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Stanley Hoffmann (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070325696
326 pages
Gallimard (01/01/1990)
4.15/5   248 notes
Résumé :
Quatrième de couverture - Ces pages seront-elles jamais publiées ? Je ne sais. Il est probable, en tout cas, que, de longtemps, elles ne pourront être connues, sinon sous le manteau, en dehors de mon entourage immédiat. Je me suis cependant décidé à les écrire. L'effort sera rude : combien il me semblerait plus commode de céder aux conseils de la fatigue et du découragement ! Mais un témoignage ne vaut que fixé dans sa première fraîcheur et je ne puis me persuader q... >Voir plus
Que lire après L'étrange défaite - Témoignage écrit en 1940Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
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C'est un livre que j'ai acheté sans en connaître autre chose que le propos et la photographie de couverture. Je m'attendais donc à un récit de combat, a du bruit et de la fureur et non une étude profonde sur le désastre de 1940.
Marc Bloch, historien spécialisé dans le moyen-âge et co-créateur de l'école des annales, pères de six enfants à décidé à la fin des combats d'écrire le récit de la débâcle et dans chercher les causes. Etant officier de ravitaillement, il a pu assister de l'arrière à la défaite, ce qui lui a permis, grâce a son esprit de synthèse, d'appréhender la réalité. Son étude fine et précise, consciencieusement étayé est en avance sur son temps. Il arrive, alors qu'il n'a pas beaucoup de recul, aux mêmes conclusions que les historiens actuels : incapacité du commandement tant militaire que politique, absence de vision tactique et stratégique. Il nous décrit une armée englué dans les formulaires, dans les procédures. Mais attention ce n'est pas une charge aveugle contre les militaires et les politiciens mais plutôt un texte afin d'éviter de recommencer les mêmes erreurs. 
Ce texte paru de façon posthume mérite d'être lu, ne serait ce d'un point de vu historique, pour une fois c'est un officier qui raconte, mais aussi pour voire ce que l'intelligence bien employé est capable. Un texte à méditer même si il faut tenir compte des contextes si on veut l'appliquer à notre époque, d'ailleurs c'est ce qu'il dit.  
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Tout ce que réclame la morale française depuis au moins cent cinquante ans, c'est un esprit de fonctionnaire motivé par le goût et l'appât du confort : voilà ce qui innerve notre belle société et en fonde la structurante mentalité, pas autre chose, n'en déplaise aux flatteurs et aux amateurs des raccourcis de l'Histoire. Nous ne sommes ni des philosophes ni des révoltés : ces images et ces fables servent de propagandes dont l'effet de répétition obtuse, comme de puérils proverbes, fabrique, établit et perpétue ce que nous ne constatons point à dessein de se consoler ne n'être pas meilleurs que nous sommes. Un Français typique n'a ni hauteur ni énergie, il n'en a ni l'idée ni le temps ; un Français n'est ni Descartes, ni Voltaire, ni Hugo, bien qu'il soit vrai que ces trois furent français, mais ils furent incontestablement au-delà d'un Français. D'ailleurs, cette faiblesse générale des vertus, ce manque d'importance, de conscience et d'individu, bien des indices historiques et littéraires m'incitent à penser à son ancienneté : je ne puis admettre que notre « ère » ne daterait que des années 2000 et attribuer à cette si courte période le nom de « post-modernité » ; je trouve à cette théorie une surestimation du potentiel d'innovation d'un peuple balourd comme le nôtre, qui ne pense ni ne fait rien, dont le caractère n'a pas varié du constat implacable qu'en fit Georges Darien dans La belle France en 1900, on y reconnaît sans différences notables le Français d'aujourd'hui, inerte et bas, indolent et mesquin. Une nationale fierté, dont l'orgueil aveugle ne tolère pas d'être confronté à une réalité crue qui la désavoue, suppose à tort que tout son rapport est refondé puisqu'à chaque guerre on s'entr'extermine pour rien, il ne se peut donc que ces anciens si absurdes nous ressemblent encore, c'est pourquoi on préfère, sur toutes ces morts scandaleuses, fabriquer de nouvelles et symboliques renaissances, célébrer de nouveaux baptêmes d'humanité, pour s'imaginer que les fils de la France ont été, on ne sait pourquoi ni comment, révolutionnés des flagrantes erreurs de leurs pères, sans doute sous l'impulsion de ce devoir de mémoire qui, pour quiconque, ne signifie que ceci : il faut se croire une meilleur conscience, et ne pas oublier qu'on vaut un peu mieux. Pourtant, c'est sans mal qu'on peut oublier quand on ne sait rien, quand il n'y a rien de précieux à garder, quand tout ce qu'on sait est une légende qui n'édifia jamais – car les Français par tradition et sous la volonté immatérielle de ses institutions morales ne conservent des guerres successives que le catéchisme simpliste qu'on leur a donné à retenir, avec leurs divers Clovis et vases de Soissons. Sans mal également, on peut oublier ceux qui furent avant nous quand on leur est si conforme, si