Maurice Blanchot
EAN : 9782070766314
29 pages
Gallimard
(31/05/2002)
3.69/5
27 notes
La folie du jour
Résumé :
Essayiste et romancier, Maurice Blanchot (né en 1907) a commencé comme journaliste dans l'Entre-Deux-Guerres.
Il se consacra à la littérature après une rencontre déterminante avec Georges Bataille en 1941, publiant la même année son premier roman, Thomas l'Obscur. À partir de là, son style, en opposition radicale avec tout naturalisme, va évoluer vers toujours plus de dépouillement et de " neutralité ", l'ensemble de son travail tournant autour de la question...
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Un très court texte très bien écrit, et très évocateur...
La vie, la mort, la folie.
Aimer la vie et aimer la mort, des morceaux de verre dans les yeux...
"Le pire, c'était la brusque, l'affreuse cruauté du jour ; je ne pouvais ni regarder, ni ne pas regarder ; voir, c'était l'épouvante, et cesser de voir me déchirait du front à la gorge. En outre, j'entendais des cris d'hyène qui me mettaient sous la menace d'une bête sauvage (ces cris, je crois, étaient les miens)."
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Un court texte paru d'abord dans la revue Empédocle à la fin des années 1940 et édité par
Fata Morgana en 1973. Il commence comme une sorte de bilan. le bilan d'une vie, le bilan d'une guerre : « Peu après, la folie du monde se déchaîna. Je fus mis au mur comme beaucoup d'autres. Pourquoi ? Pour rien. Les fusils ne partirent pas. Je me dis : Dieu que fais-tu ? Je cessai alors d'être insensé. le monde hésita, puis reprit son équilibre. »
Un récit de rupture, de révélation à l'envers, à mettre en relation avec les autres textes écrits par Blanchot juste après la guerre. le narrateur se fait agresser, apparemment sans raison - du moins il n'en voit pas, il n'a pas d'ennemi -, quelqu'un lui ayant écrasé du verre sur les yeux. Il se fait soigner dans ce qui semble être un asile de fous.
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J'ai ouvert ce livre sur les recommandations d'une libraire et les premiers mots de ce texte m'ont attirée comme un aimant, me poussant à en savoir plus. J'ai trouvé qu'il y avait de la poésie dans la bouche de ce personnage que l'on côtoie (aux portes de la mort? Je ne sais pas, je n'ai pas bien compris). Mais très vite, j'ai été éjectée de ce même texte, et impossible de remonter à bord. Il y a des livres qui nous résistent, on ne sait pas bien pourquoi. Je suis allée au bout car il est très court mais je suis passé à côté.
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Avec la raison, le souvenir me revint et je vis que même aux pires jours, quand je me croyais parfaitement et entièrement malheureux, j'étais, cependant, et tout le temps, extrêmement heureux. Cela me donna à réfléchir. Cette découverte n'était pas agréable. Il me sembla que je perdais beaucoup. Je m'interrogeai : n'étais-je pas triste, n'avais-je pas senti ma vie se fendre ? Oui, cela avait été ; mais, à chaque minute, quand je me levais et courais par les rues, quand je restais immobile dans un coin de chambre, la fraîcheur de la nuit, la stabilité du sol me faisaient respirer et reposer sur l'allégresse.
Je n'avais pas d’ennemis. Je n’étais gêné par personne. Quelquefois dans ma tête se créait une vaste solitude où le monde disparaissait tout entier, mais il sortait de là intact, sans une égratignure, rien n’y manquait. Je faillis perdre la vue, quelqu’un ayant écrasé du verre sur mes yeux. Ce coup m’ébranla, je le reconnais. J'eus l’impression de rentrer dans le mur, de divaguer dans un buisson de silex. Le pire, c’était la brusque, l'affreuse cruauté du jour ; je ne pouvais ni regarder ni ne pas regarder; Voir c’était l’épouvante, et cesser de voir me déchirait du front à la gorge. En outre, j’entendais des cris d’hyène qui me mettaient sous la menace d’une bête sauvage (ces cris, je crois,
étaient les miens).
