Cette invention de l'indigène consacre « la transformation de la figure de l'Autre-colonisé, devenue centrale dans l'imaginaire collectif français depuis la grande expansionniste coloniale » (cf suite) des années 1880-1885, puis 1890-1910, à la suite d'un « long processus de métamorphose de l'Autre-dominé, qui commence avec celle de l'esclave au XVIIe siècle, pour évoluer, trois siècles plus tard, vers celle de l'immigré-type ». Plusieurs auteurs précisent que ce phénomène trouve sa source dans le conflit mondial de 1914-1918 et prend des formes spécifiques, différentialistes, en fonction des populations stigmatisées. « Trois figures de l'indigène au service de la défense de la mère patrie semblent alors s'imposer : celle du tirailleur – du « noir » -, dont la sauvagerie est retournée contre plus barbare que lui – le « boche » - et dont la bravoure, la puissance physique et la « bonhomie » (« y'a bon banania ») se sont mises au service de la France ; celle du cavalier maghrébin, perpétuant une tradition magnifiant la valeur guerrière de « l'Arabe », mais qui fixe définitivement sa fonction, sa perception et les craintes (islam) qu'il inspire dans un champ étroit du politique ; enfin celle de « l'Indochinois » (et mêmes des populations chinoises « importées » pour les usines d'armement), perçu depuis la conquête comme un piètre combattant – un archétype qui ne s'évanouira qu'avec la guerre d'Indochine … - et comme tel restant cantonné au rôle de main-d’œuvre industrielle importée et supplétive, très peu utilisée au front. Dans cette trilogie coloniale « utilitaire », dans cette segmentation du « type », on remarque une catégorisation très nette : au premier le champ du ludique et du corporel, au deuxième l'univers du politique et du revendicatif, au dernier l'espace économique et l'invisibilité. Autant de règles qui vont fonctionner tout au long de la colonisation et même après les indépendances, jusqu'à aujourd'hui. »
Carte blanche à l'ACHAC
Modération: Emmanuel LAURENTIN, journaliste et producteur à France Culture
Intervenants: Quentin DELUERMOZ, professeur à l'université de Paris Cité,
Laurent JEANPIERRE, professeur à l'université Paris 1, Eugénia PALIERAKI, maîtresse de conférences à Cergy Paris Université
À l'occasion de la publication de l'ouvrage : Une Histoire globale de la France coloniale dirigé par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Dominic Thomas (Éditions Philippe Rey)
Les travaux sur l'histoire coloniale de la France se sont multipliés ces vingt dernières années. Après la publication l'ouvrage Une Histoire globale de la France coloniale, quels sont les enjeux historiographiques et épistémologiques d'une histoire coloniale (et postcoloniale) saisi au prisme de l'histoire transnationale et globale et au regard des enjeux dans les autres en puissances coloniales en Europe ? Comment articuler les différentes trajectoires des empires et les connections multiples qui les lient aux métropoles coloniales et aux autres aires géographiques ? Comment apprécier les flux – hommes, idées, produits – qui circulent au sein et entre ces espaces ?
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