Que cherche ce pianiste français au destin contrarié quand il échoue sur la grève d'un village de Sibérie centrale ? Avec lui, un piano acheté sur le bateau qui l'a conduit ici, à Mourava, terminus d'un voyage improbable. Mourava, ramassis d'âmes perdues, oubliées, de gens misérables avec tous les défauts possibles, surtout les plus drôles, les plus tragiques aussi.
On se dit que forcément il a un problème, ce pianiste, pour en être arrivé là. Son affaire n'est pas banale: sa main droite se raidit hideusement dès qu'il joue le concerto n°2 en do mineur de Rachmaninov. Comme ça, d'un coup.
C'est Vladimir, le ravi du village, qui l'accueille chez lui. Colin Cherbaux va devenir Kolincherbo.
Est-ce que tout cela est plausible ? Pas une seule fois je ne me suis posé la question pendant la lecture de ce petit roman invraisemblable. On est embarqué dans la quête quasi spirituelle du héros.
Ce
Concerto pour la main morte n'a pourtant rien à voir avec les Manuscrits de la mer morte si ce n'est deux choses :
- une vague homophonie dans le titre, ce qui m'amuse (je sais, c'est bête)
- Dans ces deux oeuvres, on se demande d'où le miracle va venir.
Car Kolincherbo atteint d'un mal mystérieux a besoin ni plus ni moins d'un miracle…
Ce livre est un cri primal, le « pourquoi » que chacun lance devant la fatalité. Il est aussi une réponse, de celle qu'on va chercher aux confins de la Sibérie s'il le faut, au milieu des brutes et des ours, dans cet endroit immaculé, vierge, sauvage, primitif. Dans ce lieu sacré du face à face avec ses soi-même et où l'on sépare l'os de la moelle, l'existence de la destinée.
Enfin, peut-on répondre à la question « pourquoi ces failles en nous ? ». Cette question me fait encore frémir quand je repense à cet ami, Friedrich, dont le grand-père fervent nazi, est mort dans son lit rassasié d'années sans être jamais inquiété ni par la justice, ni par sa conscience. Friedrich était tourmenté d'être le petit-fils d'un criminel de guerre impuni. Dans ses veines coulaient le même sang que cet homme-là. Peu à peu il a sombré dans la folie. Il a été interné. Il a fini par se suicider. « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants en ont été agacées » (Ez 18, 1 à 9). Est-ce cela ? Friedrich a-t-il porté dans sa chair la condamnation de cet aïeul au destin inique, il a payé pour lui ?
Olivier Bleys présente une alternative originale et rafraîchissante à tous ces dilemmes qui nous déchirent : plutôt que quelqu'un paie, il propose que quelqu'un répare.