Le verre ôté, on glissa sous les paupières une pellicule et sur les paupières des murailles d’ouate. Je ne devais pas parler, car la parole tirait sur les clous du pansement. «Vous dormiez», me dit le médecin plus tard. Je dormais! J’avais à tenir tête a la lumière de sept jours : un bel embrasement! Oui, sept jours ensemble, les sept clartés capitales devenues la Vivacité d’un seul instant me demandaient des comptes. Qui aurait imagine cela? Parfois, je me disais : « C’est la mort; malgré tout, cela en vaut la peine, c’est impressionnant. » Mais souvent je mourais sans rien dire. A la longue, je fus convaincu que je voyais face à face la folie du jour; telle était la vérité : la lumière devenait folle, la clarté avait perdu tout bon sens; elle m’assaillait déraisonnablement, sans règle, sans but. Cette découverte fut un coup de dent à travers ma vie.
Incipit :
Je ne suis ni savant ni ignorant. J'ai connu des joies. C'est trop peu dire : je vis, et cette vie me fait le plaisir le plus grand. Alors, la mort ? Quand je mourrai (peut-être tout à l'heure), je connaîtrai un plaisir immense, Je ne parle pas de l'avant-goût de la mort qui est fade et souvent désagréable. Souffrir est abrutissant. Mais telle est la vérité remarquable dont je suis sûr : j'éprouve à vivre un plaisir sans limite et j'aurai à mourir une satisfaction sans limite.
J’ai aimé des êtres, je les ai perdus. Je suis devenu fou quand ce coup m’a frappé’, car c’est un enfer. Mais ma folie est restée sans témoin, mon égarement n'apparaissait pas, mon intimité seule était folle. Quelquefois, je devenais furieux. On me disait : Pourquoi êtes-vous si calme? Or, j'étais brûlé des pieds à la tête; la nuit, je courais les rues, je hurlais ; le jour, je travaillais tranquillement.
Peu après, la folie du monde se déchaîna. Je fus mis au mur comme beaucoup d’autres. Pourquoi? Pour rien. Les fusils ne partirent pas je me dis : Dieu, que fais-tu? Je cessai alors d’être insensé’. Le monde hésita, puis reprit son équilibre.
Avec la raison, le souvenir me revint et je vis que même aux pires jours, quand je me croyais parfaitement et entièrement malheureux, j’étais cependant, et presque tout le temps, extrêmement heureux. Cela me donna à réfléchir. Cette découverte n’était pas agréable. Il me semblait que je perdais beaucoup. Je m’interrogeai : n’étais-je pas triste, n'avais-je pas senti ma vie se fendre? Oui, cela avait été; mais, à chaque minute, quand je me levais et courais par les rues, quand je restais immobile dans un coin de chambre, la fraîcheur de la nuit, la stabilité’ du sol me faisaient respirer et reposer sur l'allégresse.
De la fosse de boue, je suis sorti avec la vigueur de la maturité. Avant, qu'étais-je ? Un sac d'eau, j'étais une étendue morte, une profondeur dormante. (Pourtant, je savais qui j'étais, je durais, je ne tombais pas au néant.) On venait me voir de loin. Les enfants jouaient à mes côtés. Les femmes se couchaient par terre pour me donner la main. Moi aussi, j'ai eu ma jeunesse. Mais le vide m'a bien déçu.
Jean Frémon de quelques rencontres (Paul Otchakovsky-Laurens, Pierre Morhange, Jacques Dupin, etc.) - : où Jean Frémon, -à l'occasion de la parution de son livre " le Miroir magique"-, se souvient notamment de sa rencontre avec Paul Otchakovsky-Laurens et de ses deux mères, de la revue Strophes et de Pierre Morhange, de Bernard Noël et de Jean Cayrol, de Jacques Dupin et d'Aimé Maeght, de Samuel Beckett et de Maurice Blanchot et où il est question d'édition, de poésie et de prose.
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