L'apartheid reposait sur des panneaux indicateurs statiques, sans équivoque. Aujourd'hui les pancartes changent tout le temps. Les mots inscrits s'effacent ou bien les panneaux sont de travers apres que des taxis kamikazes ont percuté un poteau. Ils se transforment en toiture dans les bidonvilles ou bien, retournés, deviennent les enseignes d'un coiffeur, d'un débit de boissons clandestin ou d'un vendeur de cercueils d'occasion. Même les bornes kilométriques sont volées pour retenir les toiles de tente dans le vent hurlant du sud-est. Les noms des morts disparaissent des cimetières, les lettres en cuivre sont échangées contre de la drogue. L'époque où les mots restaient immobiles sur les poteaux est depuis longtemps révolue. Les mots ne tiennent tout simplement plus en place.(P. 17)
Mandela a fait opérer sa magie de génie. Pendant un moment, on a connu l'euphorie, et les gens qui se tapaient dans les mains, les gens qui se mélangeaient et dansaient. Et l'argent n'était plus dans la poche des Blancs seulement. Et il n'y avait plus de limites imposées à l'ascension de qui que ce soit. Plus de lois pour vous entraver si vous étiez Noir ou "coloured"*. Mais, en dépit de sa magie, les fantômes du passé n'ont pas disparu comme par enchantement. Et, pour beaucoup de gens des bidonvilles, liberté n'est qu'un mot, aussi flou que le mot ironie. Pour ces gens, rien n'a changé. A part la couleur de leur chef. Elle perce là, l'ironie. (*expression issue de l'apartheid pour désigner les étrangers ou les métis).
Dans ce pays, nous nous volons, nous nous tuons, nous nous brûlons les uns les autres... jusqu'à ce qu'une balle de cricket, un ballon de rugby ou de football déclenche un fol accès de camaraderie soudaine et de beuverie et ce clameurs de vuvuzela.
« Les trous dans les Puma de Panganai lui disaient aussi qu’il fallait partir. La jupe d’école de Tendai à l’ourlet rallongé et décoloré lui disait qu’il fallait partir. La huche à pain vide lui disait qu’il fallait partir. Les aboiements des chiens errants, qu’il écoutait quand il était réveillé au milieu de la nuit, lui disaient qu’il fallait partir. D’une façon ou d’une autre, il fallait qu’il les mette à l’abri de ce monde de fous infesté de rats, de l’indigence et de la mendicité, de la peur et de l’indécision. »
Jabulani se dit que cette mentalité de cafard qu'est le racisme perdurera toujours, d'une certaine façon, sous une forme ou une autre. Il redoute cette rancoeur envers les étrangers africains qu'ils appellent les "makwerewere"*...
envers lui : voleur d'emploi, fraudeur d'impôts, cammbrioleur en puissance et fabricant de faux papiers. Il a peur du poison du racisme, et cette peur est aussi douloureuse que la blessure par balle de sa main. Il secoue la tête et se concentre sur les vagues. (*étranger venant d'un autre pays d'Afrique).
Devant la fenêtre de l'hôpital, Jabulani voit clignoter des fleurs de jacaranda. Le sillage d'un jet traverse le ciel bleu. Des martinets recousent la douleur du monde avec un catgut invisible.