je sens l'air froid dans mes narines et, remontant doucement, il se met à aérer mes pensées. Elles s'ouvrent au monde. Elles me questionnent. Elles me demandent si, magré tout, ce fracas d'existence ne vaut pas la peine d'être vécu.
J'ai fermé les yeux et , pendant quelques secondes, j'ai eu vingt-deux ans, des cheveux dans le cou, deux dizaines de kilos en moins, une boucle d'oreille dans le lobe gauche. J'étais assis au bord de la route qui surplombe Morro Bay, Californie. L'avenir était une notion floue. Ce qui comptait, c'était l'ici et le maintenant. L'été. L'été 1986.
je ne réponds rien. je ne suis pas soumis aux regards de ceux qui m'ont vu grandir. Je peux devenir ce que je veux.
nous ne cadrons pas dans le décor. Mais nous nous rendons vite compte que personne ne cadre dans le décor. Précisément parce que ce n'est qu'un décor. Et que tout le monde est hors cadre. Et hors champ.
je me sens instinctivement bien à Las Vegas;
C'est le centre du monde de l'oubli.
Je ne suis pas soumis aux regards de ceux qui m’ont vu grandir. Je peux devenir ce que je veux. Je peux aussi mourir demain. Je tamise entre mes doigts le sable très fin de Cabo San Lucas. Il est d’une extrême fluidité. Impossible, même en creusant, de trouver du sable mouillé pour le transformer en château. Or moi, j’ai besoin de construire.
Je ne ressemblais pas à mon frère. Je suis plus grand que lui. Plus empoté aussi. Et beaucoup moins séduisant. Je ne sais pas organiser des soirées qui se terminent au petit jour par un bain naturiste commun dans le lac le plus proche. Je n'ai pas l'étincelle dans les yeux qui attire les amitiés. Je suis bien plus lourd, et lent. Cela dit, j'ai un immense avantage : moi au moins, je suis vivant. Et je peux devenir ce que je veux - personne ne s'en offusquera.
Il y a des choses comme ça, qu'on accomplit jamais.
« Je suis caché derrière mes lunettes de soleil.
Miguel ne se rend pas compte que je ne l’écoute plus. Il ne se rend pas compte que j’existe dans deux temps qui m’écartèlent..Je souris. J’aime bien sourire jusqu’à ce que je n’en puisse plus, jusqu’à ce que tout se déchire . Je sais que je n’aurai pas le courage de lutter . Je suis fatigué . Je suis tellement fatigué. Je ne sais plus où est mon chemin ..... »
J'ecris des romans. Au début, c'était autant de planches de survie pour laisser les couleurs vivre encore.
Je ne veux aucune trace que celles qui s'incrustent dans la mémoire. (...) Des touches. De toutes petites touches, millimetrées. Des princesses qui s'endorment à peine couchées dans ma boîte à images. Des princesses qui attendront des années, dix, vingt, peut-être davantage avant d'être reveillées en sursaut tout à coup et de ressortir intactes, pimpantes, lustrées - un bâillement étouffé, un étirement-, elles regarderont le monde autour d'elles. Tout aura changé.
J'aurai tellement changé.