Les éditions Syros avaient une collection appelée «L'arbre aux accents, des livres qui parlent en deux langues» et qui proposait trois livres bilingues donc par pays (d'où la couverture) : cuisine, contes, nouvelles contemporaines. Il s'agit ici de celui consacré à la Roumanie pour la nouvelle contemporaine «L'Église fantôme».
C'est la légende assez invraisemblable du déplacement d'une église sur une dizaine de kilomètres, entre deux villages de montagne. Une parenthèse pour préciser que sous le régime de Ceaușescu de nombreuses églises bucarestoises ont été déplacées sur des rails pour leur éviter d'être démolies. Elles ont été «poussées» à l'arrière des immeubles prévus sur les grandes artères de la capitale communiste. Ainsi, la légende ancienne trouve un écho contemporain dans la réalité.
Pour revenir à la légende le déplacement se passait bien jusqu'à la traversée d'un cours d'eau quand les plans des paysans furent déjoués par la météo. En effet, la glace n'était pas encore assez ferme pour permettre la traversée et l'église se retrouva prisonnière des eaux glacées pour la durée de l'hiver. La suite mêle mystère de foi et réalité fantastique et s'achève sur ces lignes : «Maintenant encore, quand les jours de la révolte ne sont plus qu'histoire depuis longtemps révolue et le voyage de l'église légende à conter aux touristes, il émane de ces gens de Bassespierres (forestiers, ouvriers de la fabrique de meubles, navetteurs) entassés dans des bus poussiéreux et déglingués, il émane donc de ces montagnards taciturnes aux longs regards scrutateurs, quelque chose de mystérieux et d'indéfinissable qui semble dire : “Oui, tout ne va pas comme il faudrait, mais cela n'a pas d'importance, car au-delà de ce que l'on voit il y a une autre réalité, une réalité où les choses sont bien différentes.”»
Un bémol quant à la mise en page : le texte est souvent inscrit sur un cadre plus clair de l'image, mais pas assez, ce qui rend la lecture un peu fastidieuse.
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La loi leur interdisant de se bâtir une église, les serfs des Basses-Pierres décidèrent de transférer dans leur village une église déjà construite. Cette idée insolite ne leur serait peut-être pas venue s’il n’y avait eu, à dix kilomètres de là, dans la vallée du Criș Rapide, à Lugoșu-d’en-Bas, une chapelle en bois, ne servant plus guère. C’était l’ancien sanctuaire de ce village de paysans libres qui, eux, avaient fini par s’en bâtir une nouvelle, en pierre. Déplacer sur plus de dix kilomètres, et en montant de quelques centaines de mètres, une église tout entière, avec son porche, son clocher et sa toiture, sa nef et son narthex, son autel, ses stalles, son iconostase et même les icônes accrochées à ses murs, semble, de nos jours, une idée exclusivement littéraire qui ne saurait être prise au sérieux, une sorte de symbole ingénieux, une aberration. Mais en ces temps-là, à la fin du dix-huitième siècle, peu avant la révolte de Horea, elle pouvait paraître à des gens prêts à s’insurger chose possible et digne d’être accomplie.
(p. 5)
Certes, ce miracle, le miracle de la transformation d'une église en navire, puis de sa navigation sur le cours étroit des rivières, ne perdait rien de son importance, mais, englobé dans celui, véritablement exceptionnel, de l'apparition d'un chef, il ne nécessitait plus une adhésion et une foi spécifiques.