identique, si inchangé : c'est alors en soi qu'on porte la bêtise immémoriale des siècles, et il n'est pas nécessaire de rien fixer en arrière, puisqu'autrui en arrière, c'est soi maintenant. Je ne sache pas par où l'on pourrait démontrer que nos aïeux aux fusils à baïonnette et en pantalon garance furent différents de nous en quelque point fondamental – si l'État d'à présent ne retenait pas les crétines véhémences de son peuple, qui sait si nous n'en serions pas à faire la guerre aux islamistes de la manière tout semblable dont nos prédécesseurs firent croisades, s'il existait ici encore des troupes mercenaires (quoique, certes, avec un armement différent). C'est ce que je veux expliciter ici, à la troublante lumière du brillant texte de Marc Bloch venu là comme une confirmation. Notre ferveur débilitante à croire au changement en général et en particulier à son changement est une persuasion suggestive en contradiction patente avec la réalité de la passivité immuable des Français. Mais il est vrai que ce mythe du progrès est ancien en France où l'on suppose inexorable l'évolution de l'être en proportion du passage du temps et de l'apparition des technologies. On veut espérer depuis longtemps en la mythologie selon laquelle les humains s'améliorent suivant quelque destin inopposable, une force édificatrice courant et se renforçant dans le cycle des ères pour nous rendre meilleur, pour adoucir et perfectionner nos moeurs, pour civiliser lentement et irrépressiblement chacune de nos engeances. Mais partout où l'on impense d'automatisme ce processus, on ne fixe qu'un regard partial sur l'Histoire, et celle-ci se teinte évidemment de ce lot de préjugés antérieurs, et l'on en cherche systématiquement des leçons à tirer par lesquelles, à force de déformations complaisantes, nous aurions vaincu telle primitivité en nous tandis qu'en vérité l'homme demeure. C'est au point que l'on se sert perpétuellement de la variété des couleurs locales et temporelles, qui ne sont que des circonstances contingentes, pour déduire des altérités essentielles, admettant bêtement que là où simplement le décor se différencie, la personne n'est diamétralement plus la même ; on ne voit pas la même chose en surface, donc les changements profonds sont incontestables – mais qui de nos jours porterait de tels pantalons rouges pour aller à la guerre : c'est bien la preuve irréfutable que tout a changé ! Pourtant, je crois qu'en loin un doute ne cesse de nous tenailler là-dessus ; je crois que nous soupçonnons l'imposture de si promptes déclarations ; je crois même que chez nous, puisqu'on ne parvient pas à se cacher entièrement la stupidité de ses historiques prédécesseurs (mais bien davantage la sienne), on a particulièrement besoin de croire que l'on est « passé à autre chose », au point de créer des fragments millimétrés de périodes dont naturellement nous ne devrions point faire partie, étant si distincts que nous ne nous assimilons à rien ni personne avant nous ; il ne faut pas que nous en soyons restés là. C'est flatteur de se sentir uniques quand nous sommes en vérité si confusément communs ; nous nous sentons relevés d'avoir une place à part, même factice, bien qu'on ignore au juste où elle se situe et comment la distinguer ; il va de soi qu'on n'est comparable à nul autre, même si l'on est absolument en peine de dire en quoi. Mais il y a toujours le décor insistant, la surface éblouissante des choses, les technologies superficielles et accapareuses, et tout cela ne correspond certes pas aux cartes postales jaunies d'autrefois ; c'est donc bel et bien qu'il y a eu un bouleversement et donc que nous sommes singuliers. C'est une façon d'espérance et d'oubli, je crois, en opposition avec le constat des êtres. Mais il est vrai qu'on ne réfléchit pas, de nos jours. À ma connaissance, personne (ou alors bien peu, si peu que mes recherches sont restées à peu près vaines) n'a fait l'effort de mesurer avec minutie l'esprit de ces anciens qu'on déclare si opposés à nous ; on n'a même pas eu le soin d'examiner notre propre esprit contemporain et ses caractéristiques – je suis l'un des premiers sur le sujet. On se contente d'affirmer des platitudes. « Nous sommes dissemblables. — En quoi ? questionne-t-on. — Mais ça se voit ! — Ah ? — Oui, c'est évident : a-t-on jamais de sa vie télégraphié un câblogramme. » Ni examen, ni analyse, ni le plus petit commencement de méthode : il faut. C'est si bon de ne ressembler à personne que l'assertion doit suffire, il s'agira de trouver après coup des idées pour s'en persuader. On peut mettre un nom précis sur soi, se sentir dignifié par l'appellation qui ne désigne personne d'autre : « Post-moderne ». N'importe si ça ne veut rien dire, si ça ne correspond à rien, si c'est vide comme Léviathan ou comme le complexe d'Oedipe : d'autres enfin trouveront des raisons ; aujourd'hui la vérité vient bien avant les raisons, on n'a pas besoin d'arguments quand on a l'intuition, on sait avant que de savoir pourquoi on sait. Je pense post-moderne donc je le suis. Et – irréfutabilité maximale – puisque j'en suis heureux, alors c'est vrai indubitablement.
