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Critique de morganex


« Psychose » :

_un court roman signé Robert Bloch (1957 en VO) : romancier, nouvelliste, scénariste pour Hollywood et la télévision US.

_un film signé Alfred Hitchcock (1960), cinéaste, celui de « La mort aux trousses » et de « La main au collet » pour ne citer que deux de ses nombreux longs métrages. J'ai revu « Psychose » dans la foulée du roman : l'adaptation est assez fidèle, seules des variations de détails les séparent.

Mon intérêt pour les deux hommes est fort. Depuis longtemps.

Robert Bloch, tout d'abord, pour ses nouvelles fantastiques teintées d'humour noir («Contes de terreur»), ses romans dont le magnifique «Crépuscule des stars» .

Alfred Hitchcock, ensuite, via ses films à suspense dont on ne se lasse pas malgré les multiples rediffusions TV. Fatalement, je devais les croiser, l'un et l'autre, conjointement, à la convergence de leurs talents respectifs, à la croisée de leur attirance pour Hollywood. Ce sera en compagnie de «Psychose».

Bienvenue en terre de « Mauvais genres » par excellence, en pays du thriller horrifique, au rayon des serial killers (Norman Bates, le héros de « Psychose », en est t'il le prototype romanesque ? Je laisse çà aux spécialistes). Bloch, en interview de préface, affirme s'être inspiré d'un fait divers US terrifiant de la fin des 50's qui donnera naissance, au-delà du personnage central de « Psychose », à celui de Buffalo Bill dans le « Silence des agneaux ». Je n'apprécie guère le genre, mais puisque que c'est Bloch, puisque c'est Hitchcock, pourquoi ne pas m'y aventurer ?

USA. Années 50's. Une nuit d'été. Un orage d'une violence extrême. Mary, seule sur la route, au volant depuis des heures. Ballet fébrile et inefficace des essuie-glaces. Phares au loin sabrant ceux d'en face. Longues lignes droites sur lesquelles dangereusement accélérer. Brusques virages à l'arrache. Panneaux routiers entre-aperçus. Paysages fantomatiques et incertains. 40000 dollars volés dans la boite à gants, Mary se fait la belle, se cherche une vie nouvelle, le plus loin possible. La fatigue, le sommeil qui guette. Un motel isolé, désert, une haute et sinistre maison en arrière-plan, une silhouette de femme aux aguets derrière les carreaux. Un garçon à l'accueil, timide mais sympathique. Une chambre. Mary se douche. Une ombre chinoise derrière le rideau. «… le visage d'une vieille folle. ». Un poignard brandi. Mary hurle. Un long cri dans la nuit. La mort … Tout (ou presque) dans la suggestion, peu de sang, à peine un mince filet filant vers la bonde …

… La suite appartient au récit. Place à Norman Bates et à sa psychopathologie terrifiante. Je vous aurai prévenu.

Vous qui entrez dans son motel, attendez-vous à tout, y compris au pire … le motel est ouvert. Norman Bates ne vous attendait pas, il est content de vous louer une chambre pour la nuit. Il en a tant de libres. Et sourire aux lèvres il vous montrera le chemin. « Comme on fait sa tombe, on se couche » P.48.

La douche : une des plus célèbres scènes de crime au cinéma … (à peine 45 secondes à l'écran, 70 plans ; une multitude de détails en making-of, d'anecdotes et de secrets par la suite révélés ; une éternité de commentaires élogieux, d'arrêts sur images disséqués au plus près, d'unanimités critique partagées. Je laisse çà aux cinéphiles) … pour un chef d'oeuvre du thriller horrifique sur grand écran. Cette scène est dans le roman, aux avant-postes, dès le presque début, en phrases choc, dans l'excellence de style de Robert Bloch. L'auteur y donne toutes ses griffes de métier.

«Mary se mit à crier. Les rideaux s'écartèrent et une main apparut, tenant … [un ] … couteau qui, l'instant d'après , coupa net son cri. Et sa tête. » P.66.

La BOF se fait l'écho sonore parfait de la tension à l'oeuvre : on imagine des craies griffant sèchement l'ardoise d'un tableau noir ; des riffs de violon, faisceau de crins tendus sur l'archet, raclant les cordes. Une musique en agace-nerfs, celle qui griffe, stridule, fait grincer des dents. Inoubliable.

