C'est avec ce livre que je découvre l'oeuvre de Böll, prix Nobel de littérature 1972 (pour son oeuvre poétique plus que pour son oeuvre romanesque). Une découverte qui ne devrait pas rester sans suite, tant j'ai trouvé ce livre riche et surprenant. le plus difficile pour moi est d'écrire ici des mots qui ne dévoilent pas trop le récit, car un des plaisirs que j'ai eu a la lecture de celui-ci, est de le voir se construire, brique par brique, alors même que je n'en avais pas les plans. On voit se dresser les murs, placer les fenêtres, mais aucune vision globale de l'édifice tant qu'il n'est pas terminé. Mise en abime ... Ce livre nous raconte l'histoire d'une famille d'architectes dans l'Allemagne en destruction et en reconstruction de la première moitié du vingtième siècle. Un pan de l'histoire allemande que l'on découvre au travers des blessures et des cicatrices des différents membres de la famille Fähmel. Au coeur de la famille se dresse l'abbaye Saint-Antoine dont le grand-père fut l'architecte, et qui fut détruite pendant la guerre, et reconstruite par le petit-fils Joseph. Cette abbaye a eu un role majeur dans la famille puisque c'est grâce à elle que le grand-père Fähmel a construit sa fortune, sa notoriété et son mythe. L'abbaye et ce qu'elle a fait des Fähmel pèse de tout son poids sur la vie et le destin de chacun. Un récit qui se place fin des années cinquante et qui revient au travers des pensées des différents membres de la famille, sur cinquante ans d'histoire. La guerre et la société allemande qui se divise entre ceux qui on gouté au « sacrement du buffle » et ceux qui ont goutés au « sacrement de l'agneau » (l'origine du titre francais des deux sacrements, le titre allemand étant « billard à 9h30 »), mais aussi les difficultés des relations entre les pères et les leurs enfants, le rôle des mères et épouses qui voient leurs mari et enfants transformés ou enlevés par la guerre. Jamais le livre ne mentionne le nom d'Hitler ou du mouvement nazi. Il montre une societé dechirée où certains ont suivi la voie du buffle, symbole de mal, et d'autres, plus rares, ont suivi celle de l'agneau. Un récit écrit en noir et blanc, une vision assez sombre de la société et de l'humanité.
Que celui qui cherche un livre optimiste passe son chemin. de même celui qui souhaite lire un récit classique. En particulier, le style est assez surprenant. On passe régulièrement des pensées d'un personnage à un autre, sans savoir dans la tête de qui nous sommes. Les répétitions sont légion et cela peut par moment gêner, mais celles-ci sont souvent comme un motif qui se répète ; pareil aux pensées desquelles on ne peut se défaire. le style et la structure appuient donc le récit avec force, nous faisant entrer au plus près de chacun des personnages.
La maladresse de cette tentative de critique illustre simplement la complexité et la richesse de ce livre dont j'ai l'impression de ne pas avoir encore fait le tour, de n'avoir pas tout saisi. Un livre qui devrait rester dans ma vie de lecteur et qui m'invite a découvrir d'autres textes de cet auteur. A suivre.
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3 générations d'architectes. le grand-père, le père et le fils, qui tout à tour, racontent leur passé. Chacun devient alors le narrateur. Ils font partie des agneaux, ont refusé cette dictature à leurs risques et périls. le grand-père a fait fortune en construisant l'abbaye de Saint Séverin, le fils l'a détruite à coup de dynamite et le petit-fils est chargé de la reconstruire. le secret de famille, c'est cette destruction par le fils. Chacun va avoir l'occasion de se mettre à nu devant l'autre. Puis les femmes (entre autres, grand-mère et petite-fille) auront aussi l'occasion de prendre la parole.
Un livre très bien écrit, et même si l'intrigue est peu présente, on a envie de continuer. L'auteur a su démontrer jusqu'où peut aller la folie des hommes.
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Encadrée d'un couronne de laurier imprimée, la photo du groupe : jeunes gens musclés et moustachus de dix-huit ans nés en 1885 dont les regards, empreints d'un optimisme bestial, semblaient contempler à travers lui le destin que l'avenir leur réservait : se putréfier à Verdun, se vider de son sang dans les marais de la Somme ou bien devenir, quelque cinquante ans plus tard, dans un cimetière militaire proche de Château-Thierry, le prétexte de belles sentences de réconciliation que des touristes en route pour Paris et subjugués par l'atmosphère du lieu inscriraient dans un livre d'or délavé par la pluie.
À cinq heures, me mêlant au flot des ouvrières, je franchissais la porte cochère pour faire ma promenade systématique du samedi soir. J'apercevais des beautés voilées se rendant en fiacre à leur rendez-vous, des officiers attablés au café Fuhl devant des alcools violents au son d'une douce musique. Je faisais tous les jours quatre kilomètres, soixante minutes de marche, empruntant toujours le même itinéraire et toujours à la même heure. Car il fallait qu'on me vît toujours au même endroit à la même heure, vendeuses, banquiers, joaillers, prostituées, receveurs de tramway, commis, garçons de café et ménagères ; il fallait qu'ils me vissent, et ils me voyaient ; de cinq à six, le cigare à la bouche ; incongru, je le sais bien, mais je suis un artiste donc astreint au non-conformisme ; je peux même me permettre de m'arrêter auprès des joueurs d'orgue de Barbarie qui monnaient la mélancolie des jours fériés. Route de rêve passant par le PC de mes rêves ; mus par des fils invisibles, mes figurants aux articulations bien huilées ouvraient la bouche pour me donner la réplique que je leur consentais. Froide mélopée des boules de billard à l'Hôtel du Prince Henri ; blanc sur fond vert, rouge sur fond vert ; des mannequins arquaient les bras pour manier la queue, marquaient des points, réussissaient des séries, me tapaient fraternellement sur l'épaule : Ah oui ! oh non ! ah ! éblouissant ! oh ! pas de chance ! Et pendant ce temps, j'entendais les mottes de terre tomber sur mon cercueil, j'attendais déjà le cri que pousserait Edith au moment de mourir, devinais déjà le dernier regard que l'apprenti menuisier jetterait à l'aube sur les murs de sa prison.
"La politesse est bien la forme la plus sûre du mépris", se dit-il.
Contre le vice, il existait une sauvegarde : la discrétion.
La victoire ne se reçoit pas, elle se conquiert [...].