AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


♬ Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d'amour
Nuits d'ivresse, de tendresse ♬
♬ Où l'on croit rêver jusqu'au lever du jour ! ♬

Un singe en hiver, oui je vous vois venir déjà. Ne comptez pas sur moi pour chroniquer un film que j'ai adoré. Ici il est bien question d'un livre, d'un roman d'Antoine Blondin dont je découvre par ce texte l'extraordinaire puissance de narration ainsi qu'un écrivain génial.
Un singe en hiver, le livre c'est le film avec un soupçon d'émotion en plus. Que dis-je ? Une dose, une bonne dose d'émotion, à la hauteur d'un Picon-bière, allez je me lâche, de plusieurs verres de Picon-bière.
Le synopsis est simple pourtant.
Nous sommes dans l'hiver normand, à Tigreville, station balnéaire du pays d'Auge, quelques années après la Seconde guerre mondiale. Gabriel Fouquet, jeune homme un peu déluré débarque à l'hôtel Stella tenu par le couple Quentin, Albert et Suzanne. Que vient-il faire ici dans cet hiver solitaire en bord de mer, alors que l'hôtel n'est fréquenté à cette époque que ponctuellement par des représentants de commerce ? Gabriel Fouquet n'a rien à vendre. Il travaille dans le milieu artistique.
Son arrivée vient bousculer l'ordre des choses établi entre Suzanne et son époux Albert Quentin. Avouons-le aussi, avec ses états d'âme il vient bousculer la tranquillité de cette petite bourgade.
Au bord de la fin de la guerre, alors qu'Albert Quentin glissait vers l'alcoolisme, ce dernier a fait promettre à son épouse qu'il renoncerait définitivement à la boisson dès lors que la guerre cesserait. Et donc il le fit.
Depuis ils vivent heureux à Tigreville, tandi qu'Albert Quentin suce des bonbons à la menthe. Oh, c'est un bonheur simple qui ne fait pas de bruit. Comme dit Albert Quentin, c'est un bonheur qui ressemble à du linge rangé dans une armoire.
L'arrivée de Gabriel Fouquet dans ces jours ordinaires, où rien ne se passe, vient fissurer le paysage maritime hivernal.
Gabriel Fouquet arrive dans cette histoire avec une sorte de joie de vivre, dont on devine vite qu'elle est fausse et porte un espoir triste. Cet homme qui en fait « des tonnes » comme on dit, devient brusquement fragile, attendrissant lorsque le lecteur que je suis découvre qu'il n'est là que pour être plus proche de sa fille, qu'il ne peut plus voir sauf qu'ici, suite à son divorce. Elle est là dans une école tout près et c'est touchant de voir cet homme observer ces élèves qui sortent de temps en temps sur la plage, jouant à cache-cache dans les blockhaus et lui assistant à ces jeux, n'osant pas venir plus loin, plus près. Ces scènes d'un père devenu désemparé m'ont touché.
Albert Quentin dans sa figure énorme et statique, âgé déjà, voit ce jeune homme surgir dans sa vie comme une menace au début. Et puis c'est magnifique de voir dans l'écriture d'Antoine Blondin comment l'émotion peut ainsi fissurer des murs, des murailles, des murailles de Chine qu'on croyait infranchissables. Ce texte dans son basculement évoque, non pas la tentation de l'alcool mais celle d'une vie qui serait plus dégagée, dans le souvenir d'une jeunesse perdue, éperdue.
Une amitié va se tisser peu à peu entre ces deux êtres qui sont apparemment si différents. Ils ont l'âge d'être l'un un père et l'autre le fils et c'est un peu cela qui va progressivement se nouer entre eux. Une amitié qui dépasse la fraternité, quelque chose de filial. Et je vous assure que dans l'écriture d'Antoine Blondin comme c'est beau, comme c'est magnifiquement écrit.
Ces deux hommes ont des rêves à partager, des chagrins, des blessures aussi.
L'un est taiseux, l'autre est bavard. Comment ces deux-là vont finir par se parler à travers leur mal de vivre ?
Ici viennent au travers des malaises des grandes profondeurs océaniques. le silence et puis l'envie de rompre ce mur. C'est un assaut de pudeur qui va le permettre, comme c'est beau, même si c'est l'alcool qui va en être le chemin, quelques verres et vient une délivrance qui permet de construire cette fraternité entre deux histoires qui se fracassent l'une à l'autre.
Ils vont s'enivrer, chanter, pleurer sans doute, faire venir dans ce bistrot perdu de Tigreville à la fois la Chine et sa muraille immense, Madrid, les toréros et leurs banderilles, le fleuve Yang-Tseu-Kiang, des danses espagnoles et puis un peu après, des rires et des larmes...
Derrière leur ivresse, chacun des deux protagonistes amène son paysage extérieur et intérieur, celui qui leur permet de tenir encore debout, tandis qu'une petite fille là-bas dans une pension scolaire attend un père et ses yeux, ses bras, sa tendresse...
Ce roman est bouleversant de tendresse et d'humanité.
Commenter  J’apprécie          5827



Ont apprécié cette critique (58)voir plus




{* *}