J'aime bien trouver le mot précis. C'est en employant avec précision les mots qu'on parvient à maîtriser une culture et un pays. C'est ce que répétait mon père, avant qu'on émigre.
Le problème avec la danse, c'est que les mots ne peuvent pas raconter le corps et que ce qui paraît divin quand on le voit peut sembler stupide lorsqu'on le décrit.
Je les laisse se moquer. L'ignorance est la chose la mieux partagée du monde, par toutes les communautés.
À les écouter, je leur suis indispensable. Je maintiens leur Terre sur mes épaules. Je suis un Atlas du quotidien.
Je me souviens du poids de la tristesse. Un vrai poids physique. Quelque chose qui t'écrase la poitrine. Un tissu que tu déchires chaque fois que tu respires.
Et pendant qu'il pleure comme un gosse, je lui raconte comment ça a été d'arriver ici, depuis le Sri Lanka. La peur et la haine dans le regard de ceux qui sont persuadés que tu viens profiter des allocs et encaisser l'argent du contribuable sans rien foutre. La froideur et, oui, le dédain aussi de certains employés à la CAF ou à la préfecture, cette impression de n'être pour eux qu'un numéro - et un numéro particulièrement agaçant parce que le père parle un français très précis et un peu vieillot, on dirait un manuscrit du XIXe siècle.
Aujourd'hui, tout le monde serait apparemment prêt à accepter que sa fille soit gardienne de foot ou boxeuse, et que son fils entre dans la haute couture ou se passionne pour le maquillage. Ou la danse. Laissez-moi en douter.
Tant qu'on ne nomme pas la réalité, elle a encore une chance de ne pas exister.
Le problème avec la danse, c'est que les mots ne peuvent pas raconter le corps et que ce qui paraît divin quant on le voit peut sembler stupide lorsqu'on le décrit.
Et puis je viens d'un quartier. C'est bizarre comme maintenant, on ne précise même plus de quel type de quartier, "quartier", ça signifie obligatoirement ghetto, pauvreté, cassos, peur.