Changer. C’est ce qu’ils veulent tous. Il faut que j’arrête de poser des problèmes aux adultes. Que je cesse d’être dans leur ligne de vision, de mire, de tir. Que je bouge de là. C’est ce que je voudrais, oui. À l’intérieur, je bous. J’aimerais être loin. Loin, genre à l’autre bout du monde. Me réinventer une existence avec un début moins pourri.
Parfois, dans l'amas et la complexité des relations humaines, se dégage quelque chose de simple et d'évident - une amitié. Improbable. Sidérante.
C'est difficile de lutter contre quelqu'un qui ne montre rien. Qui reste là, imperturbable. On a l'impression qu'on va l'entailler, l'émouvoir, la bouger mais on s'y casse les dents - et nos résolutions aussi.
Je déprime.
Sérieusement.
Je regarde autour de moi, ma mère, mon père, les bourges de Clemenceau, les ex-tueurs de Saint-Ex – Dylan et ses nouveaux potes –, je trouve tout minable, petit, resserré je ne vois pas comment je vais m’en sortir, pourtant il faut que je m’en sorte.
Je pose mon front sur une des vitres du couloir du bâtiment G. Les autres sont en récré. Il est 4 heures de l’après-midi. Le ciel est couvert. Le bâtiment est vide. Je n’ai pas le droit d’être ici, normalement. Un bruit de clés. La Fernandez sort de la salle. Manquait plus qu’elle.
– Vous faites quoi, là, Silber ?
– Je m’apprête à passer par la fenêtre.
– Vous allez vous rater.
– Une grande habitude chez moi.
– Vous allez arrêter votre Jérémie, oui ?
– Mon quoi ?
– Jérémie. Saint Jérémie. Il se plaignait tout le temps. D’où le terme « jérémiade ». Vous connaissez le terme « jérémiade » ?
– Je ne suis pas illettré.
– Oui, enfin, il y a des progrès à faire en grammaire.
Je ne réponds rien. Je n’ai pas envie de me battre. Même avec des mots. Même contre la Fernandez.
Elle reste là. Elle plisse les yeux.
– Vous êtes sûr d’aller bien, Silber ?
– Honnêtement ?
– Honnêtement.
– Pas trop.
- Vous faites quoi, là, Silber ?
- Je m'apprête à passer par la fenêtre.
- Vous allez vous rater.
- Une grande habitude chez moi.
Mais c'est bon, la peur, non ? C'est ce qui fait sentir qu'on est en vie.
"C'est ce que je veux faire.
C'est ce que je veux faire de ma vie.
Partir à l'autre bout du monde dans des peaux qui ne sont pas les miennes. Dans les peaux de papier qu'un écrivain mort a créées, des années avant ma naissance.
Incarner.
Je veux incarner."
"Oui j'ai des tours dans mon sac, j'ai de tours dans ma manche : cependant, je suis le contraire d'un prestigitateur de salon, car lui vous présente une illusion qui a l'apparence de la vérité; moi je vous offre la vérité affublé du masque plaisant de l'illusion."
En moi, il y a des torrents d’émotions contradictoires. Je n’en reviens pas de m’être fait remarquer. Je m’en veux, bien sûr, parce que je l’ai échappé belle ; mais en même temps naît une sorte de fierté qu’il faut que j’apprivoise. Fier, oui. Je suis fier de moi. C’est un sentiment dangereux, la fierté. De là à se croire le maître du monde, il n’y a qu’un pas. J’ai peur aussi. De moi. Parce que je ne sais pas d’où me sont venues ces phrases.
Un livre, ça devrait donner des solutions - pas ajouter des problèmes.