Intéressante découverte que ce livre d'
Evelyne Bloch-Dano que je ne connaissais pas, livre à la fois biographique (l'auteure y évoque la vie de l'actrice Allemande
Romy Schneider (de son vrai nom Rosemarie Albach) mais aussi celle de sa famille et de sa mère en particulier) et... autobiographique, car elle évoque aussi (et c'est manifestement la première fois) son ressenti face à la (re)découverte des conséquences de la Shoah pour sa famille... après sa sortie d'un déni dans lequel elle s'était confortablement installée.
Il ne s'agit pas là de révélations fracassantes (il existe de très nombreux livres sur
Romy Schneider), mais celles-ci s'avèrent néanmoins intéressantes et éclairantes quand l'auteure évoque les liens de la mère de celle-ci avec Hitler, ses relations de soumission vis-à-vis de sa mère, ses relations avec son beau-père, ou encore ses liens de type "je t'aime moi non plus" avec son pays d'origine l'Allemagne (qui, lui aussi, après l'avoir aimée l'a rejetée).
A l'aune de ces éléments, on comprend mieux le mal-être de l'actrice (mais surtout celui de la petite fille devenue femme qui se cache derrière) fait d'une quête d'amour vis-à-vis de sa mère, d'une quête de reconnaissance de la part de son père, mais surtout d'une énorme culpabilité liée au sort que son pays a réservé aux Juifs au cours de la Seconde guerre mondiale. Une histoire que beaucoup ont fait en sorte de passer sous silence, y compris Romy dont les non-questionnements et les non-dits étaient nombreux et qui s'est attachée, chaque fois que possible, à agir en réaction (mais inconsciemment) pour tenter de racheter personnellement les fautes collectives de son pays (en jouant des héroïnes juives, en épousant des hommes d'origine juive, en ne se donnant pas le droit d'être heureuse, en appelant son fils David...).
Du côté de la mère de l'auteure, sont évoqués le parcours des grands-parents maternels, leur départ de la Rhénanie pour atterrir en France parce que Juifs, l'incroyable chance qui a été la leur d'être passés, pour la plupart, entre les gouttes de la déportation... mais aussi, le déni qui a été le sien face à ces événements, déni qui s'est répercuté, selon l'auteure, à la génération suivante. Et Edith comme Romy d'agir en réaction, sans trop bien savoir pourquoi, quand elle rejoint en 1945 l'Allemagne alors sous occupation des quatre puissances alliées, pour prendre en charge, en qualité d'interprète, des enfants dits "déplacés" (des enfants juifs trouvés dans les camps, abandonnés, orphelins ; des enfants nés en lebensborn qui n'ont pas de familles ; mais aussi des enfants Allemands de familles fuyant l'arrivée des Russes à Berlin ou encore ayant perdu leurs parents sous les bombardements des alliés). Quelle faute cherche-t-elle alors à réparer ? Sans doute, celle d'être toujours là alors que beaucoup ne le sont plus.
Par de multiples va-et-vient, par petites touches successives, on avance dans le temps, et s'ébauchent ainsi les portraits sensibles de deux femmes que tout oppose, mais qui pourtant ont beaucoup en commun, notamment des fêlures dont elles n'ont pas conscience.
Autre aspect intéressant, la façon dont l'auteure évoque son lien particulier avec l'Allemagne et notamment Berlin, sa difficulté à questionner sa mère sur ces aspects spécifiques de l'Histoire, son déni potentiel face aux quelques informations qu'elle a pu, malgré tout, lui transmettre... et la façon dont elle aussi a tenté de réparer sa possible culpabilité de ne pas avoir voulu voir ni entendre (sans vraiment avoir conscience de le faire) en faisant le choix de son métier de biographe qui consiste à redonner vie à des personnes disparues et à laisser une trace pour la postérité.
Ici ou là, elle évoque également la façon dont elle interprète la posture du biographe (à noter que lors de la première édition de ce livre aux
Editions Grasset, le titre en était "
La biographe"). D'ailleurs, le livre s'ouvre sur la citation suivante : "La biographie est l'art d'être l'autre que je suis" d'Emilio Rodrigué.
Donc, si vous aimez
L Histoire et notamment tout ce qui a trait à la Seconde guerre mondiale, à la Shoah, et à la façon dont l'Allemagne s'est relevée de ses cendres, ce livre apporte un éclairage précieux, à la réserve près que cet éclairage est essentiellement focalisé autour de la vie de
Romy Schneider et sur celle d'Edith, la mère de l'auteur... Mais pas seulement. En effet, on en apprend aussi beaucoup sur la façon dont, pour les Allemands, la page a été vite tournée parce qu'il fallait reconstruire le pays (bien pratique !), tournée voire niée, notamment en direction de la génération qui a immédiatement suivi. Ce n'est que tardivement que les petits-enfants et arrière-petits-enfants ont commencé à chercher des réponses et à les obtenir.
Si vous aimez le cinéma et l'actrice, vous apprécierez aussi d'avoir certains éclairages sur les contextes dans lesquels se sont tournés certains films, sur ses relations avec les hommes de sa vie (notamment A. Delon) et sa descente aux enfers après le décès accidentel de son fils David.
Evelyne Bloch-Dano tente ici l'exercice difficile de parler non pas de Romy, mais bien de Rosemarie libérée de ses multiples masques. Une gageure, puisque Rosemarie elle-même, en était la prisonnière inconsciente et donc, surtout, la victime.