AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bigmammy


En ces temps de cérémonie en l'honneur de nos soldats morts en Afganistan, il est nécessaire de lire - ou relire - un grand texte écrit "dans la rage" en juillet 1940 par Marc Bloch, historien du moyen-âge, fondateur, avec Fernand Braudel, de l'école des Annales.

Voici - entre autre - ce qu'écrit cet intellectuel, engagé volontaire en 1940 - il a 54 ans et est père de 6 enfants, il participera ensuite, après sa démobilisation, au réseau "Combat" dans la Résistance et sera à ce titre fusillé par les Allemands en 1944 - sur les politiciens de la période de 1938 :

Prisonniers de dogmes qu'ils savaient périmés, de programmes qu'ils avaient renoncé à réaliser, les grands partis unissent, fallacieusement, des hommes qui, sur les grands problèmes du moment (...), s'étaient formés les opinions les plus opposées. Ils en séparaient d'autres qui pensaient exactement de même. »

Cela ne vous dit rien ?

Cette analyse à chaud des causes de la débâcle de 1940, publiée en 1946, écrite par un homme lucide et habitué à la recherche des faits, qui a donné sa vie pour la Patrie, reste d'une actualité brûlante aujourd'hui sur les tendances de l'âme française. de la lecture de tels témoignages, on peut transposer des règles de vie pour mieux comprendre le désenchantement politique actuel....Finalement - hélas - rien ne change.

Mais revenons à l'Etrange défaite.

Marc Bloch décrit d'abord son expérience personnelle de l'extraordinaire chaos de l'offensive allemande du 10 mai 1940. Il en avance plusieurs explications. Voici un florilège de citations :

- Depuis le début du 20° siècle, la notion de distance a radicalement changé de valeur. Les Allemands ont fait une guerre d'aujourd'hui, sous le signe de la vitesse. Nous avons en somme renouvelé les combats, familiers à notre histoire coloniale, de la sagaie contre les fusils. Mais c'est nous, cette fois, qui jouions les primitifs.

- Cette guerre fut le fait de perpétuelles surprises : les Allemands ne jouaient pas le jeu, n'étant jamais là où on les attendait. Ils croyaient en l'action et à l'imprévu. Nous avions donné notre foi à l'immobilisme et au déjà fait.

- La doctrine, couramment répandue par les doctrinaires, nous affirmait arrivés à un de ces moments de l'histoire stratégique où la cuirasse dépasse en puissance le canon (allusion à l'investissement dément dans la Ligne Maginot).

Quelques semaines de combats meurtriers et brouillons suffirent pour mettre ainsi en lumière l'insuffisance du haut commandement, de l'organisation, de l'armement et des blindés (considérés comme une arme lourde à mouvoir et réservée à la défense), de liaisons entre les forces françaises entre elles et le corps expéditionnaire britannique, la faiblesse du renseignement, la pléthore du nombre de ses organismes et la rivalité entre eux, la crise d'autorité et l'incapacité à sanctionner les manquements, la manie paperassière du temps de paix perpétuée en temps de guerre, les chevauchements, les strates multiples, le sectionnement des responsabilités.

Dans la troisième partie intitulée Examen de conscience d'un Français, ce sont les responsabilités morales de la classe militaire et politique qui sont mises sous revue :

- la folie de l'exode, la rapidité à déclarer les villes de plus de 20 000 habitants "ouvertes", la non défense des ponts, l'impréparation des troupes pendant la "drôle de guerre", le manque de connaissances global de l'encadrement : "une paresse du savoir qui entraîne une funeste complaisance envers soi-même."

En particulier est fustigée toute la littérature du renoncement mettant en garde contre les dangers de la machine et du progrès, le manque de culture des "élites", leur absence de curiosité technique et politique - nourri d'une Presse orientée, comme d'effort pour comprendre le peuple par horreur des masses et du Front Populaire.

- une remarque, en passant, sur le régime d'assemblée défunt : "c'est un problème de savoir si une chambre, faite pour sanctionner et contrôler, peut gouverner." le régime parlementaire, les assemblées pléthoriques, les politiciens en prennent pour leur grade : "les partis servaient simplement de tremplin aux habiles, qui se chassaient l'un l'autre du pinacle".

Un grand texte, donc, court et nerveux, écrit avec talent d'une traite, avec quelques fulgurances d'espoir dans une issue proche et que son auteur clairvoyant, fusillé au cul d'un camion allemand, ne verra pas mais qui lui survivra.
Lien : http://www.bigmammy.fr
Commenter  J’apprécie          141



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}