Cette rengaine persuasive comporte les failles élémentaires de la pensée qui exhausse d'emblée le sujet irrationnel pour en faire un être d'éloge. On dispose même en France d'une école de sociologie qui admet pour vraie une idée absurde et infondée dont le postulat est : « Il y a quelque chose d'unique dans la mentalité à notre époque. » Préjugé, croyance, religion que cet axiome désiré. J'imagine que c'est une fierté ou du moins une consolation d'exister quand c'est pour affirmer qu'on est nouveau et donc libre. La valeur d'un tel système ne va pas au-delà de cette rassurante surestime de soi. Encore un domaine où il s'agit de plaire, d'attirer des suffrages, de faire des émules en flattant : la réalité passe après. C'est à cause de ce genre d'a priori qu'on est restés incapables de tirer effectivement des leçons du passé : le passé ne saurait consister en un objet de leçon, le passé, en effet, ne pouvant pas se reproduire à l'identique ni semblablement, puisque le temps vient après lui et l'efface qui nous rend automatiquement si dissemblables et méritants ; ainsi l'homme appartient continuellement à une autre période, ainsi tout a, toujours, tellement changé sous l'effet du progrès des âges qu'il est même inutile d'aller chercher des références pour provoquer ce changement : l'espèce, sans qu'il en aille presque de sa volonté, mute. On s'est obstiné notamment à mal comprendre la défaite de 1940 qui n'est due qu'à cela, qui fut elle-même une réitération des principales défaites de la grande Guerre, je veux dire qu'on doit tous ces échecs aux vices imputables au contemporain français et demeurés universellement en l'état aujourd'hui aussi bien qu'à ces époques où, déjà, on s'était empressés de remiser de pareilles fautes à des « jadis » devenus impossibles et dont les conditions étaient heureusement « définitivement surannées ». Les manuels prétendent encore que c'est à cause de l'état-major qui n'avait pas su s'adapter aux conditions inédites du conflit, et c'est lui qui a porté toute la responsabilité de la déconfiture, on a reporté les malheurs de la France sur une poignée de vieillards « dépassés et obtus », une minorité de piètres professionnels, de mauvais fonctionnaires, en somme, n'est-ce pas ? pas du tout comme des travailleurs aujourd'hui ! eux qui jouissaient du privilège exclusif de l'obscurité mentale et de la mauvaise foi ! On a admis une fois pour toutes que, sans eux, tout aurait tourné autrement, et comme on n'a quand même pas osé examiner plus loin, preuve de la permanence d'une obscurité mentale et d'une mauvaise foi, non seulement on s'est dépêchés de pardonner à ces pathétiques cacochymes, mais la seule résolution qu'on a prise là-dessus fut de déléguer le soin d'éviter le renouvellement de pareille gabegie à… des fonctionnaires vieillissants chargés d'y remédier ! Pour pallier l'insuffisance intrinsèque de cet esprit de fonctionnariat qui a tué tant de Français, on a déterminé qu'il fallait que des fonctionnaires français résolussent le problème ! Il est bien clair qu'on n'a décidément rien compris ; ce devoir de mémoire décidément ne vaut rien si c'est pour se répéter des mantras faux et déculpabilisateurs ! Nos administrations sont demeurées les mêmes, et elles représentent strictement – strictement ! – le mode d'existence et les aspirations du Français contemporain, être d'incurie, celui de 2020. On ne veut pas entendre chez nous que la hiérarchie, qu'on a tant blâmée, ne fait pas différer les hommes aux divers grades : c'est que, pour devenir un supérieur, il faut presque toujours avoir été subalterne à quelque niveau, de sorte que les déviances qu'on constate chez nos dirigeants existent toujours en germe chez le citoyen-type. le Français ne comprend jamais que le supérieur, c'est lui-même accédé à une situation avantageuse, et qu'il comporte ainsi en ferment la « qualité » de sa propre administration. Voilà pourquoi une guerre menée sur notre sol, animée par une armée de conscrits et de généraux fonctionnaires, rendrait de nos jours exactement les mêmes résultats qu'en 1939 ; voilà pourquoi toute entreprise, petite ou d'ampleur, qui privilégie le caractère national est condamnée aux mêmes effets, aux mêmes illusions et aux mêmes échecs : nous sommes la France de 1939, ainsi que celle de 1914, et celle aussi de la fin du XIXe siècle ! Remplacez les chevaux par les autos et les journaux par les téléphones, vous conservez les mêmes dispositions personnelles, les mêmes turpitudes, le même état d'esprit général, la même inaptitude congénitale ! La différence, vous verrez, n'est qu'une façon de mode, une couleur induite par les parures et les technologies, une apparence ou une superficie. Ce qui s'est mis en travers de cette évidente et dure réalité de notre constance dans l'insolente médiocrité, c'est De Gaulle, parce qu'on n'a pas voulu reconnaître qu'il était une exception parmi les Français et non un Français caractéristique ou même un produit de la France comme on a préféré le représenter par amour-propre, et aussi parce qu'il a remplacé son constat réel et intime d'un peuple vachard avec lequel il devait composer, pour louer des êtres surestimés et veules en distribuant à la cantonade des médailles et des milliers d'attestations de service. Quoi ? on voudrait me réfuter encore là-dessus ?!
