur tout et n’importe quoi… Et il y a tout un tas d’imbéciles pour lire ça et faire des commentaires. »