Robert Bloch écrivit « Psychose » en 1957 (VO), Hitchcock l'adapta en 1960 pour le cinéma, en noir et blanc, sans gros moyens financiers, sans grand espoir de succès, presque pour s'amuser. L'histoire était à l'origine prévue pour être un épisode de sa série TV (depuis devenue culte), « Alfred Hitchcock presents », mais la petite trentaine de minutes imposée pour chaque épisode devint carcan étroit pour une adaptation satisfaisante à minima. Sur grand écran, en 1h49', Hitchcock fera de « Psychose », contre toute attente, un de ses plus grands succès, un chef-d'oeuvre reconnu du film de suspense, critique pro et estime populaire confondues.

Le roman, préexistant, est t'il à la hauteur de celui déguisé en 25 images/seconde ?

Lire ses 231 courtes pages, en n'ignorant rien du déroulé cinématographique, peut paraitre vain. On sait déjà tout : du pitch, des mises en abime successives, du twist final. Rien pour surprendre à nouveau, pour rééditer l'électro-choc du premier visionnage. le film est de la race de ceux dont on n'oublie rien, dont on fait ressurgir les séquences et les plans successifs aussi facilement que des octets tout frais de la mémoire vive d'un ordinateur. le suspense, principale jouissance de lecture, s'est évanoui, captif de souvenirs précis et indélébiles. Tout est tatoué d'un pitch percutant et simple. La mémoire fait spoil.

Alors quoi .. ? Qu'attendre du roman ? Pourquoi y revenir ? Si ce n'est, contre toute logique, pour renouer avec le frisson premier du noir et blanc sur l'écran ? Espoir …

Le texte se fait miracle de redécouverte (même si au final et dans son ensemble il me parait surestimé ou du moins de qualité inférieure au film). On y perce les secrets d'écriture de Bloch à l'oeuvre du thriller policier horrifique. Il y mène si professionnellement son lecteur en bateau que disséquer ses points de twist, dénouer ses ficelles en action, devient ludique. Son humour habituel, largement teinté de noir, à l'expérience sienne de l'art de la nouvelle (cf « Contes de terreur ») surgit systématiquement en clôture de chaque chapitre. Connaissant la suite, on le sent si bien venir. Instructive lecture donc, qu'en à la manière de s'y prendre, des tactiques stylistiques à adopter pour monter un thriller. Seul bémol : certains rares chapitres, ceux décentrés de Norman Bates et de sa psyché trouble et délabrée, ceux axés sur l'enquête elle-même, renvoient néanmoins quelque peu le son creux et vieillot des ficelles romanesques type du roman policier d'un autre temps, celui des 50's.

«Psychose» est un page-turner brassé au ventilateur. Bloch sait y faire pour alpaguer son lecteur, le chopper par la peur, se l'approprier par l'angoisse, l'inciter à aller toujours plus avant dans le suspense. Il sait capitaliser sur l'envie qu'il suscite d'enfin tout savoir. Sur le fil de chapitres brefs, d'une prose simple et aisée, il use d'une sobriété trompeuse quand, sous les mots, les pièges de style s'ouvrent peu à peu dans l'attente de mordre. le plus redoutable de ses chausse-trappes réside dans ce qu'il cache, passe sous silence, élude, n'écrit pas, tait.

Bloch manipule son monde en malicieux marionnettiste qu'il est. Il tire les ficelles du pantin venu le lire. Il conduit le bal des dupes en voilant la réalité, en multipliant les fausses pistes , en masquant la vérité. le lecteur est souvent à deux doigts de tout comprendre si ce n'est, qu'alors, de nouvelles bases suggérées n'induisent une réflexion erronée. le pire étant que, pourtant conscient du phénomène et des règles que l'auteur impose, le lecteur se laisse volontiers embobiner et conduire par le bout du nez. Equilibriste incertain entre mensonges et non-dits d'une part, et logique policière de l'autre, Bloch file bon an mal an vers le vertige final, celui qu'il espère non parasité par les doutes qu'il a pu essaimer tout le long de son travail d'auteur. Et la grande baffe attend, sure de son coup. Mais elle ne fonctionnera qu'une seule fois, à moins que le lecteur n'en redemande (on est quand même maso à aimer se faire filouter comme çà).

Hitchcock, au final, sonne à l'unisson de Bloch, les deux hommes mots et images croisées pour le plus bout des rendus papier et pellicule ; les deux, main dans la main, pour un piège dans lequel tomberont encore nombre de générations, même si dans le genre d'autres filous qu'eux ont fait et feront toujours plus terrifiant, même si à ce jeu morbide Norman Bates apparait bien gentillet au regard des serial killers romanesques qui suivront.

Je ne me souviens plus du caméo d'Alfred Hitchcock dans « Psychose ». Je l'ai loupé au re-visionnage du film. Dommage.. !
Lien : https://laconvergenceparalle..
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