Voyons donc. Préférence chronique pour l'irresponsabilité. Désir de stricte obéissance passive, allant jusqu'au refus même d'interpréter un ordre : pensée unique et indéfectible de la procédure. Aspiration insatiable à davantage de divertissement. Pénibilité presque pathologique à approfondir, à s'informer, à intellectualiser, à rendre un vrai effort mental, à s'intéresser au-delà de sa charge. Peur fondamentale des reproches par inhabitude d'agir de façon autonome. Langage d'inessentiel, variétés de proverbes, copies d'éléments courus, jargon déshumanisé dans toutes communications officielles, reprise d'expressions arrêtées et publiques – tout cela comme sentiment d'astuce et d'adaptation pour initier la fierté. Lenteurs, paperasserie, rapports, protocoles, degrés multiples et échelons assez étanches où reporter toujours opportunément son devoir. Absence systématique d'initiative individuelle. Rivalités des services ; rivalités au sein même des services : conflits particuliers et dérisoires que nul n'essaie d'arranger au nom de la liberté d'expression. Faiblesse des comptes rendus : imprécisions, creux, négligences de toutes sortes sans remords ni reproche, flou omniprésent fait pour entretenir la relativité des volontés et des décisions. Préséances et cooptations abolissant la justice des promotions et des sanctions : mélange bureaucratique et partial d'autoritarismes et de laxismes avec, en général, conservation des plus anciens et insignes faveurs accordées aux jeunes à conditions qu'ils soient disciples de l'ordre établi. Formation – initiale ou continue – théorique, déconnectée, obsolète et absurde. Défiance contre l'innovation véritable et ostracisme des partisans de l'altérité : un conformisme scrupuleux d'où naît la dénonciation en cas d'enfreinte au règlement. Offuscation du sens de recul au seul profit d'un objectif étroit de secteur sourd à l'intérêt général. Renoncement à fixer et à définir ses propres objectifs, c'est-à-dire à verbaliser soi-même un idéal à son action ainsi que des critères intérieurs et intègres de succès. Principe de précaution généralisé : l'action est licite seulement si elle est inscrite au protocole, à moins qu'elle soit présentée comme un risque, auquel cas elle donne lieu à une note de service. Et, par-dessus tout cela, crainte formidable des décisions personnelles, égoïsme de fuite, stratégie d'évitement : référer toujours à un supérieur qui n'ose guère lui-même, que vous importunez manifestement d'une responsabilité qu'il doit prendre, dont il devra référer à son tour et préfèrerait ne pas entendre parler : d'où hésitation à transmettre un renseignement, et enterrement d'informations capitales, à cause de cela.
Avez-vous reconnu de quoi je parle ? Quoi ? « l'esprit sénescent de l'état-major durant la seconde Guerre mondiale ? Mais non ! Rien qu'un fonctionnaire ou un salarié contemporain, rien qu'un citoyen français d'aujourd'hui ! Ce mécanisme mental n'est ni d'une époque, ni d'une politique, ni d'une mode révolue : c'est celui de la France et des Français aussi bien d'hier que d'à présent, depuis cent cinquante ans au moins, mécanisme auquel nos compatriotes ne s'opposent point, qui les conforte dans leurs agréables dispositions à regarder ailleurs, à mener leur profession et leur vie dans l'insouci et la routine les plus reposants. Or, c'est précisément ce mécanisme qui a conditionné l'écrasante défaite de 1940 quand 1918 ne nécessitait environ qu'une lourde obstination et de lents changements stratégiques. Nous l'emportâmes, oui, mais c'est à condition qu'il ne suffise pour cela que d'appliquer une procédure, à la rigueur altérée avec force parcimonie et moult consultations majoritaires et non sans inépuisables râleries. le changement n'est pas français ; comment notre peuple serait-il altéré de quelque chose ? Rien n'est « blitz » chez nous ; ce n'est pas du tout une question d'états-majors ou de généralissimes : c'est nous tous ensemble et nous en particulier, c'est nous comme somme de personnes avec cet immobilisme confortable inscrit loin, très loin dans nos usages. Nous ne sommes plus des inventeurs, des explorateurs, des artistes, des exemples, des caractères. Il est permis de penser que si Bonaparte l'emportait, c'est parce qu'il n'avait pas l'esprit français, que ce n'est pas la France qui gagnait grâce à Bonaparte mais que Napoléon triomphait seul contre les Français qu'il lui fallait remuer contre leur gré, muter malgré eux ! Pourtant, le Français aime la victoire, ça oui, il se l'approprie quand il est forcé d'y apporter son concours ; mais ce qu'il y a de plus français dans Waterloo, c'est la charge stupide du général Ney qui fait ce qu'il a l'habitude de faire en chargeant contre des carrés anglais, dans un massacre résigné et à peu