La fille du marchand de figues de Barbarie

Bienvenue à Alep.

Difficile d'enchanter actuellement la Syrie autrement qu'entre les pages d'un conte, penseraient sans doute les grands lecteurs.

Nous oublierons les temps tristes et présents pour se laisser raconter l'aventure de la petite Selma.



Les illustrations noir et blanc de Sarah Loulendo rendent grâce à l'Orient dans notre imaginaire.

Quelques touches de camaïeu, de couleurs dorées et de teintes de nuit vont décorer l'atmosphère.

Les visages au mono-sourcil des habitantes d'Alep nous rappellent la beauté singulière de l'artiste mexicaine de Frida Khalo, bien qu'elles soient de l'autre bout du monde.



Ne nous laissons pas trop bercer, nous ne pourrons nous laisser allez à la procrastination des sentiments car l'heure est grave.

Le père de la petite Selma a désobéi à un ordre du sultan, brisant la tranquillité des quartiers pour vendre ses figues de barbarie.

Le sultan ne supportait plus ses crieurs de rue qui devaient surenchérir de force de voix pour appeler le chaland et vendre.

Aïe!



Comment notre héroïne de 12 ans réussira t-elle a faire libérer son père coincé dans une geôle à vie (et de quoi va t-elle vivre surtout puisqu'il était son seul soutien familial?)?

Notre Selma est comme son père, une têtue, une obstinée lorsqu'elle a une idée derrière la tête (oui, déja). Sans doute que la survie donne aussi de l'aplomb.

Elle sait déja comment amadouer probablement le sultan à la fête qu'il prépare pour les futurs fiançailles de son fils.



Comme dans les contes de fée européens, les jeunes demoiselles devront défiler devant le prince, onduler, danser, faire des pieds et des mains manucurés pour le séduire.

C'est ainsi que l'on choisit une épouse, avons-nous envie de nous moquer doucement.

Mais la fin du conte nous surprendra.



L'auteure collectrice de contes du monde entier, Muriel Bloch, nous inspire, de la malice, du courage, des senteurs, en soufflant les textes de son héroïne:

" Mes matins sont de jasmin, de lumière et de bonheur,

Je ne veux pas d'un grand malheur

Cette nuit, je danserai jusqu'au tournis

Je danserai rien que pour lui

Et je sauverai la vie de mon père chéri

Cette nuit, je danserai comme une étoile

Je danserai sans voile

Je danserai jusqu'au tournis..."



Nous voyons venir bien entendu l'astuce et qu'en sera t-il lorsque le sultan qui a enfermé son père découvrira qu'une enfant s'est joué de lui pour l'approcher?



Ce que l'on peut dire c'est qu'en tous cas, Selma fera preuve de pas mal de maturité pour faire aboutir son plan. Cela suffira t-il?

Les jeunes lecteurs apprécient ce genre de personnage très avisé, avec l'intelligence du coeur et prêt à tout pour la juste cause.

Le caractère de cette petite Selma et la philosophie du pays telle qu'elle est présentée sont d'une étonnante modernité et devraient séduire.

Comme souvent, j'ai d'abord été attirée par les illustrations. Elles sont en ligne claire, dans un style traditionnel qui m'a fait penser à celui de Marjane Satrapi. Ici par contre, les couleurs ont toute leur importance, avec un travail inspiré des arts décoratifs, sur les tissus notamment, mais aussi sur les toitures, les arbres, les oiseaux, les dessins au henné, qui rendent ces illustrations pleines de détails et nous plongent avec bonheur dans la culture perse. Malgré l'économie de traits, les visages sont expressifs et attachants.
L'héroïne est pleine de courage, intelligente et un brin espiègle. Une histoire d'indignation par rapport au pouvoir en place, avec une résolution pleine d'humanité. Voilà de quoi nous donner de l'inspiration, bien nécessaire par les temps qui courent.