"Il n'y a que deux façons de passer le temps, ici. C'est l'alcool et les histoires." Ici, c'est Mourava, un trou perdu en Sibérie centrale. L'alcool, Vladimir veut s'en passer ; les histoires, il n'y en a guère à raconter. Alors, il rêve de partir, au moins pour la ville la plus proche, Krasnoïarsk. Mais pour prendre le bateau, il faut de l'argent. Et Vladimir n'en a pas. Son délire, à lui, est d'accumuler tous les déchets, tous les rebuts, les sacs en plastique abandonnés, au point d'être surnommé l'éboueur. Or, un jour, un étranger débarque avec de l'argent et... un piano. Il prend pension chez Vladimir, qui voit renaître ses rêves de départ.
Colin n'est pas un pianiste raté, c'est un bon technicien sans génie, et affecté d'une timidité paralysante qui l'a toujours empêché de faire carrière. Et, surtout, une de ses mains refuse de lui obéir dès qu'il attaque le deuxième concerto de Rachmaninov. Pourquoi ? Mystère. C'est dans l'espoir de guérir cette curieuse affection qu'il est venu s'enterrer en Sibérie pour préparer un concert.
Sur cette mince trame,
Olivier Bleys a construit une fable plaisante et optimiste, qui nous rappelle que les rêves ne sont jamais perdus, tant qu'on continue à y croire. "S'il s'en croit capable, c'est probablement qu'il l'est", résume un des personnages. L'entraînement ne suffira pas, ni les pommades répugnantes de la rebouteuse. Alors, un personnage étrange, astronaute devenu ermite et passionné d'hypnotisme, va conduire Colin dans ses vies antérieures,jusqu'à ce qu'il comprenne pourquoi sa main est morte.
Une fable repose sur des personnages simples, à la limite de la caricature, attachants par leur bonhomie ou révoltants par leurs obsessions. le cousin ivrogne invétéré ; l'ermite trop sage ; la mère torturant son gamin pour qu'il devienne un pianiste prodige ; l'éboueur au parler truculent ("Ma barbe est plus propre que le con qui t'a vomi sur terre !", "je festonnerai mon toit avec ses tripes !"), mais qui ne manque pas de poésie quand il évoque l'hiver sibérien ("Quand il y aura de la neige, tout sera effacé. Comme si une gomme passait dessus !")...
Olivier Bleys a surtout l'art de la mise en scène : le roman, très visuel, s'attarde avec complaisance sur les moments les plus forts, les plus émouvants ou les plus drôles. Acheter une valise devient une épopée. le concert improvisé qui soudain fait frémir le village, ou la rencontre initiatique avec un ours, sont des moments forts évoqués avec une main sûre.