près inutile. Les tranchées longues et bêtes au rythme lancinant, les assauts stériles à telle heure précise contre des barbelés et une mitraille invincibles, sans évaluation de nécessité comme à Azincourt, le sifflet qui fait grimper des échelles par centaines au suicide délibéré dans une grande bassesse d'inconséquence bovine : ça, c'est français, voilà qui est la France ! On dit qu'il y eut partout des résistants : eh bien ! je prétends qu'ils n'étaient pas foncièrement français, ces résistants de mon coeur, qu'ils étaient comme De Gaulle bien supérieurs à la France énorme et massive, faite d'inertie et de grogne molle, bien supérieurs à cette masse où heureusement ils n'ont pu se confondre, bien supérieurs, oui, et c'est justement ce qui les a rendus ostensibles à l'Histoire. J'exagère ? Mais est-ce qu'on « résiste » au travail de nos jours, et à toutes sortes de peines et d'injustices ? Allons ! vous le savez bien : on meugle et on se résout, sauf si bien sûr on est une multitude ! L'esprit français est depuis longtemps, a contrario de toutes fanfaronnades, pour l'essentiel un esprit stylé de collaboration ainsi que d'intérêt personnel par insouci d'idéal actif, par souhait de confort, par peur du risque, au fond par manque d'individu : le socialisme qui a si bien pris chez nous est bien français, parce qu'il importe par-dessus tout au Français d'être solidaire et d'aspirer à la légèreté ; or, le socialisme
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Ce procès-verbal de l'an 40, la défaite militaire de 1940 est due à une débâcle intellectuelle et administrative , on parle de faillite. Multilplication des échelons et des grades, fragmentation du haut commandement et rivalité des services. Carence intellectuelle lié au dogme de la guerre defensive. Ils restaient dominés par le souvenir de la guerre précédentes.
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Rarement un témoignage aussi précis nous est livré à l'intérieur même d'un conflit. L'historien Marc Bloch, qui aurait pu rester chez lui au vu de son âge, s'engage en tant qu'officier, en l'occurrence pour faire la guerre de 39-40, mais également pour la suivre avec un oeil d'entomologiste.
Ses annotations font mal. Pêle-mêle sont rapportées une coopération médiocre avec les Anglais (on peut difficilement en douter…), la faillite des élites militaires, enfermées dans un conservatisme stérile quand elles ne sont pas finalement satisfaites de voir tomber la troisième république, mais aussi une certaine complicité de la bourgeoisie française, complicité qui se transformera bien vite en collaboration avec l'ennemi.
La plus importante cause, selon Marc Bloch, de la défaite éclair reste cependant une bureaucratie aussi tenace que paralysante. Personne ne savait où se prenaient les décisions et l'empilement échevelé des organigrammes et des structures interdisait toute cohérence d'ensemble.

De ce terrible écheveau, Marc Bloch en constitue d'ailleurs un rouage bien malgré lui et c'est avec un empressement de scrutateur qu'il nous livre une anecdote aussi révélatrice qu'imparable sur la densité organisationnelle qui immobilise l'armée française : au cours de sa mission, il est en effet amené à rencontrer son homologue luxembourgeois, un francophile acharné désireux de voir la Wehrmacht mordre la poussière. Celui-ci déclare à Bloch la chose suivante ; soit l'armée française se sent capable d'aller inquiéter les Allemands chez eux, auquel cas les importants stocks d'essence luxembourgeois seront remplis à disposition des Français, soit au contraire, les armées françaises privilégient un recul tactique, quitte à laisse pénétrer un peu la Wehrmacht en France. Dans ce cas, les stocks luxembourgeois, colossaux, seront intégralement vidés pour ne pas tomber aux mains des « boches ».
La décision est d'importance, aussi Marc Bloch, ne se sentant pas le pouvoir d'apporter lui-même une réponse, fera remonter illico la problématique au plus haut niveau.
Quatre ans plus tard, le rapport de Marc Bloch est retrouvé, parfaitement archivé et muni d'un nombre incalculable de visas, sans qu'aucun des signataires n'ait apporté une quelconque réponse. Au final, les Allemands, qui passeront par le Luxembourg, se serviront allègrement des stocks de carburant au grand désespoir de l'officier luxembourgeois qui, attendant une réponse française, n'avait pas eu le temps de vider ses cuves….

Un livre injustement méconnu, peut-être parce qu'il appuie sur des plaies qu'on se refuse encore à connaître, et qui pose très justement une question forte : comment une armée telle que celle opposée par la France aux Allemands en 1940 a pu se déliter en si peu de temps, pour en arriver à constituer une sorte de déroute record, inexplicable et encore inégalée...
