C'est exactement ça.
La prépa.
Ce que
Jean-Philippe Blondel décrit d'hypokhâgne/khâgne correspond exactement à ce que j'ai ressenti là-bas.
« Se retrouver seul à Paris dans un lycée élitiste où il se faisait humilier quotidiennement », voilà comment Victor résume (parfaitement) sa situation. Provincial aux parents d'origine modeste, il se retrouve propulsé dans un milieu bourgeois et intellectuel dont « je n'avais pas les codes ». Les trois quarts des élèves, « nourris de culture dès leur plus jeune âge », affichent une aisance à la fois enviable et prétentieuse. Comme l'héroïne de
Clémentine Beauvais dans «
Comme des images » (qui se déroule dans le prestigieux lycée Henri-IV), Victor se sent complètement décalé, pire : « une imposture ». de même, son camarade Mathieu « s'était cru brillant et découvrait depuis la rentrée qu'en fait il était un nain sur les plans intellectuel et culturel ». A côté d'un génie comme Paul Rialto, Victor se fait l'effet d'un « tâcheron acharné ». A côté d'une Armelle « formatée » depuis son plus jeune âge (« Je n'ai pas de désir profond »), il donne l'impression d'être « un électron libre ». Victor ne reçoit en effet aucune pression de la part de ses parents, qui se désintéressent franchement de ses études pourvu qu'il en fasse. Alors dans cette ambiance d' « émulation qui tourne à la compétition », il préfère la solitude, aussi pesante soit-elle.
Et puis il y a Clauzet le « connard », prof aux commentaires acides qui appuie bien sur la touche « humiliation ». le drame surgit, imprévisible, horrible. « Deux filets de sang » indélébile entre les baskets blanches. Un suicide « comme un frisson dans l'ordre établi ». Et pourtant rien ne change – « rien n'avait changé » ! Cet acte désespéré « ne devait rien remettre en cause » - surtout pas les agissements de l'enseignant, quelle lâcheté ! - et la consigne est de « ne pas piper mot de toute cette histoire ». A peine un hommage pour le disparu (« Un malheureux accident. On n'allait pas revenir là-dessus »), « la vie continuait et le concours restait l'objectif prioritaire » !..
Par la suite il ne se passe plus grand chose, le récit est centré sur le deuil, celui de Victor, de la famille, et sur la réflexion qui en découle. Car pour le jeune homme, beaucoup de choses ont changé : « On me trouvait intéressant parce que j'étais l'ami de la victime », depuis « je deviens très populaire. J'existe, donc je vis ». Mais cette popularité nouvelle, si elle est appréciable, fait aussi que Victor « a perdu de son charme », lui qui intriguait tant en début d'année. Victor « s'est perdu » et commence à sérieusement s'interroger : si ce milieu ne lui correspond pas, « Mais alors, pourquoi tu restes là ? ». Par masochisme, par orgueil ? Pour ne pas décevoir ses parents ? Il se rapproche du père en deuil, cherchant une place (« lui se souciait de son fils ») : « Voilà quelqu'un qui me laisserait être imparfait ».
Mais il n'est pas facile de tout plaquer... La prépa, c'est un moyen de « s'extraire de sa classe sociale, fréquenter des lieux qu'on pensait inatteignables, trouver sa propre voie ». Victor est à la fois « déterminé et fragile », il fait aussi preuve d'une grande lucidité sur lui-même et les autres (« Elle vous sauvera » lui affirme-t-on très justement). Les échanges qu'il a avec les autres sont ponctués de dialogues enlevés, l'auteur ayant l'art de la réplique. Ainsi Victor comprend progressivement qu'à « chacun sa croix. Chacun son chemin » : « Ne gâchez pas votre vie et votre sommeil pour répondre à des sujets de français ou de philosophie qui n'en valent pas la peine. Réfléchissez à ce qui est essentiel ». Au final, cet « hiver à Paris » d'une grande violence émotionnelle, impossible à oublier même des années plus tard, aura malgré tout constitué une étape déterminante (et positive) dans ses choix de vie.