Les livres ne valent que par le livre supérieur qu'ils nous conduisent à imaginer.
Dans l'usage de la vie pratique, le langage est un instrument et un moyen de compréhension, il est la voie qu'emprunte la pensée et qui s'évanouit au fur et à mesure que s'accomplit le parcours. Mais, dans l'acte poétique, le langage cesse d'être un instrument et il se montre dans son essence qui est de fonder un monde, de rendre possible le dialogue authentique que nous sommes nous-mêmes et, comme le dit Hölderlin, de nommer les dieux. En d'autres termes, le langage n'est pas seulement un moyen accidentel de l'expression, une ombre qui laisse voir le corps invisible, il est aussi ce qui existe en soi-même comme ensemble de sons, de cadences, de nombres et, à ce titre, par l’enchaînement des forces qu'il figure, il se révèle comme le fondement des choses et de la réalité humaine.
Il apparaît comique et misérable que l'angoisse, qui ouvre et ferme le ciel, ait besoin pour se manifester de l'activité d'un homme assis à sa table et traçant des lettres sur un papier.
Traduction authentique, le livre de Georges bataille pour cette raison ne se laisse pas décrire. Il est la tragédie qu'il exprime. Celui qui en effleure le sens, peut bien le réduire à la lourdeur scolastique. Sa vérité est dans la brûlure d'esprit, dans le jeu de foudre, dans le silence plein de vertiges et d'échanges qu'il nous communique. Il ne convient pas d'en parler comme d'un ouvrage qu'on pèse et qu'on apprécie, mais pour citer encore Nietzsche qu'il évoque souvent, nous en dirons ce que celui-ci disait de Zarathoustra : "cette oeuvre est complètement à part."
Le déroulement rigoureux de la passion produit un dépassement de cette passion et aboutit à un délire verbal où le désordre, l'incohérence, l'ordonnance fortuite sont à ce moment justifiés. C'est l'instant où le hasard dans toute sa beauté et sa grandeur concrète prend en charge la loi de la nécessité, la représente complètement, où ce qui est vraiment sans cause est aussi vraiment nécessaire.
(L'art du roman chez Balzac)
L'écrivain se trouve dans cette condition de plus en plus comique de n'avoir rien à écrire, de n'avoir aucun moyen de l'écrire et d'être contraint par une nécessité extrême de toujours l'écrire.