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C'est en lisant "C'est la guerre" de Stéphane Audoin-Rouzeau, cet été, que j'ai vu de nombreuses références à cet ouvrage de Marc Bloch dont je n'avais, je le confesse, jamais entendu parler. L'acuité des citations qu'Audoin-Rouzeau en tirait m'avait convaincu de le lire, ce que je viens donc de faire, qui plus est pour la modique somme de 0 € puisque cet ouvrage est maintenant dans le domaine public (merci la liseuse).
Marc Bloch, historien de renom, a fait toute la première guerre mondiale en tant qu'officier d'infanterie, avant de rempiler à sa demande en 1940, à l'âge de 52 ans, ce qui faisait de lui alors le plus vieux capitaine de l'armée française. Pendant ces quelques semaines de débâcle, il a fréquenté de près l'état-major de la première armée, c'est dire s'il constitue un témoin de premier choix.
D'abord embauché en tant qu'agent de liaison avec les Anglais, puisqu'il maniait la langue de Shakespeare, il s'est rendu compte qu'ils étaient trois à faire le même travail, il a donc été transféré en tant que responsable de l'approvisionnement en essence, tout en n'ayant, de son propre aveu, aucun rudiment en logistique, et s'il a appris très vite, il priait tout de même pour qu'Hitler n'attaque pas tout de suite – en même temps, ce n'est pas comme si l'essence était importante, hein, non plus !
Voilà, le ton est donné. Dans un patient et lumineux réquisitoire, Bloch raconte les incuries qu'il a subies à titre personnel, mais surtout décrit les impérities qu'il a vues et entendues tout autour de lui durant les semaines de la débâcle. Autant le dire tout de suite, c'est accablant. de la nullité et du défaitisme des officiers d'état-major au manque de combativité des grades inférieurs, de la division sociologique de l'armée (entre les pacifistes internationalistes syndicalistes d'un côté qui ne font pas la différence entre le meurtre et la légitime défense, et la grande bourgeoisie d'autre part, qui ne pardonne pas le front populaire de 1936), de l'impréparation et de la courte-vue de l'entre-deux guerres au manque de réactivité face aux évènements et à notre incapacité à collaborer efficacement avec des alliés, tout le monde en prend pour son grade.
Je n'ai pas pu m'empêcher de repenser à l'insulte que nous adressaient les Américains en 2003 lorsqu'ils furent vexés que les Français ne les suivent pas en Irak : "surrenderers monkeys"... singes capitulards.
Si, sur l'ensemble de l'Histoire, il ne faut pas sombrer dans le "french army bashing" à courte vue, et se souvenir par exemple que, contrairement à une idée reçue, la proportion de victoires-défaites contre les Anglais est de 60-40 en faveur de la France, il faut avouer que l'on n'a jamais mieux mérité ce sobriquet que durant ces tristes mois de mai et juin 1940 (en dépit de la résistance opiniâtre de certains éléments de l'armée qu'il ne convient pas d'insulter).
Dès lors, je me pose la question sur le titre "L'étrange défaite". Ce livre ayant été édité à titre posthume, après que Bloch fût fusillé pour résistance en 1944 – il nous est d'ailleurs parvenu presque par miracle, après avoir été enterré dans son jardin. Je me dis que le titre n'est forcément pas de lui, car à sa lecture, on conçoit cette défaite comme tout sauf "étrange".
C'est vraiment un très grand livre. Celui d'un analyste à l'intelligence acérée, celui d'un patriote au sens noble du terme, qui ne méprise aucune frange de la société, celui de quelqu'un capable d'élever le débat au niveau philosophique, celui d'un visionnaire. Un très grand bonhomme.
Pour moi, dans la catégorie "essais", c'est la lecture de l'année, et même peut-être de ces dix dernières années, et s'il n'est pas d'un abord facile pour les ados ou les personnes peu lettrées, chacun devrait s'y confronter dès qu'il a acquis le bagage nécessaire.
Pour enfoncer le clou, la version que j'ai lue comportait 6 articles supplémentaires écrits pour la plupart en 1943, un an avant sa mort. En tant que prof, mon attention a été attirée par le dernier des 6. Voyant la victoire se profiler, Bloch y exprime sa vision des réformes nécessaires pour l'éducation nationale après guerre, en particulier au niveau secondaire et universitaire. Cruel constat : bientôt 80 ans après, quasiment aucune de ses préconisations n'a été prise en compte (suppression des examens incessants transformant les jeunes en singes savants, fin de l'hyperspécialisation des écoles et des diplômes, suppression de certaines grandes écoles, décloisonnement des universités, retour à un enseignement général plus pragmatique pour éviter l'ennui, et j'en passe...)
Ce n'est même pas une intuition, c'est une certitude que j'ai, après 25 ans de carrière : si on l'avait écouté, nous n'en serions pas là, à présent, avec des hémorragies de décrocheurs, d'écoles alternatives, d'instruction en famille, des diplômes inutiles, des examens coûteux et sans valeur, des "bullshit cursus" menant tout droit à des "bullshit jobs"... et à un niveau général moyen toujours plus désastreux d'année en année.
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critiques presse (1)
LeMonde
03 août 2017
Le livre écrit par l’historien Marc Bloch en 1940 rend actuel son précoce esprit de résistance bien plus que sa critique des experts.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (64) Voir plus Ajouter une citation
Je suis Juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte, étant, je l’espère, assez bon historien pour n’ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu’elle prétend s’appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite. Mais peut-être les personnes qui s’opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de « métèque ». Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand père fut soldat, en 93 ; que mon père, en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que j’ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l’exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd’hui et peut-être (qui sait ?) y réussiront, demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux.
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Il serait certainement peu équitable de borner aux échelons supérieurs les observations qui précèdent. Les exécutants n’ont pas, à l’ordinaire, beaucoup mieux réussi à accorder leurs prévisions ni leurs gestes à la vitesse allemande. Les deux carences étaient, d’ailleurs, étroitement liées. Non seulement la transmission des renseignements s’opérait fort mal, tant de bas en haut que de haut en bas ; les officiers de troupe avec, pour la plupart, moins de subtilité de doctrine, avaient été formés à la même école, en somme, que leurs camarades des états-majors. Tout le long de la campagne, les Allemands conservèrent la fâcheuse habitude d’apparaître là où ils n’auraient pas dû être. Ils ne jouaient pas le jeu. Nous avions entrepris, à Landrecies, vers les débuts du printemps, l’établissement d’un dépôt d’essence « semi-fixe » : grande pensée du G.Q.G., conçue à l’échelle d’un type de guerre qui ne se réalisa jamais que sur le papier. Un beau jour du mois de mai, l’officier, qui avait la charge de l’installation, rencontra dans la rue un détachement de chars. Il les jugea d’une couleur singulière. Mais quoi ! connaissait-il tous les modèles en usage dans l’armée française ? Surtout, la colonne lui parut bizarrement engagée : elle filait vers Cambrai, alors que la direction du « front » était, de toute évidence, à l’opposé. Dans une petite ville, aux voies un peu tournantes, n’arrive-t-il pas que les guides s’orientent de travers ? Notre homme s’apprêtait à courir après le chef du convoi, pour le remettre dans le droit chemin, quand un quidam, mieux avisé, le héla : « Attention ! ce sont les Allemands. »
Cette guerre a donc été faite de perpétuelles surprises. Il en résulta, sur le plan moral, des conséquences qui semblent avoir été fort graves. Je vais toucher, ici, à un sujet délicat et sur lequel, on le sait, je n’ai le droit que d’avoir des impressions un peu lointaines. Mais il importe que certaines choses soient dites, brutalement, s’il le faut. L’homme est ainsi bâti qu’il se bande à affronter un danger prévu, au lieu où il l’a prévu, beaucoup plus aisément qu’il ne supportera jamais le brusque surgissement d’une menace de mort, au détour d’un chemin prétendument paisible. J’ai vu naguère, après la Marne, une troupe qui, la veille, était montée bravement en ligne, sous un affreux bombardement, succomber à la panique, parce que trois obus étaient tombés, sans blesser personne, le long d’une route, au bord de laquelle on venait de former les faisceaux, pendant la corvée d’eau. « Nous sommes partis parce que les Allemands étaient là » : j’ai entendu plusieurs fois ces mots, en mai et juin derniers. Traduisez : là où nous ne les attendions point, où rien ne nous avait permis de supposer que nous devions les attendre. En sorte que certaines défaillances, qui, je le crains, ne sont guère niables, ont eu leur principale origine dans le battement trop lent auquel on avait dressé les cerveaux. Nos soldats ont été vaincus, ils se sont, en quelque mesure, beaucoup trop facilement laissé vaincre, avant tout parce que nous pensions en retard.
Les rencontres avec l’ennemi n’ont pas seulement été trop souvent, par le lieu et l’heure, inattendues. Elles se produisaient aussi, pour la plupart, et se produisirent surtout avec une fréquence croissante, d’une façon à laquelle ni les chefs ni, par suite, les troupes ne s’étaient préparés. On aurait bien admis de se canarder, à longueur de journée, de tranchée à tranchée — fût-ce, comme nous le faisions jadis, dans l’Argonne, à quelques mètres de distance. On eût jugé naturel de se chiper, de temps à autre, un petit poste. On se serait senti fort capable de repousser, de pied ferme, un assaut, derrière des barbelés, même plus ou moins démolis sous les « minen » ; ou de partir soi-même à l’attaque, héroïquement, vers des positions déjà pilonnées — bien qu’imparfaitement peut-être — par l’artillerie. Le tout, réglé par les états-majors, sur de belles idées de manœuvres, longuement, savamment mûries, de part et d’autre. Il paraissait beaucoup plus effrayant de se heurter, soudain, à quelques chars, en rase campagne. Les Allemands, eux, couraient un peu partout, à travers les chemins. Tâtant le terrain, ils s’arrêtaient là où la résistance s’avérait trop forte. S’ils tapaient « dans du mou », ils fonçaient au contraire, exploitant, après coup, leurs gains pour monter une manœuvre appropriée, ou plutôt, selon toute apparence, choisissant alors dans la multitude des plans que, conformément au méthodique opportunisme, si caractéristique de l’esprit hitlérien, ils avaient, d’avance, tenus en réserve. Ils croyaient à l’action et à l’imprévu. Nous avions donné notre foi à l’immobilité et au déjà fait.
Rien de plus significatif à cet égard, que les derniers épisodes de la campagne auxquels il m’ait été donné d’assister : à l’époque, précisément, où il eût pu sembler que les leçons de l’expérience auraient enfin fait entendre leur voix. On avait décidé de défendre la Bretagne, en y recueillant les forces en retraite depuis la Normandie et que l’avance ennemie, à l’ouest de Paris, déjà coupait des armées repliées sur la Loire. Qu’imagina-t-on ? On dépêcha, incontinent, un honorable général du génie, pour reconnaître une « position », d’une mer à l’autre. Car, pas moyen de tenir, n’est-ce pas, si l’on n’a, préalablement, tracé sur la carte, puis piqueté sur le sol, une belle « position » continue, avec bretelles, ligne avancée, ligne de résistance, et ainsi de suite. Il est vrai que nous n’avions ni le temps nécessaire à l’organisation du terrain, ni canons pour garnir en nombre suffisant les futurs ouvrages, ni les munitions pour tous ces canons, à supposer qu’on les eût pu trouver. Le résultat fut qu’après quelques rafales de mitrailleuses, échangées, m’a-t-on dit, à Fougères, les Allemands entrèrent, sans combat, à Rennes (que la « position » eût dû mettre à l’abri), se répandirent dans toute la péninsule et y firent des foules de prisonniers.
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Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons -nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l’on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes, mais faciles en somme à déceler, qu’inspire l’esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d’obéir uniquement à des consignes d’ordre politique, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, dans leur source, étrangers à notre pays. Sans doute, le bon sens populaire avait sa revanche. Il la prenait sous la forme d’une méfiance croissante envers toute propagande, par l’écrit ou par la radio. L’erreur serait lourde de croire que l’électeur vote toujours « comme le veut son journal ». J’en sais plus d’un, parmi les humbles, qui, recevant chaque jour le quotidien du cru, vote, presque constamment, contre lui et peut-être cette imperméabilité à des conseils sans sincérité nous offre-t-elle, aujourd’hui, dans l’état où nous voyons la France, un de nos meilleurs motifs de consolation, comme d’espoir.
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« Capitulation » : le mot est de ceux qu’un vrai chef ne prononce jamais, fût-ce en confidence ; qu’il ne pense même jamais. Pas plus qu’il n’annonce à ses troupes, comme devait le faire, le 17 juin, un maréchal jusque-là chargé de tant de gloire, son dessein de solliciter « la cessation des hostilités », avant, bien avant, d’être, à quelques conditions que ce fût, assuré de l’obtenir […]
Être un vrai chef, c’est, avant tout peut-être, savoir serrer les dents ; c’est insuffler aux autres cette confiance que nul ne peut donner s’il ne la possède lui-même ; c’est refuser, jusqu’au bout, de désespérer de son propre génie ; c’est accepter, enfin, pour ceux que l’on commande en même temps que pour soi, plutôt que l’inutile honte, le sacrifice fécond. Jadis, des hommes qui n’étaient ni des sots, ni, devant le péril personnel, des lâches, avaient eux aussi trop promptement succombé devant l’infortune. À leur mémoire, l’histoire militaire ne réserve que mépris.
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Ce n'est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n'avions nous pas, en tant que nation, trop pris l'habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d'idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n'était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu'avons nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n'est possible ? Rien en vérité. Telle fût, certainement, la grande faiblesse de notre système prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l'on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes, mais faciles en somme à déceler, qu'inspire l'esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d'obéir uniquement à des consignes politiques, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, étrangers à notre pays. (...) Pour comprendre les enjeux d'une immense lutte mondiale, pour prévoir l'orage et s'armer dûment, à l'avance, contre ses foudres, c'était là une médiocre préparation mentale. Délibérément (...) l'hitlérisme refuse à ses foules tout accès au vrai. Il remplace la persuasion par la suggesion émotive. Pour nous, il nous faut choisir : ou faire, à notre tour, de notre peuple un clavier qui vibre, aveuglément, au magnétisme de quelques chefs (...) ; ou le former à être le collaborateur conscient des représentants qu'il s'est lui-même donnés. Dans le stade actuel de nos civilisations, ce dilemne ne souffre plus de moyen terme... La masse n'obéit plus. Elle suit, parce qu'on l'a mise en transe, ou parce qu'elle sait.
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